Petits tours de champ
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CONTE 

ID AM TITKH ?
« Comme celles là ?»



Hro ou Hmad était un homme sans histoire. Au sein de sa tribu des Ait Moch*, il menait sa vie de petit fellah*, ses champs lui permettaient de s’auto-satisfaire en céréales et en dattes. La vente, avant l’Aid Le Kabîr* des agneaux, produit de ses quatre brebis suffisait amplement pour son approvisionnement en thé et sucre. Il se permettait aussi d’acheter à chaque occasion de l’Aid, une Takidourte* (gandoura) à son fils Said, un Aâbane* (sorte de kachaba) pour Aïcha, sa femme. Mais lui, il se contentait d’une Djellaba*, d’un Akidoure avec son saroual* et d’une paire de babouches une année sur deux. C’était aussi un homme pieux qui ne ratait jamais les hadiths* du taleb*. Il exerçait bénévolement la fonction de Berrah*. Et à chaque fois que l’Amghare du ksar* avait un message à communiquer à l’ensemble de la population, c’est Hro de sa voix forte qui du haut du minaret faisait l’annonce juste avant l’appel par le muezzin à la prière de Tine-Woutchi (Maghreb). Il commençait toujours son appel par sa citation habituelle : « A Tarbah’m issaoun ina Oumghar ! » (Soyez riches mais écoutez le message d’Amghare !) L’effet de ses annonces était garanti et parvenait aux oreilles de toute la population. Ses appels étaient plus efficaces que les SMS actuels de nos opérateurs de la téléphonie ! Le risque qu’ils soient dirigés vers une boîte vocale était exclu, toutes les boîtes crâniennes étant ouvertes et disponibles pour capter et enregistrer en temps réel les messages de Hro.
Une nuit d’été, après avoir terminé l’irrigation de son champ de luzerne et passé la main à Lafou pour irriguer à son tour son champ, Hro mit sa houe sur son épaule et prit le chemin du retour vers le ksar. Il décida de passer directement à la mosquée même s’il restait encore du temps avant l’appel du muezzin pour la prière du Sobh* ; « ça sera l’occasion de chauffer l’eau pour les ablutions des prieurs du Sobh, pensa  t’il. »

Arrivé au niveau de « Tikwa N’Tarire » il fut rejoint par un groupe d’une dizaine de personnes qui marchaient en chantant derrière un mulet sur lequel trônait une femme parée de ses plus beaux ornements. Hro pensa tout de suite qu’il s’agissait d’un cortège accompagnant une jeune mariée vers le domicile de son futur époux. Il ralentit sa marche pour se joindre aux fêtards et commença à battre joyeusement des mains en cadence. Emporté par le rythme endiablé de la musique du groupe, il se lança presque malgré lui dans une danse frénétique: il tournait autour de lui-même tout en serrant précieusement sa houe de sa main gauche. Tout à coup, il sentit deux mains s’agripper à sa Gandoura. Il se retourna et vit en face de lui une créature d’une beauté sans égal qui lui souriait étrangement. Hro fut tellement fasciné par la beauté envoûtante de la femme qu’il ne remarqua pas tout de suite qu’elle avait quelque chose de particulier. Il fût tout d’abord ébloui par ses cheveux d’un noir de jais qui volaient au vent, par la blancheur éclatante de son visage avant de remarquer avec effroi que les yeux en amande de la belle créature étaient tracés verticalement sur son beau visage. Il sentit son sang se figer et son corps traversé par une décharge électrique. Il se retourna pour voir de plus près les autres personnes formant le groupe, sa stupeur se mua en épouvante quand il constata que tous avaient des yeux en position verticale ; il comprit alors que le cortège était celui des « Jnounes* » et qu’il avait intérêt à déguerpir le plus loin et le plus rapidement possible. Il se débarrassa de sa houe et prit ses jambes à son cou, ne se rendant plus compte de l’état ni des embûches du sentier ; son objectif était d’arriver le plus tôt possible à son ksar.

Terrorisé, Hro pénétra dans les dépendances de la mosquée sans avoir senti de fatigue, ni s’être souvenu du temps mis pour arriver là. Il se dirigea directement vers l’endroit réservé à la chauffe de l’eau pour les ablutions. Il remarqua tout d’abord qu’il n’était pas le premier arrivé, mais qu’il y avait déjà cinq bonhommes qui se réchauffaient autour du feu.
Après les avoir salués, il leur dit : Voyez-vous, c’est incroyable ce que je viens de vivre ; mais c’est vrai, je vous le jure sur la tête de notre Saint Sidi Abderrahmane Bou Oufarssig (saint de Goulmima), je viens de croiser un cortège de Jnounes en pleine fête qui accompagnaient en chantant et en dansant une mariée vers le domicile de son futur mari !

