Petits tours de champ
&
Vision annotée des airs
que se donne la Francophonie







 
actu  
  archives

 

Mon premier concert Bertin

 par Jean Guy


Un piano, une guitare sur son trépied, une chaise, Jacques Bertin arrive, grand, le crâne dégarni, veste beige clair et pantalons gris de bonne coupe, mocassins noirs, si on ne le connaît pas on peut le prendre pour un cadre supérieur, banquier, directeur de société égaré là dans cette petite salle du centre de Bruxelles.


On croit que la chaise lui servira à poser un pied quand il s’accompagnera à la guitare, mais non il s’assoit comme nous, nous sommes assis, comme pour effacer la distance qui le sépare de nous, nous dire
oubliez-moi, seuls le chant et les mots comptent.


Magie de la voix, magie des mots, magie du chant, magie de la présence d’un homme qui va, une heure et demie durant, assis sur une chaise en face de nous, qui va nous dire, nous chanter,
la nécessaire douleur d’aimer, la nécessaire douleur de vivre.
Vivre, aimer comme un long voyage en hiver, une longue route dans la nuit à la lueur hésitante des phares.

La voix est assurée, chaude, superbe, encore meilleure et le chant est précis, exact, encore plus exact.
Pour m’en convaincre, en rentrant à la maison, je ré-écoute son premier 33 tours (1967), Corentin et son CD en public qui date de 1988. Oui, c’est bien ça, à 56 ans sa voix et son chant ont mûri, font de plus en plus un, sont encore mieux au rendez-vous des textes et ce soir qu’importe les quelques trous de mémoire, il y aura toujours eu quelqu’un dans la salle, comme on le fait pour un ami, pour lui souffler le mot qui manque.



Je connais Bertin depuis près de trente ans, pourtant ce soir c’est mon premier concert, ma première rencontre avec l’homme sur la scène. Et ce que je découvre tiens du prodige. Ce n’est pas de la chanson, c’est autre chose, bien sûr il y a la voix, des notes de musique, le son du piano ou de la guitare,
mais surtout il y a un homme qui chante.
Je connaissais le chanteur, je connaissais sa voix, ses textes, ce soir, oui c’est ça, ce soir je découvre un homme qui chante, un poète.

C’est là en concert, concert qui est lui même une œuvre, un long poème, bien mieux que par le disque, que je découvre l’unité de l’œuvre de Bertin, de son œuvre de poète, de son œuvre d’homme qui chante, de chanteur / poète / interprète car son choix des textes d’autres auteurs n’est jamais dû au hasard, n’est surtout pas non plus le résultat d’une quelconque formule dont le show-biz a le secret. Non, du « Noël » et « J’attends les grilles de la route » de Bérimont à la « Chanson de Tessa » de Giraudoux, de « L’étang chimérique » de Ferré à « La place du ciel » de Cadou, ces textes qu’il fait intimement siens s’inscrivent tout naturellement dans son œuvre personnelle.

Et là ce soir, ce fut entre autres,


Retour à Chalonnes

Je sais bien qu'il fallait partir loin pour comprendre
…/…
Et ne rien oublier. Ici je crois entendre
Sourdre la nappe phréatique des chansons ..


Ta prison

…Le désespoir est un jardin où la joie
S'imprime comme un devoir dans le sable
Aimons-nous ainsi puisqu'ensemble
Nous construisons notre maison…



Passer l’hiver

…J'aurai attendu longtemps l'aube et l'homme
Puis je me serai endormi trop tôt
Quand j'étais peut-être l'aube et cet homme
J'ai froid dans mon manteau..




Trois bouquets


…Un jour nous nous retrouverons, je te dirai : tu as vieilli
Sur une berge triste dans le limon tu es belle et transie
Compagnons, recouvrez notre amour de vos voix humaines
Manteau des révoltes, manteau de laine, celle que j'aime a froid…




Le soir


…Ne t'en fais pas. Toute chose à la fin fait cendres
Même l'oiseau dont les braises brillent encore
Et, dans la nuit sans oubli où tu vas descendre
Son aile implorante frémit, dans le décor..


Nécessaire douleur d’aimer, nécessaire douleur de vivre qui est la dignité de l’homme, malgré le froid, malgré la nuit, malgré l’échec, malgré les défaites, malgré la longueur de la route, douleur, dignité et solidarité magnifiquement résumées, dans les vers de

Nazim Hikmet

 que Bertin nous chantera pour terminer son concert :



… C'est la vie qu'on donne
Et dans la terre que l'on façonne
Qu'on verra se lever le blé
C'est au coeur de notre besogne
Qu'on entendra le chant des hommes..




…Rien ne m'a rendu
Aussi heureux que les chants
Les chants des hommes..



Lisez aussi les pages consacrées à Jacques Bertin sur le site de Florence Noël
 
 Jacques Bertin sera au festival de Barjac le 26 juillet 2003

 

 

Vous voulez nous envoyer des articles sur des chanteur de langue française?

Vous pouvez soumettre vos articles à Francopolis par courrier électronique à l’adresse suivante : à sitefrancopcom@yahoo.fr.

Créé le 1 mars 2002

A visionner avec Internet Explorer