UNE VIE, UN POÈTE

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Une Vie, un Poète

LUC-ANDRÉ REY

par Dana Shishmanian


 
« Quand je n’écris pas, j’écris… »


Voir le lien 1. (plus bas) pour
l'animation des images et textes



Photo ©Fabian Di Maria

« Luc-André Rey est un poète de rue, un passeur à travers le monde, en marge du monde, hors du monde, dedans dehors soi-même, indiscernable, anonyme.

Il aimerait publier ses textes sans les signer…

Il laisse tomber les mots de ses poches, ne pensant même pas qu’ils puissent être signes de reconnaissance
pour des promeneurs autres.

Se définit-il lui-même ? Oui, justement, comme un autre…

" Il ne vit pas l'écriture comme une fin en soi (ni rien d'autre d'ailleurs.)
Il n'a pas l'ambition de ‘laisser une œuvre’ (il n'a en fait aucune ambition). Il va les mots comme quelques équations mathématiques,
comme ses pas un désert, comme ses pas nos cités; l'ivresse où la seule chose où nous sommes vivants : ce qui est dans l'instant.
"

(extrait de son auto-présentation sur le site de la Maison de poésie d’Amay) (Lien 2)

Et en guise de biographie ? Un autre poème…

*
il sourit
il est content
qu’importe ce qui arrive autour de lui sourit

car là 
où il sourit
il n’arrive plus rien le monde est ce qu’il est

il sourit


Il ne reste donc rien à dire, sinon vous inviter à lire,
en vous glissant entre les couches superposées d’une écriture foisonnante de silences et d’interstices fertiles. »

*

Ce tout petit texte, je l’avais préparé en guise de préface à un recueil inédit de Luc-André Rey, intitulé Palimpsestes, qui devait paraître à l’automne 2015. Il m’avait donné le feu vert le 22 juin sur la toute dernière version à soumettre à l’éditeur, mais sans la préface… qui le gênait : il disait qu’il fallait laisser le lecteur accéder directement aux textes, ce sont eux qui comptent, l’auteur, on s’en fout…

Je savais depuis qu’on a fait connaissance, au lendemain même du lancement de l’appel à poèmes pour Haïti en janvier 2010, lorsqu’il a répondu en proposant de monter un site d’accueil des textes sur Internet – ce qu’il a fait dans les deux-trois jours suivants –, je savais depuis nos échanges par email à cette époque-là, qu’il n’aimait pas parler de lui, ni même signer ses textes… il aurait souhaité qu’ils soient publiés sous la signature « Anonyme »...

Alors, aujourd’hui encore, toujours pas de biographie ! Voilà seulement ce qu’il dit de lui-même le poète, dans son auto-présentation, sur le site des Editions Maelström (voir lien 3) pour la parution de son premier recueil, la rue, la vérité, le vent, 2009)

Né à Lausanne le 2 janvier 1960, à Piedicroce (Corse), en octobre 2003, à Marseille le 26 février 2005, à Saint-Cergue le 17 juillet 2008, à Hyères en septembre de la même année, ne cesse de naître. Naître à ce quelque chose qui l’est monde quelques mots. Et derrière dedans ces mots ce qui nous est ce monde : ENSEMBLE.

Ou, encore plus succinct, plus avare à révéler ses naissances intérieures, tout en laissant largement ouverte la porte de sortie… sur le site, Terre à ciel (lien 4) : 

Né le 2 janvier 1960 en Suisse, à Lausanne. Mort le….. (Vous compléterez le moment venu.) Entre ces deux instants, en vie.

Avant le « moment venu », il a continué, avec cette même humilité tenace, comme il en avait pris l’habitude depuis quelques années, de faire parvenir par email, sur une liste de diffusion anonyme qu’il s’était constituée, au moins un poème inédit par semaine
(il en envoyait parfois plus…), et ce, jusqu’au dernier reçu, le 18 juillet 2015; le message s’intitulait : « enfin un bon texte ! »

J’ai obscurément senti, connaissant son auto-exigence et son perfectionnisme sans fin, la portée définitive, inquiétante, de cet « eureka » qui aurait dû me faire comprendre qu’il s’agissait peut-être pour lui du signal d’arrêt de Faust (Verweile doch, du bist so schön…) - mais j’étais très loin de deviner que le poète était à 5 jours de sa mort.

Je ne l’ai d’ailleurs pas su avant près de 5 mois. Faute d’avoir fréquenté régulièrement Facebook, où la nouvelle de sa disparition, le 24 juillet à Saint-Gilles (banlieue de Bruxelles, où il habitait), avait été postée le 2 septembre par son éditeur belge maelstrÖm reEvolution, sans plus de détails. C’est l’investigation tardive de sa page sur Facebook qui m’a d’ailleurs révélé encore plus l’intensité extraordinaire de sa vie en poésie : il y postait plusieurs textes par jour, tous les jours, pendant des semaines, tout en marquant de faux interstices signalés par des « annonces d’absence » :



ou des « avis de recherche »… (comme au 30 juin 2015)



Préparait-il comme une sortie de scène ? À moins qu’il n’ait eu besoin de telles absences pour se retrouver… (ce qui revient au même au fond) :

