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ARCHIVES : CRÉAPHONIE

 

 

 

Mai-juin 2020

 

 

« … je suis le musicien de Dieu … »

 

Poème de Michel Ostertag

(*)

 

JeanSébastienBach 

 

 

Je m’appelle Jean-Sébastien de mon prénom et Bach de mon nom.

Je suis musicien, organiste au temple de ma ville.

Je compose de la musique religieuse,

Mais pas seulement, aussi de la musique dite profane

Enfin est-elle si profane que cela peut paraître ?

J’en doute, tant mon Dieu me suit partout, derrière chaque note

Au-dessus ou au-dessous de chaque portée, je sens sa présence

Invisible mais présente. J’œuvre pour lui, il me le souffle à l’oreille

Quand je dors, c’est de lui, enfin, de sa musique que je rêve,

Que j’imagine et il faut le dire, ma modestie dussé-je en souffrir,

Je pense que j’y arrive plutôt bien. Il suffit de voir la tête

Des fidèles, le dimanche à l’office pour en être convaincu.

Je m’appelle Jean-Sébastien Bach et je suis le musicien de Dieu

 

 

C’est la première fois et la dernière que je prends la parole. Dorénavant, seule la musique s’exprimera à ma place. Faites parler ceux qui m’écoutent et m’aiment.

 

Oui, c’est vrai, sa musique enchante l’âme

Ouvre les cœurs

                Facilite la parole

Et c’est à chaque fois, la même chose,

On a envie de parler, de dire notre ressenti

                Que les âmes et les cœurs à l’unisson

Puissent prendre la parole

Et la garder ; la musique transcende. Je veux parler,

                Je veux dire ce que la musique me donne

M’apporte, me nourrit, m’irrigue en force vitale.

Le temps d’un morceau et me voici différent ;

Le temps d’un allégro et mon sang bouillonne

Dans mes veines, d’un lamento et mes yeux se mouillent

De pleurs. Je compose au rythme de ma respiration, son souffle se mêle au mien. Parfois, un morceau léger, un trio, un air de trompettes, vient rafraîchir mon

Inspiration pour un moment,

Loin des Evangiles Jean-Sébastien se repose ;

                Il ne pense qu’à se reposer, se distraire, jouer

Avec les notes, les mélanger, les assembler,

Faire sonner les sonorités qu’il aime,

                Mais ces instants ne durent guère,

Il est vite repris par sa passion, cette musique qui

                Lui tient tant à cœur : glorifier le nom de Dieu

Est son Credo, son leitmotiv, son point d’orgue

 

Cette musique

Me monte

A la tête

                Au cœur

Me disperse

M’enivre

                Me rend

A moi-même

Changé en éternel

Humain.

                Pour un instant

Une heure, une journée

La vie.

Fourmillement, incandescence qu’on ne peut refréner, dompter, contrôler, mustangs au galop qui dévalent bois et prairies au rythme infernal d’une chevauchée divine.

 

Je suis à terre,

Meurtris de tant

                De force

Au-delà de la force

Habituelle

De l’énergie

                Insoupçonnée

Qui m’écrase

À force de me

Piétiner ;

                Ce feu

M’envahit

Me conquiert

 

La trompette rugit, seule au-dessus du lot des cordes, on n’entend qu’elle. L’ensemble est là pour l’accompagner, la soutenir, la mettre en valeur.

Elle entre en moi,

Me disperse

                Me fragmente

M’explose

Fait de moi, de

                Mon âme

Une partie d’elle-même

Je suis trompette

À mon tour

                Mon âme est trompette,

Mon cœur de même

Son souffle est en moi.

Je plane sur ces notes

 

Puis, tout s’apaise pour annoncer l’adagio bien venu après tant d’énergie dépensée. Les cordes se font entendre, calme et paix, recueillement pour son Dieu tellement aimé, honoré.

Cette musique

Est-elle issue

                D’un humain ?

De Dieu lui-même ?

Ou Dieu a-t-il

Guidé sa main,

                A lui, Jean-Sébastien ?