- Et alors répondirent en chœur les cinq hommes qui ne semblaient pas du tout surpris par les dires de Hro!

- C’est qu’ils avaient tous les yeux de travers, reprit Hro

- Id Am Titkh ? Comme celles là ? (les yeux étant féminins en berbère), lui rétorqua son voisin de droite.

Hro se retourna, vit que les cinq bonhommes avaient les mêmes yeux que ceux qu’il avait croisés en revenant des champs, il sentit le sol vaciller sous ses pieds et sombra dans l’évanouissement.
Quand Hro reprit connaissance il remarqua la présence autour de lui de sa femme, son fils, quelques amis et Slimane, le Fkih* qui lui tenait la main et qui balbutiait des mots que personne d’autre que lui ne comprenait. Il demanda à sa femme la raison de ce rassemblement. Aicha lui raconta que les gens qui étaient allés prier le Sobh à la mosquée l’avaient trouvé évanoui tout près du feu d’Akhorbich, et qu’il avait été transporté de la mosquée à la maison sur le dos de Tamkouni, le forgeron du ksar. Hro se rappela alors de tout ce qui s’était passé, mais ne dit rien à personne ; il s’assura tout de même que toutes ces personnes autour de lui n’avaient pas les yeux de travers. Aïcha eut la vague impression que la tête de son mari avait plus de cheveux blancs que la veille.

Après un bon Seksou N’Oughou (couscous arrosé de petit lait) sur la terrasse de sa maison, Hro raconta en détail à sa femme sa mésaventure. Celle-ci après avoir fait tourner autour de sa tête un mejmar* dans lequel brûlait du Jaoui* et du Hssanaba, pour éloigner de lui les mauvais esprits, conseilla à son mari d’oublier tout ça, et de partir se purifier et se relaxer au hammam*. « C’est lui dit-elle un traitement radical pour éloigner de toi les esprits du mal. »

Arrivé au Hammam, Hro se déshabilla dans le vestiaire et ne remarqua point les habits accrochés aux pendoirs fixés au mur. Il se dit :  « tant mieux que je sois tout seul pour me laver et me relaxer », il prit deux seaux, traversa la première salle sans s’arrêter et s’assit au centre de la deuxième salle, plus chauffée que la première. Il s’allongea de tout son corps, sentit la tiédeur de la chaleur l’envahir progressivement et ne tarda pas à s’endormir. Quelques instants plus tard, il fut réveillé par des bruits de seaux et des paroles inaudibles qui provenaient de la salle la plus chaude. « Tient se dit-il, des gens sont entrés pendant que je dormais ! » Il se versa tout le contenu d’un seau d’eau sur le corps et commença à se masser les mollets. Le bruit qui venait de la salle voisine s’amplifia. Hro pénétra dans la salle et vit deux hommes qui se disputaient et se donnaient des coups de seaux !

- Oh arrêtez de vous battre comme des bêtes vous deux ! Vous n’êtes pas ici dans une étable ! Et puis crier comme ça dans la nuit, n’est pas du tout conseillé . Alors calmez-vous, s’il vous plaît ! »  Il s’approcha d’eux et alors qu’il essayait de s’intercaler entre eux pour les séparer, il sentit un mal au pied gauche comme s’il se faisait piquer par un outil pointu ; il baissa les yeux et vit une patte de bouc posée sur son pied ! « Aâdou Billah Min Chitane Irajim ! « Il jeta un regard sur les pieds de l’autre antagoniste et horreur ! Il constata qu’il avait également les pattes de bouc en guise de pieds. Il hurla de frayeur et se précipita vers la sortie après avoir évité de justesse de chuter sur la dalle glissante du hammam. Il saisit ses habits et les enfila sans même prendre la peine d’essuyer son corps encore ruisselant. Il se rua vers le « Fernatchi » (préposé à la chaufferie du hammam) et s’adressa à lui d’un ton paniqué :

- Il y a des Jnounes dans ton hammam !

- Comment ça ? lui répondit le réceptionniste

- Vas-y voir les pieds de ceux qui se lavent et se battent à l’intérieur ! Ils n’ont pas de pieds mais des pattes de bouc !

A ce moment le réceptionniste leva sa gandoura montra lui aussi ses pattes de bouc toutes couvertes de poils noirs et dit à Hro d’une voix menaçante :

- Id Am Witkh ? (Comme ceux-là ?)

Hro ouvrit la bouche, essaya d’articuler quelques mots mais il ne put émettre le moindre son ! Il s’affaissa par terre et sombra de nouveau dans un profond évanouissement !

