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Poursuite de  la route
sur quelques poésies d'Alain Freixe,
bordée des Silex de Daniel Mohen

 


MAIN TORRENT
 

La main
qui ferme les yeux des morts
est torrent
aux eaux arrêtées
comme suspendues
violemment retenues
dans la distance   


Torrent
la main tremble
de cette peur du vide
où toute vie forge
l’aigu de ses pierriers


Torrent
la main caresse
le silence de la passe
jusqu’au miel d’une nuit
dont se glacent les ongles


Torrent
la main s’emporte
jusqu’à déchirer
de ses frissons la paupière
et mettre à nu l’écart
d’un ravin noir
pour qu’au-dessus
ce soit moins le ciel
que ses étoiles
la nuit venue.




LES COUTEAUX D'ÉTÉ

pour Martin Miguel

Derrière la bouche,
ce qui compte est sans voix.
Et sans sommeil, dans la nuit du sang.
Ce murmure.
*
Comme il fait froid !

C'est comme
si les cartes sous nos doigts avaient gelé.
Par où passer,
Si nos chemins n'ont plus de pays,
si pour nos paroles il n'est plus aucun temps?
Comment
quand l'aube même hésite
à basculer dans le jour
sortir présent
sous les bandes des nuages ?


Comme il fait sombre !

En montagne
toutes les pierres se ressemblent
quand s'éboulent les cairns
et que s'effacent
les mots de passe du sourire de ta voix.
Reste le ciel. Dans le vent extravagant.
Sa poudre. Son explosion.
Et ces hoquets de bleu
dans tout ce gris qui flotte
s'égoutte et sans éclat
passe. Longe les bords.
Et file vers les bas.

Comme on se sent perdus !

En ville
comment trouver la rue, la façade et le sac
de celui que la seule faiblesse tenait
debout
entre deux pluies. Deux vins.
Sous l'œil mort de l'ordre
et la langue aveugle des passants.
C'était quand déjà?
Cela dura des jours avant qu'il ne se plie
dans un angle. Tassé en sac.
Serré en noir. Contre d'autres pierres noires.
C'était juste avant que mes nerfs ne se rétractent
et que dans le vide pende
une douleur. Déjà passée.
Morte. Dans le soir des chairs remuées.
*
Ce monde en flammes
que laisse-t-il aux terrains vagues
dans les feuilles dispersées de ta vie?
Est-ce nuit sur la peau
ou feu d'encre dans l'œil
ce fusain qui se heurte
à ce qui sous la surface attend?
Grains de lumière
qui te voue aux couteaux.
Au suspens des blessures.
Au pont des entailles.
Quand les chairs se retirent
dans l'humidité boursouflée des bordures
que tes doigts ont caressé et gonflé
jusqu'à accueillir la netteté cassante
des lames du papier
pour une lumière inattendue
entre arêtes et tranchant.
Comme un été.
Et dans ses ondes s'enlace le secret
des séries noires. Echancrées. Eclairées
de ce qui du fond remonte
et coule
sur les bords nus et violents
des lèvres de ces lézardes
toujours à balbutier
à bégayer
à boiter
dans la chair impossible de la jointure.
Notre vérité. Levée depuis ces échardes
ces visages dénoués
noir sur blanc
et qui s'effilent dans l'aigu
tandis que tout autour
s'aggrave la clarté.
*
Derrière les yeux,
ce qui compte est sans regard.
Et sans lumière, dans le jour de la mémoire.
Ce vacarme.




   TEMPS DISJOINT

   Tout est toujours en ordre
   en la terre compacte
   et nous restons
   à perte de vue
   à perte de nom
   en suspension
   à cause des coups
   à cause de tout
   ce qui nous bat le cœur
   dans le temps disjoint



   ce n’est pas le rapport au temps
   qui importe
   c’est son port

   comment portez-vous le temps
   qui vous porte

   comment parlez-vous des morts
覧覧覧覧覧覧覧覧覧覧

POUR VOIR VENIR LA NUIT

                                           à Bernadette Griot,


Ecrire comme marcher,  disait l’ami de la promenade. Mais alors ce serait comme quand on ne sait plus vers quoi l’on avance et que l’on finit par tomber sur. Rencontrer. Quelque chose qu’on ne reconnaît pas. Tant on est perdu. Quelque chose qui nous blesse.
Un soleil. Ou la nuit.

*

Marcher. Marcher encore. Marcher malgré la fatigue. Marcher dans la fatigue. Avec dans le coffre, ce retard du cœur. Et devant, juste la nuit qui tombe. Avec, à l’arrière, les brouillards qui filent. Le froid qui hante la pluie. Ses écarts. Jusque dans la neige.
En montagne, un corps c’est de la peur qui avance soit parce que le mauvais temps menace, soit parce que le passage s’est fait soudain aérien. C’est elle qui remue ciel et terre. C’est elle qui rend les pas si peu assurés qu’ils se pressent à bâtir un belvédère. Pour monter, encore. Un peu. Et voir venir la nuit. Juste avant, le tas de pierres du noir.
Ensuite, ce sera rester là. En bord de monde. Les yeux ni en haut, ni en bas mais devant. Loin. Dans l’épaisseur du sombre et la ralentie du temps. Pas pour effacer. Juste estomper le fond qui vient imposer comme une douceur à cette cage d’os en émoi. La ramener au bercement. Antérieur à tout ravage.

*

Ce qu’ici l’on voit, c’est moins la vérité que son visage. Celui qui nous regarde et nous renvoie après bien des pas au dehors.
Pas de maison. Pas de lieu où demeurer. Pas de paradis.
Nous sommes vraiment d’un partage orphelin. Des êtres de nulle part Des errants, pas des manants. À jour perdu, c’est ainsi que toujours le dehors rentre, par coup. Par effraction. Avant de se perdre, en glissando sur les nerfs. Et nous jeter sur les routes dans le temps disjoint. Toujours dehors.

*

Regarder de dos venir la nuit, à l’encontre du vent qui mène on ne sait où ses tisons, augmente démesurément le bruit des blocs noirs et des étoffes sombres qui roulent jusqu’à nous leurs fumées fin de deuil. Ce qu’ici l’on entend, c’est moins le vérité que son accent.

Fait entre Valberg et Nice, à la Toussaint 2003
Repris en novembre 2004


 
Alain Freixe accompagné des Slilex de Daniel Mohen
pour francopolis janvier 2005


D'autres œuvres de Daniel Mohen

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Créé le 1 mars 2002

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