Hommage à Bernard Haillant
par Isabelle Servant
Il
est bien particulier, ce printemps 2002, triste d’un côté, mo-ti-vé
de l’autre. Plusieurs disparitions en effet, et une floraison de chansons
engagées politiquement contre l’extrême droite, entre deux
tours d’une élection présidentielle plutôt houleuse.
Des anciennes, mais aussi des nouvelles. Extraits :
Le 17 avril, un pincement au cœur dans la nuit, les amis de la revue
Chorus
nous apprennent la mort du chanteur Bernard Haillant.
photo de Ghislain Debailleul
Bien sûr, nous allons tous mourir, et il y a tant d'horreurs
pas si loin, mais perdre un chanteur, c'est perdre un peu un ami, de cette
chair qui fait partie de vous éternellement dans une musique, ou
une voix.
Bernard Haillant, 57 ans, c'était un petit homme doux, si doux qu'on
aimait le voir marcher dans le festival de chansons de Barjac, au grand soleil
épuisant de l'été, et être gai dans les bavardages
de tous confondus, public, artistes, musiciens, « je décrète
l'état de bonheur permanent ». Il prenait une radio sur l'épaule,
la radio chantait un mélanésien, il chantait avec. Les coquillages
lui racontaient toujours des drôles d'histoires, sur scène, des
histoires de magie. Une simple toute petite sanza, la voix de Bernard par
dessus, sa voix de tête si particulière, et tout se mettait à
vibrer.
"Comme l'eau il est insaisissable. Comme le vent, il peut souffler
le froid ou attiser le feu. Et ses chansons, comme le diamant, brillent
de mille éclats différents, faits de tendresse et de violence,
de fougue et de fraîcheur, d'inquiétude et d'espoir, de dérision
et de révolte, d'exotisme et d'érotisme…"
(Michel Trihoreau)
« (…)la vague sur ton ventre
s'écrase et se soupire
et s'y brise et rugit
aux cris des goélands
échappés de tes antres
là-bas sont les falaises
sont jaunes des ajoncs
tout blanchis d'aubépine
qui renâclent si bon
aux traits des goélands
échappés de tes antres
sur les parvis déserts
le vent fait la poussière
et sens-tu sous tes reins
que bois mort s'est brisé
où sont tes lourds chariots
de plaintes et de chants
charriant les étoiles (…)»
(extrait de « mon étrangère
»)
Un petit bout de vie heureuse, un Barjac ensoleillé.
Salut, chanteur
Discographie :
http://www.pressibus.org/chanson/haillant_bernard/
Convaincus d’être les premières victimes d’une censure
en cas de dérapage politique vers l’extrême droite, les ACI
(auteurs compositeurs interprètes) se mobilisent entre les deux tours
des élections. On voit apparaître, par exemple, un site consacré
à toutes les chansons engagées contre les totalitarismes, quels
qu’ils soient, et les jeunes auteurs s’y mettent aussi.Les textes sont parfois
d'une rare violence, comme s'y prête particulièrement ce medium
de la chanson.
Voici par exemple une chanson phare de Serge Utgé-Royo
Amis, dessous la cendre...
Amis, dessous la cendre,
Le feu va tout brûler...
La nuit pourrait descendre
Dessus nos amitiés.
Voilà que d'autres bras tendus
S'en vont strier nos aubes claires,
Voilà que de jeunes cerveaux
Refont le lit de la charogne...
Nous allons compter les pendus
Au couchant d'une autre après-guerre...
Et vous saluerez des drapeaux,
En priant debout, sans vergogne !
Amis, dessous la cendre...
La nouvelle chasse est ouverte !
Cachons nos rires basanés...
Les mots s'effacent sous les poings
Et les chansons sous les discours.
Si vos lèvres sont entrouvertes,
Un ordre viendra les souder !
Des gamins lâcheront des chiens
Sur les aveugles et sur les sourds...
Je crie pour me défendre :
"A moi, les étrangers !...
La vie est bonne à prendre
Et belle à partager."
Si les massacres s'accumulent
Votre mémoire s'atrophie...
Et la sinistre marée noire
Couvre à nouveau votre avenir.
Vous cherchez dans le crépuscule
L'espérance de la survie...
Les bruits de bottes de l'Histoire
N'éveillent pas vos souvenirs.
Amis, dessous la cendre...
(Paroles et musique
Serge Utgé-Royo)
Gérard Morel, auteur, nous confie sa « brève rencontre
», plutôt brutale elle aussi, et il ajoute :
« Voilà. L'année dernière, j'ai failli
la retirer du spectacle, parce que
j'avais l'impression de tirer sur un corbillard. Là je me
demande si je
ne vais la faire plusieurs fois. Voire même en plusieurs
langues. »
Brève rencontre
Elle avait le nez minimal
Mais sous sa frimousse en pétale
Elle avait le cou long cristal
Moi c'est normal
Je sens mon sang qui s'emballe
Elle avait les yeux bleus d'opale
Mais sous son regard boréal
Elle avait la lèvre morfale
Moi c'est fatal
Je tiens plus dans mon futal
Elle avait la moue virginale
Mais sous son sourir’ de vestale
Elle avait la dent cannibale
Moi c'est normal
Je lui chante un madrigal
Elle avait les crins châtain pâle
Mais sous sa frange en diagonale
Elle avait le front national
Moi c'est normal
J'ai vomi sur ses sandales
Le site de Gérard Morel :
http://www.gerardmorel.com
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