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graphiques empreintes de poésie

ARCHIVES : CRÉAPHONIE

 

 

 

La visite à l’atelier, un livre sous le bras…

Les photos ci-dessous sont prises en amateur… que les lecteurs – et surtout, les artistes – ne m’en veuillent pas, les œuvres sont surprises sur les murs mal centrées et reflétant la lumière tombante, mon propos n’était pas de retracer une exposition comme pour un album d’art (elle l’aurait pourtant largement mérité !) mais plutôt de fixer, fugaces, des moments de bonheur d’une visiteuse aimante, complice, bien que pressée… L’exposition était ouverte pour quelques jours (23-26 mars) dans la galerie-atelier de Dominique Charpentier (Paris 11e); une rencontre  de 5 artistes-peintres, car exposaient également Alena Meas (bien connue aux lecteurs de Francopolis), Mathilde Lachal, Marion Ribardière, et l’artiste brésilien Kinkas Caetano. A posteriori, le livre sous le bras – que je n’avais pas physiquement, mais le portais dans mon cœur – s’imposa à moi, pour illustrer ces instants de grâce : les Sèves et veines d’Anne Lauricella (auteure présente à Francopolis dans la sélection de mars 2017). Un « journal des sensations »… autrement dit, un livre de poèmes où l’osmose dedans / dehors, poreuse, incertaine, mal assurée, passe par les mots, ces mots guettés, attrapées, attendus, reçus, enregistrés, partagés tous les jours, comme des objets précieux mais de pauvre apparence, dont la magie cachée est à refaire jaillir… pour engendrer des états quasi-extatiques qui transforment l’être et le temps.

Ce cheminement entre images et paroles m’a semblé finalement faire sens, et pouvoir dévoiler des expériences intimes qui nous nourrissent, nous font grandir. En espérant partager cela, en toute amitié…

Dana Shishmanian

*

AnneLauricella-publications-art.jpg

 

Les extraits du livre d’Anne Lauricella, Sèves et veines (éd. Isolato, 2013), sont placés ci-dessous en guise d’illustrations des photos des œuvres : ce montage appartient exclusivement à l’auteure de la présente rubrique, qui demande pardon aux artistes et à l’auteure des textes pour ces rapprochements purement personnels.

Auteure de livres sur l’art pour jeunes et moins jeunes – 3 publications sorties en 2016 aux éditions Eliart, sur Monet, Vermeer, Klee – Anne a une sensibilité toute particulière à la peinture, ce qui rend moins arbitraire, de ma part, le montage ci-dessous.

 

Dominique-JardinAtelier

L’entrée à l’atelier par le jardin…

 

Anne lauricella par Magali Cazo

Portrait par l’artiste Magali Cazo

« Un mois sans écrire, à l’exception de quelques heures acharnées sous les volutes odorantes d’un jasmin espagnol. Puis la convalescence, la fatigue lente, le sang lourd. Puis la poussée vive, impérieuse, d’un suc nouveau en mes veines, sève pleine et déjà mûre, forte et solide, issue du sol enfin prêt, germé, éclos. Coulée qui emporte les mots, les entraîne en leurs flots comme des pierres, les tait et les suspend. »

Anne Lauricella

(extrait de Sèves et veines, éd. Isolato, 2013)

 

 

« il faudrait la paix d’un lac… »

 

Dominique-3a

 

écrire

mais il faudrait

la paix d’un lac

sur mon cœur

non ces amas compliqués

dont le voilà

ferré

 

Dominique-3b

 

la laideur scrupuleuse

des façades

sous le ciel vertical

 

*

vraiment ça me fait mal

ces bâtiments laids

tendus dans ma vitre

comme du linge sale

 

le lait caillé du ciel

m’écœure ainsi

que le blanc crémeux

des façades mortes

 

Dominique-2b

 

Il est des heures blanches et nues, à la réalité comme épluchée sous nos yeux, à la chair affadie par une luminosité trop crue. Celle d’une mi-février que le froid, les jours traversés, en suites brèves, ont durci comme l’acier.

Devant moi : l’air lacéré de givre, suspendu au-dessus d’un vide qui restera, jusqu’au soir, incomblé.

 

*

confinée

derrière mon carreau

à lustrer le bleu

incomparable et beau

du ciel

 

quel mot vrai

me rendrait

la paix de vivre ?

 

Dominique-1a

 

écrire

c’est habiller

la réalité la plus nue

du revêt le plus juste

- ou le tenter

 

*

 

remplir l’instant

comme

au-dedans de l’œuf

la matière lisse et lourde

épouse les contours

 

Dominique-1b

 

dans l’ombre à l’affût

je cherche à reprendre souffle

et consistance

- tandis qu’eux

tranquillement passent

offerts à la lumière

 

Dominique-2a

qu’ai-je à dire

sinon ma colère triste

d’être n’étant pas

là où je le dois ?

 

et eux qui nuisent

eux qui disent

« tu n’es pas des nôtres

tu n’as pas trouvé encore

la Voie qui mène jusqu’à nous »

 

Œuvres de Dominique Charpentier

 

 


 

« j’ai fait vœu de joie… »

 

 

Kinkas-2

 

Je n’ai pas d’aventures, pas de voyages secrets, de grands rêves cachés : que de minuscules souvenirs d’enfance, communs à tous et de tous les jours, à faire naître au monde, comme des enfants.

 

*

des mots

jetés comme ça

au vent du silence

 

un peu d’herbe pousse

est-ce que ça fera

une prairie ?

