Fête du vin à Daphni ! Folie où tout est permis, où tout se donne ! Pas d’ivrognes, mais des païens joyeux comme la flûte de Dionysos. On chante sous les oliviers et les eucalyptus en toutes les langues. On boit tous les nectars des îles, jusqu’au Samos épais comme une potion de pharmacien ivre.
Et je danse, et je crie, et je saute à pieds-joints par-dessus des brûlots de sarments. Les jupes se jouent du vent comme des mouettes, les pieds nus filent en poissons. Plus d’hier ni de demain ! A peine un “ ce soir ” qui file entre les vignes avec un dernier soleil d’août.
Et l’un tourne ses rondes autour d’un laurier et l’autre se roule dans la source claire et le dernier, un matelot fort comme un bouc, danse avec les statues qu’il salue d’une révérence au dernier accord de Bouzouki, avant de les reposer sur leur socle.
Fête du vin à Daphni et personne n’a vu ce cirque noir entrer sur la place, avec ses chevaux poussiéreux, ses roues usées qui grincent à vous couper le souffle. Les bâches à peine levées, voici enfin l’orchestre qui paraît. Mais qui reconnaîtrait ces musiciens vêtus de cuirasses gris-cendre et leurs instruments d’acier ? Ces joueurs-là ne se regardent jamais jouer. D’ailleurs, ils ne regardent rien ni personne. On n’entend sous les lauriers
que leur musique de feu.
Les autres instruments se sont brisés ou se sont tus, faute de pouvoir suivre ce rythme de machine à broyer  ses notes. Vite !Vite ! Encore plus vite !
Qui se serait étonné de voir le ciel et les étoiles entrer dans la danse ? L’aube est à peine là que la nuit va descendre. Le soleil roule vite ! Vite !
Si vite...
Le poitrail de la terre s’essouffle. Des lambeaux de crépuscule se déchirent et tournoient en écharpes de braise, avant de retomber en torches. Des rafales de papiers d’argent usent les seins jusqu’aux côtes. Les essieux grincent et les musiciens accélèrent. Font-il semblant de ne rien voir ou leurs yeux sont-ils aussi vides que ceux des statues ? Car les danseurs ont changé à vue d'œil. Les jeunes sourient moins. Ceux qui, cette nuit, faisaient sauter leurs trente ans semblent laisser boiter leurs soixante.
Mais allez donc ! Musique ! On danse. Ne pensez à rien !
Inutile de trinquer. Le vin est mort desséché. Tiens, quelques grands vieillards que personne n’avait remarqués ? L’un perd sa main, l’autre sa tête. On dirait qu’ils volent en poussières. Vite ! Plus vite ! L’orchestre entame des presto si endiablés qu’on ne les entend plus. Ce ne sont  quevibratos aigus et continus d’aiguiseur de faux.
Les lauriers sont secs, la source est morte, les barriques vides. Au fond des derniers foudres, ceux dont les arcs de bois s’écartent, le Samos n’est qu’une croûte  jaune.
La montre du dernier danseur marque minuit. L’accent d’une ultime accord, le vent l’emporte en poussières. Les musiciens descendent enfin du chariot avant qu’il ne s’affaisse sur ses clous rongés de rouille. A eux maintenant de danser. Vite ! Vite ! Plus vite ! Le sol se fend, la lune pâlie se déforme, le soleil se couvre d’une peau d’ ulcère grisâtre. C’est le grand gel, mais dansez encore, dansez toujours si vous voulez ! On permet tout ici, et tout se donne.
Mais comment ? Plus personne ? Les étoiles tournoient comme un vol d’éphémères. Toujours belles, ces étoiles, mais elles s’éteignent quand la folle musique se fait bourdonnement continu de l’acier.
Soudain, les musiciens s’arrêtent, le temps s’arrête.
Tout est gratuit car il ne reste rien.
Le néant ne sait pas danser.
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Le compositeur Alexandre Gasparov et l'orchestres de Bretagne vont mettre en scène et en musique mon conte et le créer en juin 2006 à Fougères.

Yves Heurté