Dieu fait musicien

Est ici, devant nous,

A nous parler,

                Parmi ces notes

Au milieu

 

De ces notes

 

La voix qui se fait entendre n’est pas complètement humaine, entre chacune des notes jouées, la petite voix, petite, mais présente et si terriblement forte de Dieu est présente.

 

Je touche du doigt

À l’ineffable

                À l’invisible

Au non-dit

Au-delà des mots

Des sentiments exprimés

                Il y a cela

Des notes, des cordes

Qui vibrent,

Un son aigu

                Qui sort des trompettes

D’autres des hautbois,

Des violoncelles…

 

 

Frères humains, unissons-nous, instrument de musique à la main ou à la bouche pour une Communion de musique et d’amitié. Soyons fiers de ce que nous sommes et de ce

 

Que nous sommes

Capables de donner

                Plus haut que nous-même

Plus haut que pourrait

                Porter nos regards

Nous étions chétifs

Et nous voilà subitement

Dotés d’un viatique

               

Qui nous hisse à la plus

Haute cime et nous

Incite à tutoyer

Cieux et prophètes

                Par amour du prochain.

 

Moi, Jean-Sébastien, tout au long de ma vie terrestre, chaque jour, chaque instant de ma vie a été teinté uniquement de cette même couleur de piété, de renoncement de moi.

 

Que pouvais-je être

                Face à Lui ?

Poussière misérable

Grain invisible

Dans la mer du cosmos

                J’ai préféré lui rendre

Gloire. Me comparer à Lui ?

N’y jamais penser !

Chaque note écrite, jouée lui a été

Dédiée, sans jamais faillir

                Ni réduire intensité ni force

Je suis son musicien

Je le crée comme il m’a créé.

 

Ma force apparente, il me l’a prêtée ; mon agilité à toucher les cordes, à frapper les notes sur le clavecin, sont de lui, rien de moi n’est de moi. Tout est de Lui ? Ce souffle

 

Qui anime ma poitrine,

Rend mon inspiration

               

Si déliée, si féconde,

Cette facilité qui éblouit

Mes contemporains

Les rend jaloux

                Rien n’est de moi, vous dis-je !

Ces dons m’ont été donnés

À cette seule fin

                Parler de Lui,

Le montrer dans sa magnificence

Sa grandeur, son humanité

                Sa détresse aussi.

 

Concerto Brandebourgeois, sommet inégalé, grouillement de mille vies, de mille âmes, incessant mouvement dont l’harmonie nous échappe ; les cordes s’emballent,

 

L’explosion est imminente

Miracle, la paix s’installe

                L’andante vient rasséréner les cœurs

Et les âmes en perdition,

Alléluia ! Sommes-nous sauvés ?

Le calme gagne tout l’orchestre

                Nous sommes réduits à nous-même,

En nous-mêmes, en ce que nous

Avons de meilleur en nous,

                La joie peut revenir, nous sommes prêts

A la recevoir, à y participer

Nous nous plaisons à nous

                Laisser embarquer

 

Par toi, divin Jean-Sébastien, toi seul à connaissance de ce que nous sommes vraiment, ta musique nous touche par sa force et sa grâce mêlées, fruit d’un long recueillement.

 

                Tes tourments sont les nôtres,

Ta peur du divin est aussi notre peur,

               

La crainte de l’Éternel fait partie

De nos craintes au quotidien,

Ton esprit porté à concevoir le monde,

                Nous touche, aujourd’hui comme hier,

Dans un grouillement de mille vies,

De mille âmes, incessant mouvement

Dont l’harmonie nous échappe,

                Les cordes s’emballent, l’explosion

Est imminente, non, pas maintenant,

L’Adagio vient, apaise, calme, détend

Le silence entre les notes

Le silence, court ou long, entre trompettes et violons, entre flûtes à bec et violon­celles savent soutenir ces petites secondes d’éternité, entre Bach et nous, entre Jean-Sébastien

 

Et moi, entre sa musique

Et mon âme.

Que suis-je face à sa musique ?

Que valent mes idées, mes actes,

Dans ce monde d’aujourd’hui

Et lui, Bach, qu’est-il face à moi ?