 

Kinkas-3

 

mais on n’a pas le droit d’ignorer

qu’à vos pieds l’enfant

qui passe pousse son vélo

vous ignore vous

et vos meurtrissures

 

*

Ici

Ce seront mes enfants

 

aux uns les fruits

aux autres les fleurs

 

Ici

Ce seront mes enfants-fleurs

 

Kinkas-1

 

J’ai fait vœu de joie

comme on fait vœu de chasteté

comme on fait feu de joie

 

J’ai fait vœu

de toujours être en voie

de m’approcher

de moi

 

Œuvres de Kinkas Caetano

 

 

 

« cette déchirure qui nous relie… »

 

Marion

 

seule dans la maison

mais pas encore assez

y roule encore la vie pulsée des hôtes

dans les meubles les murs les silences

*

 

Le plateau blanc laqué de mon bureau. J’observe la craquelure fine qui forme une ligne verticale en son centre, terminée par une forme de delta. J’apprécie de mon doigt le très léger renflement qu’elle fait, comme une blessure fraîche, sur cette surface lisse. Sur cette même table, même griffure, même delta souvent observé, l’adolescente que je fus préparait ses devoirs sous le toit d’une maison qu’elle croyait encore sauve. Trouble long à me pencher le long de cette déchirure qui nous relie.

 

Œuvres de Marion Ribardière

 


 

 

« l’éclat de ma colère »

 

Mathilde-1

 

enfermée

dans mon sang

afin que nul

ne reçoive

l’éclat

de ma colère

 

Mathilde-2

 

mais

il se trouve que tant de douleur répandue

est une offense à tout

ce qui n’est pas elle

l’appartement et ses respirations

la musique qu’on y compose – son allégresse

les arbres aimés par la fenêtre

la chatte endormie dans les vêtements

tout

ce qui permet ces mots

 

Œuvres de Mathilde Lachal

 

 

 

 

« où est mon centre ? »

 

Alena-1

 

soudain une lumière froide descend

pénètre droite dans l’appartement

lui injecte sa verticale

éradique tout sentiment de protection

dénude mon existence

 

*

puis tout s’éteint tout

prend la couleur du soir

les noirs s’avancent

les blancs renoncent

s’enfoncent dans un

lointain oublié

 

*

et c’est un océan de ciel

qui nous passe sur la tête

ses tempêtes et tourments

et nous arbres immeubles

hommes et plantes nous balançant

comme des araignées

par-dessus des balcons hissés

comme les grands ponts

d’un navire lent avançant

sur ces orages

 

Alena-4

 

Où suis-je ? Mes phrases envolées comme des grives à l’approche du chasseur. Le stylo figé en l’air comme un fusil dans les frimas d’hiver, face à la plaine soudain vide et silencieuse.

Où suis-je ? Par la fenêtre, petite famille passant, grappe d’enfants accrochée au landau dormant, devant le pas fatigué et serein des parents. Et moi, qui me bats avec les mots derrière ma vitre.

Quelle est la réalité ? Dans la pièce, les volutes charnelles du violoncelle, sous les assauts voluptueux de Navarra. Et le soleil dur d’automne au-dehors, qui coule au sol des ombres étirées. Et les enfants se poursuivant, et moi, toujours, guettant les mots lents.

Suis-je au plus juste ? Quelle réalité accorder à mes aventures solitaires ? Sur le papier, quelques tracés, échappés de mes batailles. Et toujours au-dehors, l’épuisement long du soir.

*

il faudrait plus d’ardeur dans le silence

plus de tension dans l’attention

de clairvoyance dans la transparence

 

Alena-3

 

Nuit

à travers les branches

l’ocre barbouillé

des fenêtres

luit

 

Nuit

branches balancées

les font scintiller

comme des feux

puis

 

- cela me rassure

que d’autres aussi

éclairent dans la nuit

leur cuisine

 

*

point vu le jour décliner

seule la nuit

à vide abattu

 

*

nuit qui vient

hachures d’arbres

au bas du ciel

blême

 

Alena-2

 

où est mon centre ?

- avide à vide

 

*

qu’ont-elles les fenêtres

à n’exprimer qu’âmes vides ?

 

leur alignement de rectangles noirs

 

c’est qu’aujourd’hui nul ciel

ombre ni clarté dont se faire l’écho

 

seul le rien, son emprise empoisonnante

 

Alena-5

 

imparablement gris

sans reflet

toute lumière bue

le goudron sous ma fenêtre

- tout contre lui

l’haleine bas du ciel

 

*

plus envie d’écrire à l’encre de la douleur

mais alors quoi

et l’encrier

- vide ?

 

*

relire aussitôt les mots écrits

quelque chose une pudeur extrême

se refuse à leur contact

 

*

cette fois

suis dans février comme

en l’éternité

plus d’attente, d’été

 

ici ailleurs

- le même blanc intérieur

 

Alena-RosesAlchimiques

 

vague  incertaine  solitaire

 

hors des contours

je me répands

fleur d’absence

aux autres épines

et de cela je m’accuse

et me lamine

 

*

ma raison d’exister

être assise là

prête à cueillir

la vibration

 

*

poèmes

j’aimerais qu’ils disent et redisent

une même chose sous de petits angles différents

longtemps

 

Œuvres d’Alena Meas

 

 

Dominique-Alena.jpg

Merci à Dominique et à Alena pour cette visite… et à tous les artistes !

Merci à Anne pour la permission de reproduire ses textes

(Sèves et veines, éd. Isolato, 2013).

 

 

 

 

Créaphonie

Francopolis, mai 2017

recherche Dana Shishmanian

 

 

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Créé le 1 mars 2002