Quand le matin, on ramena Hro chez lui, sa femme Aïcha remarqua que tous les cheveux de sa tête étaient devenus blancs, elle en déduisit que son mari avait vécu de nouveau une histoire horrible qui lui avait fait peur. Elle décida d’utiliser les grands moyens pour exorciser définitivement son malheureux mari : des encens en provenance des lieux saints et d’une efficacité redoutable qu’elle avait obtenus de Hedda ou Rouch et qu’elle gardait jalousement pour les grandes occasions. Mais le plus urgent était de faire appeler Slimane le Fkih qui, dérangé dans ses ablutions, mit ses babouches de travers et accourut précipitamment chez Hro sa « tachoukate » (trousse de secours ) sous le bras.

Pendant que Slimane marmonnait encore des choses que lui seul entendait et comprenait, Aicha faisait passer l’encensoir au-dessus de la tête de son mari tout en priant, en berbère, tous les saints du bled. Slimane lui fit comprendre que ses prières à lui en tant que Fkih étaient suffisantes et meilleures d’autant plus qu’elles sont dites en arabe classique. Aïcha allait répondre que le Bon Dieu et les autres saints comprenaient aussi le berbère. « Mais, se dit-elle, je ferais mieux d’aller préparer une Tazlafte N’Seksou (plat de couscous) qui sera offerte en offrande.»

- N’oublie pas de mettre le maximum de viande tendre lui dit Slimane . Ça fait fuir les jnounes (il faut dire que le vieux Slimane n’avait plus toutes ses dents).

Hro ouvrit lentement les yeux, passa la paume de sa main tremblante sur son visage, et dit à sa femme qu’il sentait une grande faiblesse envahir son corps.

- Ça va te passer, lui répondit Slimane, surtout après l’offrande du couscous. Hro laissa apparaître un petit sourire et dit à sa femme : ne t’inquiète pas Aïcha, je te raconterai plus tard.

Le lendemain après s’être lavé avec l’aide de son épouse à qui il raconta ce qui lui était arrivé au hammam, Hro fit part à sa femme de sa décision de se retirer dans la grotte de Khouya Brahim pour se consacrer à la prière et à la méditation ; il ne pouvait en être autrement car cet ordre lui avait été donné par une voix mystérieuse qui lui était parvenue lors de son sommeil. Aïcha se leva et embrassa religieusement le front de son mari pensant que désormais il était devenu pour elle, plus un saint qu’un mari !

L’histoire de Hro, en quelques jours, fit le tour de toute la palmeraie. Les gens venaient lui rendre visite dans sa grotte et lui demandaient sa bénédiction. Il recevait toute sorte d’offrandes, sauf de l’argent qu’il refusait et qu’il surnommait « Ouskh A Dénia » (saleté de ce monde). Il redistribuait à son tour aux pauvres qui venaient le voir tous les dons qu’il recevait.
Sa longue coiffure et sa barbe blanche faisaient de lui « Sidi Hro » le saint de la grotte et sa baraka* fut reconnue dans tout le Ghriss


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Aît Moch
c'est le nom d'un village de la vallée de Ghris ,à un kilomètre du chef-lieu qui est Goulmima..

Fellah
paysan, agriculteur.

Aid le kabir
Aid en arabe veut dire fête et Le kebir veut dire Grand. grande fête où chaque foyer/ couple sacrifie un mouton en hommage à Abraham et à son fils Ismaîl. On l'appelle aussi " Fête du sacrifice" ou " Tafaska"..etc

Takidourte - Akidoure ( gandoura)
Longue tunique sans manche

Aâbane (sorte de kachaba)
une robe longue

Djellaba
un vêtement en forme de longue robe, avec ou sans capuchon, porté traditionnellement par les hommes

Saroual
c'est le pantalon en général mais à l'origine c'est le large pantalon de toile porté dans le Sahara.

Hadiths
désigne les paroles, actes et approbations du prophète Mahomet considérés comme des ordres à suivre par les musulmans

taleb
un étudiant en sciences islamiques

Le Berrah
c'est lui qui annonce à haute voix une information ,un ordre ou une règle à suivre par les habitants du village .

Ksar ou Ighrem
un village fortifié

prière du Sobh
prière obligatoire célébrée au moment de l'aube.

Jnounes
les démons ,les djins

Fkih
le curé musulman qui fait aussi fonction de voyant-exorciseur..

mejmar
une sorte de petit barbecue en terre cuite ou en métal

Jaoui
encens utilisé dans le monde du moyen orient. Le jaoui est le baume, ou la résine, de diverses plantes du genre Styrax

hammam
établissement de bains chauds remontant à l'antiquité. Les bains pouvaient être construits séparément ou faire partie d'un palais. L'installation se compose généralement d'un bain froid (frigidarium) , caldarium, d'une salle de transpiration (harara). Les hammam sont très courants dans le monde musulman. on en distingue deux, le bain turc et le bain maure.

baraka
énergie invisible qui provient des prophètes ,des saints et des gens pieux...








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Ali Sékou Ouidani
pour francopolis novembre 2008
recherche Ali Iken


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Créé le 1 mars 2002

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