http://www.francopolis.net/chansons/chansonbg.jpg
Petits tours de champ 

Vision annotée des airs
que se donne la Francophonie

ACCUEIL

Archives : Contes et chansons 

 

Décembre 2017




Cette année-là …

 

Un conte de Noël par Dominique ZInenberg

 

 

ConteNoel-Dec2017-1

 

 

Cette année-là le sapin, si modeste fût-il en vérité, était si odorant et si vert que ma mère décida qu’on le décorerait en accrochant des clémentines et elle avait ajouté, pensive : le vert et l’orange sont deux couleurs complémentaires !

 

Cette année-là le sapin le plus grand de la forêt, celui que chacun allait voir dans le plus grand secret, en marchant lentement pour savourer le moment de la rencontre comme un moment de grâce,  avait préparé avec un soin plus vif ses aiguilles denses et d’un vert bleuté et prévenant sa parentèle d’arbres vénérables ou frêles, avait prié qu’on le remplît de tous les oiseaux qui nichent aux alentours afin qu’il eût chaud, et que le ramage de leur concert le fît voyager jusqu’aux Marquises au moins et qu’il devînt dans la nuit de Noël l’arbre cantique et l’arbre orgue qu’il avait toujours rêvé d’être.

Il y eut cet éblouissement de lumière duveteuse, de voûtes boisées de cathédrale, un ciel essaimant ses étoiles et ce sapin immense d’où ruisselait la plus parfaite des musiques qu’un être vivant eût jamais entendues ! 

Il pouvait bien mourir désormais, qu’importait ! Ce chant d’une nuit, la plus grande, ne cesserait plus de retentir dans la forêt, intimement, pour toujours, à qui marcherait doucement vers l’arbre enténébré.

 

Cette année-là le sapin serait décoré avec des anges ! J’en avais acheté au marché de Noël de Nuremberg. C’était léger, duveteux, blanc. C’était des anges qui avaient l’apparence de plumes à moins que ce ne soit l’inverse ! J’aimais les petits sapins parce que j’avais une petite maison et qu’il n’aurait pas fallu que l’arbre prît toute la place. Aussitôt rentrée d’Allemagne, j’avais cherché avec fébrilité le sapin de mes rêves. Il devait sentir bon : il sentit bon. Il était de cette couleur profonde et lourde, si vert, si sombre et rien d’autre que ces anges pareils à des flocons de neige, si délicats, si éthérés… Comme j’étais fière de mon sapin cette année-là ! Ce fut mon seul cadeau, ce fut ma seule présence. Je me disais, un peu mélancolique, dans ma petite maison (pas même un chalet !) comme on est bien mon sapin et moi, comme on est bien !

 

Cette année-là le sapin fut décoré par la classe de CM1. Quel honneur ! On vous fait un grand honneur tonnait le directeur d’école, en êtes-vous conscients au moins, les enfants ? On l’avait placé dans le préau de l’école, bien centré, bien grand, bien ample. Déjà nu, on aurait dit que tel un oiseau, il déployait ses branches et qu’il aurait suffi d’un peu d’air et de ciel pour qu’il s’envole … On avait mis à la disposition des enfants des boules de toutes les couleurs et de diverses tailles (comme on fait toujours en ces occasions) et aussi bien entendu des guirlandes d’or et d’argent, quelques étoiles scintillantes, bleues et dorées, enfin tout le matériel nécessaire pour orner MAGNIFIQUEMENT le sapin de l’école. La maîtresse avait dit « le maire va venir en personne pour l’inauguration, n’allez pas le décevoir ! » Il y avait dans la voix de la maîtresse quelque chose de menaçant, d’un peu inquiétant qui faisait oublier Noël et rappelait plutôt un contrôle de math ou l’affreuse dictée hebdomadaire !

Les enfants (dont je faisais partie) s’étaient mis à l’ouvrage avec exaltation. Les plus acrobates ou ceux (peut-être les mêmes) qui n’avaient pas le vertige, s’étaient emparé du sommet et moi qui étais restée si petite je me contentais, je m’en souviens, de placer quelques boules légères et glacées sur les plus basses branches.

Tout semblait aller bon train. L’arbre s’égayait à vue d’œil comme si la gaité des enfants était contagieuse. Sa robe sombre et enivrante chatoyait de couleurs pimpantes (enfin vous voyez ce que je veux dire, ça vous rappelle bien quelque chose !) et le préau prenait insensiblement des airs de fête, comme il se doit, quelques jours avant Noël.

Comble de bonheur pendant la nuit qui suivit toute cette explosion décorative, il neigea !

Nous avions tous hâte (pour une fois) de faire le chemin jusqu’à l’école le lendemain matin. Tout le village et la campagne autour étaient blancs. C’était si beau (mais ça aussi vous savez, n’est-ce pas ? La neige ça fait toujours son effet, c’est du rêve à l’infini, du rêve de vie antérieure, et à l’intérieur de l’enfance, une enfance plus sacrée qui pousse ses ailes blanches, une mémoire immémoriale d’ouate primordiale, quelque chose d’un ailleurs amniotique…) Nous avions hâte de revoir notre « œuvre » !

Le sapin, ce ne fut qu’un cri unanime et strident, le sapin, vous dis-je, avait disparu. Oui, vous avez beau faire les sceptiques, c’est vrai, disparu. En lieu et place du sapin, des boules écrasées, des guirlandes en guenilles, lacérées, déchiquetées, quelques bouts verts jonchant le sol et des flocons de neige tombant en averse dans le préau car un large trou béait au plafond.

Le sapin s’était échappé, s’était envolé, avait repris sa liberté, nous avait faussé compagnie.

Les enfants pleuraient à qui mieux mieux. Les adultes criaient au scandale.

Mais il est bien quelque part, quand même ce sapin. Des gazouillis de ce genre, qu’est-ce qu’on a pu en entendre. On n'en finissait plus de commenter cette disparition INCOMPREHENSIBLE !

Le village tout entier organisa les recherches. Les bois furent fouillés, les rivières sondées, les champs ratissés. Rien. Aucune trace de cette météorite verte et odorante. Il fallut se résigner, préparer la dinde aux marrons, mettre les cadeaux sous le sapin et festoyer !

 

On ne sait pas comment ça se produisit, mais dans la nuit du réveillon, une force magnétique attira tous les enfants de la classe, malgré les menaces parentales, à se rendre à l’école. Chacun était sorti de sa maison à peu près en même temps et pour ne pas avoir peur dans l’obscurité et le mystère des rues du village, les enfants s’étaient rapprochés les uns des autres, se tenant par la main et quand ils arrivèrent à l’école, la porte d’entrée était ouverte, le préau était illuminé, le toit avait retrouvé sa solidité et le sapin, tout emplumé de neige trônait au centre de la pièce, majestueux comme un griot vêtu de vert sombre, une odeur de myrte et d’encens enveloppait l’arbre et l’esprit de Noël ayant gagné les cœurs, les enfants entourèrent le sapin et entonnèrent un chant aérien, souffle d’oiseau sur leurs lèvres, souffle de vie et parfum de la forêt proche, ressuscitée.

 

                                                                     Dominique Zinenberg (inédit)

Vernon le 6 décembre 2017.

 

20171130_071000_resized

Photos de Gertrude Millaire (Québec)

 

 

Conte de Noël par Dominique Zinenberg

Francopolis décembre 2017

 

 

Accueil  ~ Comité Poésie ~ Sites Partenaires  ~  La charte ~  Contacts

Créé le 1 mars 2002

A visionner avec Internet Explorer