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Petits tours de champ 

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Archives : Contes et chansons 

 

Février-janvier 2023

 

Mireille Diaz-Florian

 

Au Pays des Châtaignes rondes lisses rousses

 

 

 

Au pays des châtaignes rondes, lisses et rousses, bien des secrets glissent entre les feuilles et les arbres moussus, et parfois craquent les branches aux instants les plus inattendus, pour qui sait attendre...

 

C’est là dans ce pays où suintent les sources vives, à même la roche bleue que vivait Papy. A le voir, penché sur la terre noire de son jardin, il n’avait rien d’extraordinaire. Pas un paysan des environs qui ne lui ressemblât point par point. Des galoches de cuir au chapeau informe, en passant par la ceinture de flanelle débordant du pantalon, Papy ressemblait à s’y méprendre à tous les habitants de ces villages, dont les noms chantent parfois le soir pour qui sait entendre... Des Bordes à Larongère, un peu plus haut que chez Baracou, en droite ligne de Pêchemarut et tout près, à vol de hibou, du vénérable chêne des Dounioux, s’étendait le territoire subtil et mythique du Renard.

 

Ah ! Le Renard ! Bien sûr, il s’agissait d’un renard comme tous les renards, avec des oreilles de renard, rousses et pointues, avec une queue de renard, arrogante et touffue...mais c’était un renard très différent des autres renards, comme Papy d’ailleurs se différenciait de tous les papys, auxquels il ressemblait.

 

Si j’arrêtais là mon histoire, où tous se ressemblent, sans pour autant se ressembler, tous les enfants se moqueraient de moi car imagine-t-on une histoire de Papy et Renard, sans l’arrivée, derrière les mots, juste en bout de ligne, de Manko. Manko était un petit d’homme avec des yeux sombres où brillait parfois une malice étrange, que certains disaient être le propre du renard ! Que les mots sont donc rusés, malins, futés ! Voilà que Manko ressemble à un renard sans lui ressembler toutefois, puisqu’un petit d’homme ne peut être absolument semblable à un petit renardeau. Cela tombe sous le sens...

 

Lorsque les matins tout neufs secouaient la brume, que les vaches pensives fixaient l’horizon des bois, que les poules stupides caquetaient leurs ragots, Papy et Manko s’en allaient. A les regarder passer, personne, ni la Jeanne, ni la vieille Mélanie, encore moins la Toinette de chez Dupuis, ne pouvait soupçonner qu’ils étaient sur le chemin de l’aventure. A peine un éclat tout particulier du regard de Manko laissait-il imaginer je ne sais quelle attente, perceptible seulement au lecteur attentif de l’histoire.

 

Une fois franchie la frontière du Territoire, commençait un dédale de vieux troncs boursouflés, de poussés sauvages, de fougères acérées, bref un inextricable tissu de végétation indéniablement propice aux énigmes... Là, il fallait bien toute la douceur feutrée des mots pour ne pas perdre la trace des vagabonds. Je ne pourrais pas non plus tout dévoiler de cette longue quête du Renard, de peur que tous les papys et tant d’autres petits enfants ne s’engagent follement sur la piste et ne se perdent dans les fils de l’histoire.

 

Sans raconter, jour après jour, les multiples trajets, les détours, je dois cependant témoigner de la vérité, aussi étonnante puisse-t-elle paraître. À force de patience, à force de marcher la campagne, de l’hiver endormi au printemps sinueux et tendre, Papy et Manko rencontrèrent le Renard !

 

C’était un jour comme tous les jours, où les mares reflétaient le ciel, où les sources chuintaient sous la pierre, où les fumées du village s’élevaient en volutes bleues. Seul le vol bruyant d’un vieil hibou attardé pouvait être interprété comme un signe prémonitoire. Papy s’était arrêté pour rouler minutieusement entre le pouce et l’index, une cigarette. Manko parlait toujours en gestes ronds où s’entremêlaient en bagarres terribles les Indiens d’Amériques, les méchants cowboys, les lions d’Afrique et les renards...

 

Est-ce attiré par ces histoires, par la curiosité cabotine du héros ou plus simplement guidé par l’ordinaire astuce du hasard, que le Renard se trouva là, à la croisée des chemins, sous l’entrelacs des feuilles et des troncs? Je ne sais pas. Ce que je puis affirmer, c’est qu’il fut le plus étonné des trois. Habitué qu’il était à ne connaître des hommes que le bruit des chasses orgueilleuses, il découvrait pour la première fois de véritables humains. 

 

Il s’arrêta. Et l’histoire raconte qu’il sourit de toute la blancheur de ses crocs dans sa toison rousse. Il s’approcha de l’enfant et parla de longs silences fauves et lumineux. Papy regardait de ses yeux malicieux et soufflait de larges bouffées de tabac gris.

 

Ce que dit le Renard, on ne le saura jamais, tant est pauvre le langage des hommes à retranscrire en toute exactitude. Mais il avait suggéré tant de choses que la vie de Manko et de Papy s’en trouvait transformée. Il avait dit les secrets de la nature, où bruisse le vent et s’écoulent les jours comme les nuits, de pleine lune en ciels noirs, la marche lente des étés odorants, les heures blanches de midi et la saveur des soirs où le soleil s’étire en lambeaux incandescents.

 

Il avait dit aussi ce que tous les grands-pères devinent entre les mots et les années, entre les vieilles douleurs et les souvenirs d’enfant. Il avait dit le cercle rond de la vie où une petite main égratignée d’espoir s’accroche à la main lourde d’un Papy, semblable en tous points à tous les papys. Ah ! Il savait en conter le malin ! Tant et tant que n’y suffiraient pas ni la journée, ni d’autres journées et ni les lignes, ni les carreaux et les mots soigneusement engrangés au rythme des saisons. 

 

Papy et Manko avaient laissé derrière eux le Territoire où le Renard s’était retiré. Ils s’arrêtèrent pour regarder la croupe fauve des Monédières et les gros châtaigniers, aux vieilles racines accrochées au futur, chargés de mille et mille bogues de châtaignes rondes, lisses et rousses. Les villages s’étiraient dans la lenteur morne du quotidien. Papy et Manko marchaient sur la route vers le couchant lumineux, où s’arrêtent les rêves, étrangement suspendus.

 

« Le soleil est rouge. Il fera beau demain… »

 

© Mireille Diaz-Florian

 

 

Mireille Diaz-Florian

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Créé le 1 mars 2002

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