Autoportrait
en si mineur
L’œil
qui voit est plein de ténèbre – l’œil de lumière est presque aveugle
il est trop
lumineux pour voir, l’autre – trop ténébreux pour manquer de vision
des
vagues de brume s’écoulent de l’un à l’autre par un canal secret
et se
déversent les inondant d’une lourde mélancolie
par-dessus
reviennent des notes d’une douceur insupportable
la
clarté fend le cœur – c’est peut-être le mystère de la conversion
si
seulement le chaos des roches d’antan peut émerger tout remplir
mâcher
l’âme entre des pierres de moulin jusqu’au silence des minuits
dont
surgissent des aubes incertaines entre deux interrogations
l’une
montant à quatre pattes l’autre descendant à reculons de quatre marches
sous le
toit cassé la lune s’invite dans ton cerveau
pour
délivrer les eaux qui te submergent
déchaînée
la tempête est à nouveau là
quand
une mélodie oubliée revient et confond tout
mais le
dernier mot
doit
être le premier
Écouter la Sonate en si
mineur de Franz Liszt dans l’interprétation ravageuse de Lazar
Berman :
https://www.youtube.com/watch?v=jjjfbmjJlQ0
ainsi qu’une autre,
datant de juillet 2020 et qui est probablement d’Igor Levit :
https://www.youtube.com/watch?v=staE5zq7tPQ

Josef Danhauser
(1805-1845), Liszt am Flügel / Liszt au piano, 1840. Alte Nationalgalerie,
Berlin.
Ce fichier et sa description proviennent de Wikimedia Commons :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Josef_Danhauser_Liszt_am_Fl%C3%BCgel_1840_01.jpg
***
La
chambre anéchoïque
Dans
le vide ils sont produits mais on ne les entend pas
il n’y
a rien pour faire écho pas de parois surfaces objets quelconques
au
point de se demander s’ils peuvent seulement se propager
je
pense que non
l’onde
subsiste si des particules existent pour faire obstacle
faire
avancer pulser d’un point à l’autre se réverbérer se faire entendre
ainsi
l’espace n’est forcément pas vide puisque ondes y vont et viennent
particules
émettent et sont émises sons s’entendent et se taisent
lumière
s’y meut et émeut cœurs battent et cessent
nerfs
s’énervent et se tendent cerveaux explosent mains écrivent des poèmes
mais
si une toute petite chambre anéchoïque peut être introduite dans l’espace
vraiment
véritablement
tout y
serait absorbé oui c’est le trou noir
il y en
a une infinité en fait – une passoire je te dis une passoire…
Écouter (non pas 4’33’’
qui est complètement anéchoïque mais) Dream
(une composition pour
piano de 1948),
par ce grand architecte
des silences qu’est John Cage :
https://www.youtube.com/watch?v=9hVFCmK6GgM

“Everything we do is
music.". John Cage’s Quotations,
https://quotes.pub/q/everything-we-do-is-music-classical-composerfrom-433-512656
***
Le
brin d’herbe
Le défi
du brin d’herbe seul sous l’œil de la tornade
quand
roulent les tambours des tonnerres et se déchaînent les vents
par-dessus
les cordes qui se déchirent
je ne
sais chanter mais lui il chante pour moi
il joue
du piano il joue le larghetto du deuxième concerto de Chopin
un ciel
lourd noir apaisé s’appuie sur sa cime frêle
jusqu’au
silence des racines
lui il
n’en a pas mais se tient tout seul dans le vide
Jadis
je traversais les champs et les forêts vertes de la Germanie heureuse
à
l’aube de l’ère moderne quand l’art était encore nature
mon âme
s’abreuvait de sources vives de nuages et de plantes
je
n’avais pas de pieds pour courir je dévalais les pentes
en me
roulant dans l’herbe et mes pensées naissantes
s’accrochaient
dans les ronces
j’étais
une bouche large ouverte et un souffle ardent
refroidi
par les torrents encore vifs qui gelaient en hiver dès la nuit venue
les
matins je faisais gicler le sang des geysers de sons
de sous
le ventre de la terre que j’étais
sans
bonheur sans malheur
Écouter le concerto n° 2 de Frédéric Chopin,
dont Baudelaire disait : « cette musique légère et passionnée qui ressemble à un
brillant oiseau voltigeant sur les horreurs d'un gouffre »,
dans l’interprétation abyssale de
Samson François, une vidéo historique : https://www.youtube.com/watch?v=6TM8teAy7r0
(le
larghetto est à partir de la minute 32)

Photo et présentation reproduites de :
Texte
et photos de Céline et Jacques Lanciault
Photo ci-dessus : Le
magnifique monument représentant le grand compositeur polonais Frédéric
Chopin est une des attractions principales du parc du palais de Łazienki. Le monument a été réalisé en 1907 par le
sculpteur polonais Waclaw Szymanowski. Mais, la Première
Guerre mondiale retarda son installation… qui fut réalisée en 1926. Durant
la Deuxième Guerre mondiale, les Allemands l’ont détruit. Le moule de la
statue ayant survécu, un nouveau moulage a été réalisé et
« Chopin » a repris sa place dans le parc en 1958!
http://www.jacqueslanciault.com/2016/09/16/varsovie-parc-lazienki-superbe-monument-a-frederic-chopin/
©Dana
Shishmanian
|