Je vais me taire un temps.
Me laisser creuser, labourer.
Me terre


(posté sur FB le 6 juillet 2015)

* *

Pourquoi les poètes meurent-ils ? Sans doute, pas pour les raisons de tout le monde : l’humain, trop humain, s’il les touche  indéniablement (et comment ! c’est une des matières premières de leur œuvre…) ne peut, ne saurait les tuer. Maladie, accident, guerre, suicide, vieillesse… foutaises ! Ils meurent pour nous permettre tout simplement de nous arrêter devant eux, et de les écouter, enfin. Ils meurent pour nous. Sinon, étourdis que nous sommes, inattentifs aux paroles vraies, pressés à nous boucher les oreilles avec le bruit du monde, avides d’événements criards et de voix factices, tiraillés par les appels du politiquement-artistiquement correct, soucieux de paraître, d’apparaître ci et là dans les soirées, dans les revues, nous ne prêterions jamais attention, jamais assez, jamais comme il le faut, aux grandes voix singulières qui nous interpellent d’au-delà du contingent.

Luc-André Rey était de ces voix-là. Un immense poète que je vous invite tous à découvrir. Je me sens honorée d’avoir eu sa confiance. Et je tâcherai de faire aboutir l’œuvre de publication de ses recueils des trois dernières années qu’on commençait seulement à entreprendre, peu avant sa disparition.

Et maintenant ? Je l’imagine heureux… à l’écoute du silence des étoiles, amoureux d’une comète à pulsation intermittente, en proie à « enfin un bon texte » où se faire fondre, content, en souriant.

Il faut se l’imaginer heureux, tant qu’on ne l’encense pas… il détesterait cela ! Par contre, il faut lire et relire ses textes à la syntaxe biscornue et aux sens giclant d’entre les mots, alors même que, figés sur la page, ils ne peuvent, comme le poète l’aurait voulu, clignoter et palpiter de toutes leurs lettres superposées simultanément…

Car voilà comment il souhaitait publier ses 10000 poèmes (projet du site du même titre, finalement fermé) :

ce site ?

un pari
entre moi et moi
moi qui écrit et moi qui n'écrit pas

laisser sur le web, un site, 10'000 poèmes

laisser
et m'en aller

effleurer quelques fleurs qui poussent là où nos cœurs ne savent pas encore ce qu'elles nous sont étoiles

Vous ne trouverez pas les textes tout bien organisés.

Par périodes, par thèmes.

Une page
Une seule page où tous, vous sont offerts au gré de vos visites
une page 10'000 textes

(apud:voir lien 5)

Les images de textes-graphiques
reproduites dans le groupage inclus au Salon de lecture donnent une idée du projet de Luc-André. En voilà une autre : le texte pulsateur en mouvement aléatoire, réalisation informatique de l’auteur :


         

Alors, dans l’impossibilité de le suivre dans la reproduction de ce mode de lecture, voilà un petit instantané (comme fixer la combinatoire vibratile d’un papillon ou photographier un fantôme…) qui nous indique justement l’impermanence durable de sa manière de vivre en poésie (passage, publié sur le site Poésie française (lien 6)

Tout me traverse
Rien ne reste

Ne reste là
Où rien ne reste

Que cela qui traverse tout

Et puis encore un (extrait du même site),
intitulé Une paix toute simple, juste pour s’imaginer les vœux qu’il nous adresserait à tous, en ce début d’année où il aurait fêté son 56ème anniversaire :

1
Le soleil
Disparu
La lumière
Très douce
Tout autour
Du soleil
Disparu

2
Du soleil
Disparu
Tout autour
De ces choses
Tout autour
Dedans
Des choses
Disparaîtront

3
Et sera la lumière
Celle haute
La nuit
Celle haute toutes choses
Toutes choses
Disparues
Toutes choses
Lumière

1. Poèmes*

LIENS

*. 1 . Quand je n'écris pas, j'écris

*. 2 . Maison de la Poésie

*. 3 . Editions Maelström

*. 4 . Terre-à-ciel


*. 5 . Les belles phrases skynet blog

*. 6 . Poésies webnet
 

PRÉSENTATION ET RECHERCHE
Dana Shishmanian
janvier 2016


Pour inciter à la lecture de ses textes, dont une bonne partie est éparpillée sur la toile, j’invite nos lecteurs à explorer les ressources suivantes :  Sa page Facebook :

Quelques pensées extraites au hasard des très nombreux textes poétiques et messages postés pendant les dernières semaines de sa vie :

*
Le poème est un titre de passage.
Entre ce dont nous sommes si peu et tant dont nous ne serons jamai
s. (FB 16/07/2015)

**

Les mots nous rapprochent de ce dont ils nous éloignent,
tout autant nous éloignent de ce dont ils nous rapprochent
.
(FB 14/07/2015)

***

Se taire.
Ce n’est pas seulement cesser de dire.
C’est avant tout consentir à une perception qu’aucun langage ne peut cercler.
(FB 09/07/2015)

