L’ombre et le silence s’éclairent par
le pouvoir des mots
Poète,
romancière, essayiste, critique et traductrice, Sonia Elvireanu a publié dix-neuf
livres, récompensés de prix importants. Les plus récents, le recueil de
poèmes Le silence d’entre les
neiges et la traduction d’une anthologie de poésie roumaine
contemporaine en français, lumière,
doucement de Marian Drăghici, un grand
poète roumain, sont publiés par les Éditions l’Harmattan
de Paris en avril 2018.
Le silence d’entre les neiges,
issu du deuil, est dédié à l’être cher, son mari, avec lequel Sonia
Elvireanu a partagé toute sa vie. Le deuil est une longue et cruelle
maladie et, en même temps, une thérapie pour être prêt, un jour, à
guérir. Non pas oublier, mais voir autrement, retrouver l’Autre, le cher
disparu, sous un aspect extrêmement attirant et revivre d’une autre
manière, à la fois ce qui a été vécu avec lui et ce qu’il nous reste
encore à découvrir ici-bas, sans sa présence mais avec l’envie de
partager intégralement ce qui va advenir.
Le deuil
peut être intensément poétique et créateur, car il ne garde que
l’essentiel de l’être qui a disparu, son aura, son regard, sa finesse
d’esprit, sa douceur, sa nécessité. Tout ce qui aura été saisi en sa
compagnie sera rapporté avec un soin extraordinaire, un talent
miraculeux, sans taches, sans efforts, sans ornements inutiles. Et chaque
instant que le survivant va connaître aura un prix inestimable, comme si
l’absent devait encore en jouir grâce à la ferveur qui sera permanente
dans le cœur de celui ou celle qui peut encore voir, parler ou écrire.
Plus rien
ne sera banal ou pauvre ou insignifiant. Et même, au prix d’une profonde
tristesse car il y aura toujours ce manque irréparable, le spectacle de
la vie, de la nature, du temps qui fleurit autour de nous deviendra une
sorte de fête intime, inachevée certes mais tellement fascinante, comme
si le devoir de l’éprouvé était de mettre en scène, de montrer la beauté
sans pareille de l’univers qui nous entoure.
C’est
peut-être cette exigence qui rend les poèmes de Sonia Elvireanu si
émouvants, si purs même, et plus romantiques encore que ceux composés du
vivant de Mirel, son compagnon. Rien d’étonnant
à ce paradoxe : la perte, la blancheur omniprésente du vide, la
panique d’être perdu dans la neige immense appellent et aiguisent à un
point inouï les ressources inexploitées de la vision consolatrice.
L’œil est
un merveilleux sorcier qui sait guérir les âmes qui se croient mortes en
leur montrant mieux ce qui a été ressenti et ce qui sera célébré pour que
l’ombre et le silence s’éclairent par le pouvoir des mots et des images. « Lequel de nous est-il réel ? »
s’interroge la poétesse. Et plus loin, elle implore : « Fais-moi signe que tu existes quelque
part. » Le livre
existe parfaitement, il est réel, il a une matière et une âme et il est
superbe. N’est-ce pas la preuve irréfutable qu’il a été inspiré par un
défunt qui frappe, chaque matin du monde, à la fenêtre familière ? Entre les mondes le jeu continue…
La poésie est
passerelle entre la rive de la réalité et celle de l’imaginaire… C’est
elle qui fait tourner le moulin nourricier de l’Éternel retour.
Michel Ducobu
Licencié-agrégé
en philologie romane, Université Libre de Bruxelles, Vice-Président de
l'A.R.E.W., membre du Comité de gestion des Midis de la Poésie de
Bruxelles, poète et écrivain (notice sur le site de l’Association des écrivains belges
de langue française, et présentation des plus récents
recueils sur Espace livres et création).
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