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Petits tours de champ 

Vision annotée des airs
que se donne la Francophonie

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Archives : Contes et chansons 

 

Mars-avril 2023

 

Mireille Diaz-Florian

 

Rêve en Roulis-Clapotis.

 

 

 

Rêve en Roulis-Clapotis

 

Où il est question d’une Maman qui était une toute petite fille...

 

C’était une fois, une fois de plus, comme souvent commencent les histoires, un endroit très beau où vivaient la plus étrange des Petites Filles et la plus étrange des Mamans.

 

Iskay, c’était le nom de la petite fille – et l’on sent bien déjà toute l’étrangeté de cette histoire à la seule étrangeté de son nom – habitait une péniche, dont les fenêtres rondes ouvraient vers le ciel de grands carrés bleus. La péniche était solidement amarrée entre les grosses et larges pierres, qu’un maçon de la Creuse, rêveur... et tailleur de pierres de surcroît, avait finement ouvrées sous les fenêtres et les balcons ventrus.

 

Nous pouvons être étonnés de l’emplacement de la péniche, mais tout grand navigateur peut affirmer que ce qui différencie une péniche, d’un paquebot, d’un triporteur, d’un cargo, d’un trimaran, d’un gros chaland, c’est bien évidemment, la petitesse de ses chambres et la finesse des dentelles à ses carreaux. Tel était donc le signe distinctif qui faisait vivre Iskay dans une péniche.

 

Au caractère étrange de son habitation, s’ajoutait le nom, non moins étrange de sa rue, bien nommée la rue des Wallons, pour le bombement lisse et gris de ses pavés et aussi, et surtout pour ces petits vallons verts et fleuris que l’imagination de tout enfant citadin substitue aisément à l’encombrement hurlant des voitures, à la géométrie anguleuse des immeubles et des carrefours, à la bouche édentée et nauséabonde du métropolitain.

 

Enfin, ce qui confirmait le signe d’une prédestination à l’étrangeté c’était que le métro trouvait à cet endroit-là un trou du ciel, où il s’engouffrait, prenait son élan, faisant semblant de toucher encore les rails et au mépris de toutes les règles de sécurité, agitait ses vieux wagons de bois. Les voyageurs riaient très fort, car ils se croyaient à la foire du Trône, cette grande fête royale qui clignotait au loin de tous ses néons emmitouflés d’hermine.

 

Iskay plaçait ses mains sur les vitres pour éviter les inconvénients du tangage et là, regardait inlassablement l’envol du métro. Parfois, le chef de train mettait un gros œillet à sa boutonnière et saluait la péniche d’un grand cri de corne de brume.

 

*

 

Dans la péniche vivait Maman. La plupart du temps, elle allait à terre pour le ravitaillement bien sûr, et aussi pour se promener. Elle aimait tant dévorer le temps en café crème et croissants chauds, marcher sur les ponts frileux en travers de la Seine, fouiller les vieilles malles aux Puces, ce grand marché, où les chats et les puces réconciliés somnolent sur des monceaux de dentelles et passementeries. Lorsqu’elle rentrait à la péniche, elle s’asseyait tout près du bastingage, prenait tendrement Iskay pour la bercer en rêve-et-roulis clapotis.

Tel était ce moment-là du retour de Maman.

 

Mais l’histoire ne peut s’arrêter là, à ce point de voyage immobile… Maman savait si bien marcher sur la péniche qu’elle courrait parfois dans tous les sens. Et pour se donner de l’importance, elle retapait un lit, cuisinait des petits plats et de gros gâteaux. Toute cette agitation dans le but quelque peu exhibitionniste de montrer qu’elle avait le pied marin...

 

La deuxième manie de Maman était d’entreprendre d’énormes lessives pour le plaisir malicieux d’y accrocher des épingles en bois et d’écouter le linge claquer dans le vent. Il faut dire aussi qu’elle nourrissait le rêve d’un grand voilier pur et blanc. Iskay le savait. Aussi la laissait-elle avec un rien de condescendance placer son oreille près du séchoir de la salle de bain, où le vent glissait parfois, les matins calmes et soyeux.

 

Mais venait aussi le MOMENT le grand moment des métamorphoses. Ce moment-là que nul Chat Botté, nulle Petite Sirène, nul Petit Poucet n’est censé ignorer. Iskay quittait alors son poste de vigie, fouillait la boîte à jouets et installait table magique, assiettes de bois doré, lits de poupées, petits papiers froissés, secrets, peluches râpées et perles colorées et...tant et tant de tout petits objets que je n’en peux conter. C’était alors le signal pour que Maman, nullement déconcertée, se RAPETISSE.

 

Eh Oui ! À peine cet attirail lilliputien était-il installé que Maman devenait toute petite, si petite qu’elle aurait pu entrer dans la boîte à jouets ! Mais Iskay s’en gardait bien car elle avait en horreur les jouets animés. Non ! Simplement, Maman devenait une petite fille qui savait immédiatement grignoter un gâteau imaginaire, préparer une recette fameuse avec de l’eau et du sable, tailler dans un mouchoir un drap de lit, s’habiller d’un bout de ruban, écraser un tube de gouache, se barbouiller le visage de couleurs vives, mâchonner un fil pour avoir l’air de manger du chewing-gum, traverser entre les pieds de table les salles immenses d’un palais. Bref tout ce qui conditionne la vie d’une véritable petite-fille.

 

*

 

Iskay choisissait ce moment-là pour jouer, disait-elle, « à la Maman » et imitait en tout point Maman, de petits plats en gros gâteaux et même de café-crème en croissants chauds. Maman, quant à elle, se laissait bercer en rêve-de-roulis-clapotis, où défilaient dans sa mémoire, à peine déformées par le temps du voyage, des images de terres rousses et de granit bleu, avec des chênes creux où dorment les hiboux, images d’enfant, d’avant qu’elle soit Maman.

 

Il faudrait bien des lignes et du papier si beau pour raconter avec minutie, le mouvement subtil du rêve-en-roulis-clapotis et des minutes pleines jusqu’aux silences ronds... À force de regarder tourner les ronds dans l’eau, avec des trous profonds où plonge la mémoire. À force d’enjamber les ponts entre les mots, j’ai toqué au carreau. Maman avait repris sa taille de Maman et déjà s’affairait : « À table ! Il faut manger ! »

 

Iskay s’ébrouait, au sortir de son jeu, encore tout étourdie. N’était-elle pas en train d’imaginer un beau voilier pur et blanc pour elle et pour Maman ! Le linge claquait au vent, juste derrière la nuit. Le métro repliait ses ailes.

 

La péniche assoupie clignotait aux étoiles.

 

© Mireille Diaz-Florian

 

 

Mireille Diaz-Florian

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Créé le 1 mars 2002

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