Sa voix vient de loin et pourtant

Je l’entends avec plus de clarté

 

Que celles d’à-côté.

Sa musique vient d’ailleurs,

D’un monde espéré et désiré ;

Sa musique vient d’un autre monde,

D’un autre temps, d’une autre époque

 

Et pourtant si moderne, si actuelle ; sa fougue, son clinquant, sa note percutante, pétrie d’audace, boostée pour monter au ciel, au-dessus des nuages, en oiseau des cimes.

 

Je suis tout

À cette musique

                A ces notes

Assemblées

Enchevêtrées

                Les unes aux autres

Tapisserie

De l’âme

                Patchwork

De tous les

Instants, des états

D’âme qui vont

                Droit au cœur.

Cette musique tout à la fois m’épuise et me régénère ; tout à la fois, unie et diverse aux sentiments contrastés, violents et doux, universels et individuels : je suis un et tous, moi

 

Et toi

Toi avec moi

                Unis par une

Note qui s’élève

 

Au-dessus de nous

                Loin, là-haut

Quand la note

Disparaît, s’éteint,

                Perd de sa couleur,

S’évapore, sa trace

Se gomme dans nos

                Âmes pour renaître

De nouveau.

Bach océan, fleuve, torrent, tumulte, apaisement, sérénité, recueillement, paix dans le Seigneur, son Maître, celui qui vit en lui, à chaque instant, chaque minute de sa vie,

 

De son clavier d’organiste,

Il sait qu’Il est là,

       Près de lui,

A lui souffler sa foi,

À corriger telles faiblesses,

       Tel manque à son œuvre

Telle note qui fera la différence

       Entre une musique profane

Et une ligne mélodique

Inspirée d’En-haut.

À son oreille viennent se bousculer

       Les chants venus du fond des siècles          

Pour lui, à lui seul offerts

 

Sa vie était la musique, il respirait la musique et la musique le lui rendait au centuple ; sa place était là, devant l’orchestre de chambre ou devant l’organe, là-haut à l’estrade, le

 

Dos tourné aux fidèles

Face à son Dieu, dans un long

       Dialogue, tête-à-tête sublime

Miracle de la musique, Dieu devient ton égal

Pour un instant, un choral

Avec des notes en suspend

                Je monte vers toi, mon Dieu

Pense J-S Bach

Et la joie qu’il ressent

       Lui donne raison.

La dernière note – la plus terrible –

Le fait retombé parmi les humains

       Oiseau blessé aux ailes brûlées par le soleil.

Et le voici de nouveau, le jour même, assis devant son clavier, à chercher d’autres mélodies à créer, à assembler les unes aux autres pour qu’un chant harmonieux puisse

 

S’envoler

Vers les cieux

       Si proches et si lointains.

Le clavier s’anime sous ses doigts,

       Les pieds s’activent, s’enfoncent

Sur la mécanique qui cède sous la pression

Active du compositeur.

L’orgue, Jean-Sébastien ne forment qu’un tout.

       Il a du mal à s’interrompre

Pour noter, fébrile, sur la partition

       Ce qu’il vient d’imaginer

       Puis le silence se fait, la paix du silence,

Le calme tant espéré et tant redouté, aussi

Viennent le saisir pour une méditation intérieure, de celles qui régénèrent l’homme et le transcende. La tête baissée, il se recueille en lui-même, les mains posées devant lui.

 

Le temps s’écoule ainsi

Loin des hommes et leurs bruits.

       Il plie ses partitions ; c’est assez pour aujourd’hui

Il se sent fatigué, ces improvisations vident

 

Son cerveau et obscurcissent ses yeux.

Sa femme n’est plus à ses côtés ; il n’a pas pris

La mesure du drame et croit toujours

       Qu’elle est là à l’accompagner dans sa tâche

De chaque jour. Ses nombreux enfants veillent sur lui

Mais Dieu si lointain et si proche le guide, il veut en être sûr.

       Alors, demain, il écrira une nouvelle cantate à sa gloire

Mais pour l’instant, il se couche et s’endort.

