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rencontre avec un poète du monde

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ARCHIVES : VIE – POÈTE 


 

Une Vie, un Poète :

Robert BRÉCHON

(1920-2012)

(suite du numéro précédent)

Robert Bréchon
(photo reproduite du site Babelio)

Pour la présentation du poète, voir le numéro de janvier.

 

***

Sélection de textes

par Mireille Diaz-Florian

(suite 3)

 

J’ai choisi de vous présenter le début de cet essai Les Pas Perdus, extrait de A corps perdu. Essais suivi d’un essai sur l’essai. L’Escampette. 2001

C’est l’occasion de montrer une autre dimension de l’écriture de Robert Bréchon et recommander la lecture intégrale de cet ouvrage. J’y retrouve pour ma part, ce qui est un aspect de l’œuvre : un regard posé sur le monde dans le mouvement des voyages, des missions à l’étranger, qui immédiatement suscite le retrait, la réflexion et l’engage à le circonscrire dans l’acte d’écrire.

 

Les Pas Perdus

L’image qui m’a fait le plus rêver dans mon enfance : la gravure de J.M. Moreau illustrant la leçon d’astronomie de l’Émile. Pour lui montrer l’intérêt de cette science, le précepteur a emmené Émile en promenade dans la forêt et il a fait semblant de s’égarer. Fatigué et affamé, l’enfant pleure. Le précepteur l’invite alors à mettre en pratique les connaissances qu’il a apprises. L’enfant s’oriente et, après quelques pas dans la bonne direction, il découvre le clocher et les maisons du village qu’un simple taillis lui cachait.

Émile frappant des mains et poussant un cri de joie : »Ah ! je vois Montmorency ! Le voilà tout devant nous, tout à découvert. Allons déjeuner, allons dîner, courons vite, l’astronomie est bonne à quelque chose. »

La gravure de Moreau représente Émile et le précepteur au moment précis où, dans l’échancrure des arbres, apparaît Montmorency. L’enfant se précipite, les bras en avant, l’index tendu. La légende, comme dans les bulles des bandes dessinées d’aujourd’hui, reproduit les paroles : « Courons vite, l’astronomie est bonne à quelque chose. » Le précepteur penché sur lui, contemple son œuvre d’un air satisfait.

Le pouvoir de cette image n’avait rien à voir avec l’astronomie, qui m’a toujours laissé indifférent, ni avec la pédagogie, qui, par définition, n’intéresse pas un enfant. Elle résume une des situations les plus troublantes de la vie quotidienne, celle où le familier devient inconnu, où l’inconnu redevient familier. Les grands chênes qui semblent s’écarter pour laisser à Émile la vue libre sur Montmorency, le taillis qui, l’instant d’avant, lui masquait cette vue, sont, comme toute la forêt, les métaphores d’un espace enchanté, proche, mais étranger. Il est délicieux de s’y promener, d’y errer, voire de s’y perdre, à condition d’être sûr d’en trouver la sortie. Il n’est pas question d’y résider en permanence. Le clocher, les toits des maisons, la cheminée qui fume sont les signes de la demeure : espace clos, limité, rassurant, à la mesure de l’homme qui y abrite sa vie quotidienne.  Mais ici dans l’épisode de l’Émile, le village est vu depuis la forêt, par un enfant qui se croyait perdu. Ce n’est plus le Montmorency habituel qu’il aperçoit, c’est un Montmorency nouveau, transfiguré par le désir, l’imagination, la nostalgie, la surprise et l’attente comblée. Tout ce qu’il peut y avoir d’ennuyeux dans un lieu trop familier se trouve renouvelé par ce détour dans l’aventure. La forêt où l’on s’égare c’est le domaine de l’autre. La demeure est le domaine du même. Le miracle de l’épisode de la leçon d’astronomie, c’est que d’un seul mouvement l’autre devient le même et le même devient l’autre.

 

 

***

 

Dans un second temps je souhaite faire partager le poème Vivre après vivre, extrait de Les Ouvrages du Temps.  Editions Chambelland 1969.

 

Vivre après vivre

Vivre après vivre

Courir après le feu des jours

 

Dans la demeure abandonnée

Coule une eau sans bras sans visage

Une fleur qui ne fleurit pas

 

Et voici l’amour se repose

 

Je vois s’écouler près de moi

La vie broyeuse de visages

 

J’ai vu tant de soleil

Qui brisaient le silence

J’ai souvent caressé

Les tresses de la nuit

 

Un jour peut-être j’entendrai

Une voix qui ne finit pas

Entre mes mains je presserai

Longtemps cette tendre écorce

Entre mes mains je pèserai

Un bonheur qui ne finit pas

 

Nuit

Chevelure rivière d’ombre

Vent

Main caressante main coupée

Etoiles

Lèvres entrouvertes

 

Voici je m’éveille

Au fond de la nuit

Tout recommence

 

 

 

Mireille Diaz-Florian

 

 

Une vie, un poète

Sélection : Mireille Diaz-Florian

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