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Archives : Contes et chansons

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Deux fables :
Petite et Grande santé & Le Roi des gens de peu

par

Michel Ostertag


Petite et grande santé

Un chien souffreteux et de bien mauvaise mine ne cessait jamais de se plaindre de mille maux ; consultait sans cesse auprès des médecins compétents en toutes maladies, médecins parmi les meilleurs que pouvait connaître la gente canine. À force de fréquenter cette compagnie particulière, ordonnance après ordon¬nance, notre chien prenait chaque jour force pilules et tisanes, s’appliquait onguents et pommades diverses, gouttes dans les yeux et que sais-je encore. Pourtant, cela ne lui suffisait pas : il lui fallait passer examens, radios, prises de sang et que c’en était devenue folie dispendieuse.

Ses amis se moquaient de lui et pour lui montrer leur désapprobation rivalisaient entre eux à la lutte, à la course, à je ne sais quelle démesure physique sans parler des excès de table de toutes sortes. Notre chien souffreteux regardait tout cela avec un oeil courroucé et murmurait à voix haute que jamais de sa vie il ne ferait telle débauche.

Les années passèrent, la santé de ses amis se dégrada au point que, d’abord deux des plus vigoureux d’entre eux tombèrent malades : on dut les hospitaliser pour des traitements longs et coûteux et qu’ensuite les autres, dans l’année à peine achevée, suivirent, mais là, point d’hospitalisation, ce fut le cimetière qui les accueillit tant leur mal était irrémédiable.

Notre chien, quant à lui, toujours abonné à ses soins journaliers se porte à merveille : on l’avait cru mort, il y a de cela plus de dix ans et rien ne laisse supposer aujourd’hui qu’il irait rejoindre ses amis au cimetière.

Méfions-nous des gens en trop bonne santé, de ceux qui font fi des médecins et des remèdes de longue vie : petite santé bien surveillée vaut beaucoup mieux que santé éclatante qu’on brûle par les deux bouts !


***

Le Roi des gens de peu

Le peuple des gens de peu s’est réuni pour élire celui qui deviendra leur Roi. Le Roi des gens de peu !

Parmi tous ces modestes, il ne fut pas facile de choisir celui qui devait être le plus modeste parmi tous les modestes.
Après de nombreux tour de votes, un candidat se détacha du lot.

Il fut élu Roi des gens de peu.

Il prit aussitôt le pouvoir et constitua son Ministère. Comme il avait beaucoup d’amis, il n’eut aucun mal à former son Gouvernement.

Ses prises de positions obtinrent dès le premier jour la majorité absolue au parlement des gens de peu.

Tout allait pour le mieux car le peuple se contentant de peu, les affaires d’état n’étaient pas très compliquées à mener. Ce petit peuple était particulièrement heureux, tous le reconnaissaient sans réfléchir.

Jusqu’au jour où un groupe d’hommes venus d’un pays extérieur s’installa dans le village et professa des idées bizarres sur la Liberté des individus, sur les inégalités qu’il fallait combattre, sur le pouvoir d’achat qu’il fallait revaloriser. Les gens de peu ne comprirent pas grand chose de tout ce verbiage insolite à leurs yeux. Mais dociles, ils suivirent ces hommes et commencèrent à revendiquer. Mais après plusieurs manifestations, table ronde de revendications, il a bien fallut admettre qu’étant des gens de peu, ils ne consommaient que peu de choses et se contentaient de ce qu’ils avaient. Leurs goûts n’avaient pas changé depuis leurs parents ou même leurs grands-parents… C’était tout dire.

Mais comme ils étaient dociles et qu’ils ne voulaient surtout pas contrarier qui que ce soit, ils firent ce que ces hommes-là demandaient. Au bout d’un certain temps ils purent acheter des tas de choses dont ils n’avaient aucune idée auparavant. Mais ils ne furent pas longs à ce rendre à l’évidence : ils n’étaient guère plus heureux avec tous ces biens dont il fallait apprendre à se servir sans qu’on sache exactement à quoi ils servaient réellement.

Un petit nombre d’entre eux, conscient de cela, rejetèrent tout ce modernisme pour retourner à leur mode de vie antérieur. Toute la communauté ne tarda pas à les suivre.

De guerre lasse, ces gens venus d’ailleurs finirent par perdre patience et préfèrent renoncer à les éduquer dans la voie du modernisme économique. Ils repartirent comme ils étaient venus : un jour d’été, on ne les revit plus.

Le calme retomba sur tout le village.

Et les gens de peu prirent conscience de l’immense sagesse qui les habitait.

La course au modernisme et à la consommation que l’on voudrait nous voir mener – quel que soit notre compte en banque – devrait être tempérée par cette philosophie des gens de peu qui se contentent de ce qu’ils ont. Je veux dire par-là que le modernisme peut être aussi intérieur, personnel, moral et pas seulement matériel en accumulation de choses et de biens à usage passager et qui laisse comme un goût amer à ceux qui espéraient un peu plus du monde actuel.



Michel Ostertag
pour Francopolis décembre 2011

 

Créé le 1 mars 2002

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