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La
visite à l’atelier, un livre sous le bras… Les photos ci-dessous sont prises en amateur… que
les lecteurs – et surtout, les artistes – ne m’en veuillent pas, les œuvres sont
surprises sur les murs mal centrées et reflétant la lumière tombante, mon
propos n’était pas de retracer une exposition comme pour un album d’art (elle
l’aurait pourtant largement mérité !) mais plutôt de fixer, fugaces, des
moments de bonheur d’une visiteuse aimante, complice, bien que pressée…
L’exposition était ouverte pour quelques jours (23-26 mars) dans la
galerie-atelier de Dominique Charpentier (Paris 11e); une
rencontre de 5 artistes-peintres, car
exposaient également Alena Meas (bien connue aux
lecteurs de Francopolis), Mathilde Lachal, Marion Ribardière, et l’artiste brésilien Kinkas
Caetano. A
posteriori, le livre sous le bras – que je n’avais pas physiquement, mais le
portais dans mon cœur – s’imposa à moi, pour illustrer ces instants de grâce :
les Sèves et veines d’Anne
Lauricella (auteure présente à Francopolis dans la sélection de mars 2017).
Un « journal des sensations »… autrement dit, un livre de poèmes où
l’osmose dedans / dehors, poreuse, incertaine, mal assurée, passe par les
mots, ces mots guettés, attrapées, attendus, reçus, enregistrés, partagés
tous les jours, comme des objets précieux mais de pauvre apparence, dont la
magie cachée est à refaire jaillir… pour engendrer des états quasi-extatiques
qui transforment l’être et le temps. Ce cheminement entre images et paroles m’a semblé
finalement faire sens, et pouvoir dévoiler des expériences intimes qui nous
nourrissent, nous font grandir. En espérant partager cela, en toute amitié… Dana Shishmanian *
L’entrée à l’atelier par
le jardin…
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« il faudrait la paix d’un lac… » écrire mais il faudrait la paix d’un lac sur mon cœur non ces amas compliqués dont le voilà ferré la laideur scrupuleuse des façades sous le ciel vertical * vraiment ça me fait mal ces bâtiments laids tendus dans ma vitre comme du linge sale le lait caillé du ciel m’écœure ainsi que le blanc crémeux des façades mortes Il est des heures blanches et nues, à la réalité comme épluchée sous
nos yeux, à la chair affadie par une luminosité trop crue. Celle d’une
mi-février que le froid, les jours traversés, en suites brèves, ont durci
comme l’acier. Devant moi : l’air lacéré de givre, suspendu au-dessus d’un vide
qui restera, jusqu’au soir, incomblé. * confinée derrière mon carreau à lustrer le bleu incomparable et beau du ciel quel mot vrai me rendrait la paix de vivre ? écrire c’est habiller la réalité la plus nue du revêt le plus juste - ou le tenter * remplir l’instant comme au-dedans de l’œuf la matière lisse et lourde épouse les contours dans l’ombre à l’affût je cherche à reprendre souffle et consistance - tandis qu’eux tranquillement passent offerts à la lumière qu’ai-je à dire sinon ma colère triste d’être n’étant pas là où je le dois ? et eux qui nuisent eux qui disent « tu n’es pas des nôtres tu n’as pas trouvé encore la Voie qui mène jusqu’à nous » Œuvres de Dominique Charpentier |
« j’ai fait vœu de joie… » Je n’ai pas d’aventures, pas de voyages secrets, de grands rêves
cachés : que de minuscules souvenirs d’enfance, communs à tous et de
tous les jours, à faire naître au monde, comme des enfants. * des mots jetés comme ça au vent du silence un peu d’herbe pousse est-ce que ça fera une prairie ? mais on n’a pas le droit d’ignorer qu’à vos pieds l’enfant qui passe pousse son vélo vous ignore vous et vos meurtrissures * Ici Ce seront mes enfants aux uns les fruits aux autres les fleurs Ici Ce seront mes enfants-fleurs J’ai fait vœu de joie comme on fait vœu de chasteté comme on fait feu de joie J’ai fait vœu de toujours être en voie de m’approcher de moi Œuvres de Kinkas Caetano |
« cette déchirure qui nous
relie… » seule dans la maison mais pas encore assez y roule encore la vie pulsée des hôtes dans les meubles les murs les silences * Le plateau blanc laqué de mon bureau. J’observe la craquelure fine qui
forme une ligne verticale en son centre, terminée par une forme de delta.