****
Le langage est un territoire.
Qui y tente les mots cherche à atteindre sa frontière.
D’où partant ?
Il ne le sait pas.
Il ne le saura qu’en parcourant le territoire, qu’il part
de sa frontière. 
(FB 08/07/2015)

*****
Qui écrit un poème ne tente pas d’aller en terre de poésie.
Il en revient.
(FB 07/07/2015)

******
Les mots ne disent pas les choses.
Ils disent une distance.
(FB 07/07/2015)

*******
La poésie, l’art de l’attention. Détachée.
L’art de l’a-tension.
  (FB 05/07/2015)

********
Plus tu t’approches de la lumière, plus vaste le territoire que recouvre ton ombre.
(FB 03/07/2015)

*********
La poésie lève l’angoisse liée aux questions auxquelles elle ne répond pas.(FB 02/07/2015)

**********
La poésie ne parle que de la mort.
Quoique nous évoquions.
Qui se retire
parfois face à ce qu’elle ne peut atteindre. (FB 01/07/2015)

 **

2. En guise de bibliographie : ses publications

Ses « fragments » (recueils édités) :

la rue, la vérité, le vent, maelstrÖm éditions, Bruxelles, 2009, réédité par Arbres à paroles,
Maison de la Poésie d’Amay, 2012 (qui a connu la rue).

plasmaphérèses - maelstrÖm éditions, Bruxelles, 2012

qui a connu la rue - Arbres à paroles, Maison de la Poésie d’Amay, 2012

fragments 2 - Arbres à paroles, Maison de la Poésie d’Amay, 2012


A voir aussi :

Bords de monde, de Martine Cornil,
album de photos et poèmes réalisé sous la direction de Luc-André Rey, maelstrÖm éditions, Bruxelles, 2012

*** 

Présence sur la toile : ses sites

Plusieurs sites web (mathématiques, fractales, 10000 poèmes, Antonio Porchia, …) qu’il a finalement fermés.

Restent deux sites sous son pseudo (laral) :

- http://laral.hebfree.org/index.htm : où l’on peut lire, dans la mise en ligne informatique jouant sur l’aléatoire, impossible à reproduire sur les pages d’un recueil imprimé, un certain nombre (non déterminé, étant donné la combinatoire de l’ordre de sélection et d’affichage à partir des indicateurs de navigation) de ses poèmes inédits des trois dernières années.

- il a laissé des mots

- dans ses yeux

Un article sur Antonio Porchia a été publié ailleurs par Florence Trocmé

Pour elle, pour C, la femme d'or et de miel

 ***

Parutions sur des sites et revues en ligne :- 15 poèmes inédits publiés sur le site « Poésie française » [2008/2009] :

- Un texte inédit sur le sitaudis [2009/2010]:

- La vidéo « qui a connu la rue » sur youtube, Luc-André Rey lisant des extraits de son bookleg la rue, la vérité, le vent, Editions Malstroem, 2009, à l’occasion du 4e Festival de MalstroemReEvolution en mai 2010 à Bruxelles ; mise en ligne le 24 septembre 2010 .

- Des extraits de ses recueils sur le site de la Revue « Terre à ciel » de Cécile Guivarch  (2012) :    

Toujours dans cette revue, le texte inédit Traversés l’un par l’autre, avec la mise en ligne typique de l’auteur (une superposition de textes à l’image d’un « palimpseste »)

- Quelques textes inédits sur le blog d'Éric ALLARD « LES BELLES PHRASES. Textes courts, Poésie & chanson, Plaisir-de lecture... » (22/01/2012)

- Des poèmes inédits dans « Ce qui reste », revue de poésie coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau [2013]

- Publié dans la « Revue Bâtarde », n° 2 – Le Bonheur, Bruxelles 2013

- Publié par Eric Dubois au « Capital des mots » :
- le poème inédit
après la mort de l'ange, le 14 avril 2014 :

- les recueils-poèmes inédits à l'extrême bord de, et avec la mort devant/dedans,
le 15 Décembre 2014 :

Publié dans la revue « Paysages écrits » de Sanda Voica et Samuel Duduit, n° 25 – septembre 2015, pp. 41-42

 

L’annonce de sa disparition sur Facebook le 2 septembre 2015, sur la page des éditions maelström reEvolution, avec la publication d’un long poème Mon Pote de Luc-André Rey [datant du 18 septembre 2014], ainsi que de plusieurs photos.

 **

Présence à  Francopolis :

- Salon de lecture (décembre 2012) :

- Créaphonie (décembre 2014) :  SUITE ( janvier 2015 )

- Vue de Francophonie (juin 2015)

***

À la fin de cette dernière publication j’ai reproduit le début d’un long poème intitulé la vie en poésie, qu’il avait diffusé par email le 9 mai 2015. J’aurais pu, pour l’occasion tragiquement inattendue de sa disparition, le reproduire en entier, sans aucun commentaire autre : c’est certainement ce qu’il aurait préféré… mais j’ai failli, en cédant à la tentation d’exprimer ma propre émotion. Alors, la vie en poésie de Luc-André Rey, ce sera pour une autre fois : cela mérite un recueil. À bon éditeur salut !


  recherche Dana Shishmanian
janvier 2016

 


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