 

Ses pensées intimes chevauchent d’une portée à une autre, s’insinuent dans une ligne mélodique et un bourdonnement d’un grave irréel vient tinter à ses oreilles endormies.

 

Un sourire se dessine sur ses lèvres

En un état second, il happe

       Un paquet de papier à musique

Et à la lumière d’une chandelle précipitamment

Allumée griffonne le rêve

       De sa nuit musicale. Puis il s’endort,

Comme épuisé de tant de bonheur

Reçu. Il pense à la joie

       Demain, de ceux qui vont être

Les premiers à entendre ces notes

Récemment écrites.

« Dieu me tient la main, encore une fois… »

Pense-t-il.

 

Sa vie se déroule, ainsi, réglée, métronomique, au rythme des heures et des journées, moine laïque, sa vie est en accord à ce qu’il a toujours rêvé : être au

 

Service de Dieu.

Éternellement toute sa vie terrestre :

Musique et Dieu divinement mêlés

Chacune de mes notes est une prière

Dit-il à soi-même et à ses amis

Je mourrai au clavier et la tête dans les nuées célestes

Ma musique me survivra, j’en suis convaincu

Et si Dieu le souhaite, elle éclatera aux quatre coins du monde

Comme une expression de sa Puissance et sa Gloire.

Ainsi s’exprima Jean-Sébastien Bach aux derniers jours de sa vie terrestre

Recueillies, ses paroles donnèrent un sens – s’il en était besoin – à toute sa vie

Ses partitions longtemps égarées, furent regroupées et diffusées et à l’heure

De la haute technologie que nous connaissons aujourd’hui sa notoriété ne cesse de s’établir.

 

JS Bach, immortel à jamais et aujourd’hui plus que jamais.

 

©Michel Ostertag

 

 

(*) Ce poème a été inspiré, il y a quelques années, par l’écoute du concerto Brandebourgeois n° 2 de J.S. Bach joué par un orchestre de chambre européen sous la direction de Claudio Abbado, ce qui a provoqué chez moi une inspiration soudaine, comme un délire poétique, intense et non contrôlé, couché aussitôt sur papier, sous l’impulsion de notes venues d’un autre temps, comme dicté par la musique elle-même. Cette sorte de fulgurance fut comme une réflexion sur Dieu et la musique. Le poème devait paraître aux éditions Encres vives (avec une préface d’Éric Dubois) mais au moment de la signature du contrat le projet a dû être abandonné de mon fait, pour cause de maladie. Depuis le temps a passé et il n’a jamais repris corps. L’occasion se présente, l’ayant retrouvé, de vous le faire lire !

M.O.

 

Écoutes proposées :

D.S.

 

Claudio Abado :

Les 6 concertos Brandebourgeois avec l’orchestre Mozart (premier violon Giuliano Carmignola)

(enregistrement Deutsche Grammophon, concert Medici.tv 2008) :

https://www.youtube.com/watch?v=hbQORqkStpk

 

Glenn Gould (piano):

The Goldberg Variations (juin 1955):

https://www.youtube.com/watch?v=Ah392lnFHxM

 

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Hilary Hahn (violon) :

Sonates, partitas: https://www.youtube.com/watch?v=R8xTneajT8Q&list=PLUKf5X9_kU5OXpP3roQbW0YiYbZ9Ybf4H&index=2

https://www.youtube.com/watch?v=iEBX_ouEw1I (Partita 1)

https://www.youtube.com/watch?v=45xpnTzqSw8

https://open.spotify.com/album/2GLJLkriVbdfDi5W5e3LJM?autoplay=true&v=L

https://www.youtube.com/watch?v=5uCdKH_zHVs  (Partita 2 – chaconne)

Concertos : https://www.youtube.com/watch?v=m_w3NV0Lufg

https://www.youtube.com/watch?v=gc6D9TC2-iM

https://www.youtube.com/watch?v=lB2_hoTCM9k

https://www.youtube.com/watch?v=Erwt9IexcCA

 

 

 

 

Créaphonie : Michel Ostertag

recherche Dana Shishmanian

Francopolis, mai-juin 2020

 

 

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Créé le 1 mars 2002