J’apprécie de mon doigt le très léger renflement qu’elle fait, comme une
blessure fraîche, sur cette surface lisse. Sur cette même table, même
griffure, même delta souvent observé, l’adolescente que je fus préparait ses
devoirs sous le toit d’une maison qu’elle croyait encore sauve. Trouble long
à me pencher le long de cette déchirure qui nous relie. Œuvres de Marion Ribardière |
« l’éclat de ma colère » enfermée dans mon sang afin que nul ne reçoive l’éclat de ma colère mais il se trouve que tant de douleur répandue est une offense à tout ce qui n’est pas elle l’appartement et ses respirations la musique qu’on y compose – son
allégresse les arbres aimés par la fenêtre la chatte endormie dans les vêtements tout ce qui permet ces mots Œuvres de Mathilde Lachal |
« où est mon centre ? » soudain une lumière froide descend pénètre droite dans l’appartement lui injecte sa verticale éradique tout sentiment de protection dénude mon existence * puis tout s’éteint tout prend la couleur du soir les noirs s’avancent les blancs renoncent s’enfoncent dans un lointain oublié * et c’est un océan de ciel qui nous passe sur la tête ses tempêtes et tourments et nous arbres immeubles hommes et plantes nous balançant comme des araignées par-dessus des balcons hissés comme les grands ponts d’un navire lent avançant sur ces orages Où suis-je ? Mes phrases envolées comme des grives à l’approche
du chasseur. Le stylo figé en l’air comme un fusil dans les frimas d’hiver,
face à la plaine soudain vide et silencieuse. Où suis-je ? Par la fenêtre, petite famille passant, grappe
d’enfants accrochée au landau dormant, devant le pas fatigué et serein des
parents. Et moi, qui me bats avec les mots derrière ma vitre. Quelle est la réalité ? Dans la pièce, les volutes charnelles du
violoncelle, sous les assauts voluptueux de Navarra.
Et le soleil dur d’automne au-dehors, qui coule au sol des ombres étirées. Et
les enfants se poursuivant, et moi, toujours, guettant les mots lents. Suis-je au plus juste ? Quelle réalité accorder à mes aventures
solitaires ? Sur le papier, quelques tracés, échappés de mes batailles.
Et toujours au-dehors, l’épuisement long du soir. * il faudrait plus d’ardeur dans le silence plus de tension dans l’attention de clairvoyance dans la transparence Nuit à travers les branches l’ocre barbouillé des fenêtres luit Nuit branches balancées les font scintiller comme des feux puis - cela me rassure que d’autres aussi éclairent dans la nuit leur cuisine * point vu le jour décliner seule la nuit à vide abattu * nuit qui vient hachures d’arbres au bas du ciel blême où est mon centre ? - avide à vide * qu’ont-elles les fenêtres à n’exprimer qu’âmes vides ? leur alignement de rectangles noirs c’est qu’aujourd’hui nul ciel ombre ni clarté dont se faire l’écho seul le rien, son emprise empoisonnante imparablement gris sans reflet toute lumière bue le goudron sous ma fenêtre - tout contre lui l’haleine bas du
ciel * plus envie d’écrire à l’encre de la
douleur mais alors quoi et l’encrier - vide ? * relire aussitôt les mots écrits quelque chose une pudeur extrême se refuse à leur contact * cette fois suis dans février comme en l’éternité plus d’attente, d’été ici ailleurs - le même blanc intérieur vague
incertaine solitaire hors des contours je me répands fleur d’absence aux autres épines et de cela je m’accuse et me lamine * ma raison d’exister être assise là prête à cueillir la vibration * poèmes j’aimerais qu’ils disent et redisent une même chose sous de petits angles
différents longtemps Œuvres d’Alena Meas |
Merci à Dominique et à
Alena pour cette visite… et à tous les artistes ! Merci à Anne pour la permission
de reproduire ses textes (Sèves et veines, éd. Isolato, 2013). |
Créaphonie
Francopolis,
mai 2017
recherche Dana
Shishmanian
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