Je m’appelle Jean-Sébastien de mon
prénom et Bach de mon nom.
Je suis musicien, organiste au temple de
ma ville.
Je compose de la musique religieuse,
Mais pas seulement, aussi de la musique
dite profane
Enfin est-elle si profane que cela peut
paraître ?
J’en doute, tant mon Dieu me suit
partout, derrière chaque note
Au-dessus ou au-dessous de chaque
portée, je sens sa présence
Invisible mais présente. J’œuvre pour
lui, il me le souffle à l’oreille
Quand je dors, c’est de lui, enfin, de
sa musique que je rêve,
Que j’imagine et il faut le dire, ma
modestie dussé-je en souffrir,
Je pense que j’y arrive plutôt bien. Il
suffit de voir la tête
Des fidèles, le dimanche à l’office pour
en être convaincu.
Je m’appelle Jean-Sébastien Bach et je
suis le musicien de Dieu
C’est la première fois et la dernière
que je prends la parole. Dorénavant, seule la musique s’exprimera à ma place.
Faites parler ceux qui m’écoutent et m’aiment.
Oui, c’est vrai, sa musique enchante
l’âme
Ouvre les cœurs
Facilite
la parole
Et c’est à chaque fois, la même chose,
On a envie de parler, de dire notre
ressenti
Que
les âmes et les cœurs à l’unisson
Puissent prendre la parole
Et la garder ; la musique
transcende. Je veux parler,
Je
veux dire ce que la musique me donne
M’apporte, me nourrit, m’irrigue en
force vitale.
Le temps d’un morceau et me voici
différent ;
Le temps d’un allégro et mon sang
bouillonne
Dans mes veines, d’un lamento et mes
yeux se mouillent
De pleurs. Je compose au rythme de ma
respiration, son souffle se mêle au mien. Parfois, un morceau léger, un
trio, un air de trompettes, vient rafraîchir mon
Inspiration pour un moment,
Loin des Evangiles Jean-Sébastien se
repose ;
Il
ne pense qu’à se reposer, se distraire, jouer
Avec les notes, les mélanger, les
assembler,
Faire sonner les sonorités qu’il aime,
Mais
ces instants ne durent guère,
Il est vite repris par sa passion, cette
musique qui
Lui
tient tant à cœur : glorifier le nom de Dieu
Est son Credo, son leitmotiv, son point
d’orgue
Cette musique
Me monte
A la tête
Au
cœur
Me disperse
M’enivre
Me
rend
A moi-même
Changé en éternel
Humain.
Pour
un instant
Une heure, une journée
La vie.
Fourmillement, incandescence qu’on ne
peut refréner, dompter, contrôler, mustangs au galop qui dévalent bois et
prairies au rythme infernal d’une chevauchée divine.
Je suis à terre,
Meurtris de tant
De
force
Au-delà de la force
Habituelle
De l’énergie
Insoupçonnée
Qui m’écrase
À force de me
Piétiner ;
Ce
feu
M’envahit
Me conquiert
La trompette rugit, seule au-dessus du
lot des cordes, on n’entend qu’elle. L’ensemble est là pour l’accompagner,
la soutenir, la mettre en valeur.
Elle entre en moi,
Me disperse
Me
fragmente
M’explose
Fait de moi, de
Mon
âme
Une partie d’elle-même
Je suis trompette
À mon tour
Mon
âme est trompette,
Mon cœur de même
Son souffle est en moi.
Je plane sur ces notes
Puis, tout s’apaise pour annoncer
l’adagio bien venu après tant d’énergie dépensée. Les cordes se font
entendre, calme et paix, recueillement pour son Dieu tellement aimé,
honoré.
Cette musique
Est-elle issue
D’un
humain ?
De Dieu lui-même ?
Ou Dieu a-t-il
Guidé sa main,
A
lui, Jean-Sébastien ?
Dieu fait musicien
Est ici, devant nous,
A nous parler,
Parmi
ces notes
Au milieu
De ces notes
La voix qui se fait entendre n’est pas
complètement humaine, entre chacune des notes jouées, la petite voix,
petite, mais présente et si terriblement forte de Dieu est présente.
Je touche du doigt
À l’ineffable
À
l’invisible
Au non-dit
Au-delà des mots
Des sentiments exprimés
Il
y a cela
Des notes, des cordes
Qui vibrent,
Un son aigu
Qui
sort des trompettes
D’autres des hautbois,
Des violoncelles…
Frères humains, unissons-nous,
instrument de musique à la main ou à la bouche pour une Communion de musique
et d’amitié. Soyons fiers de ce que nous sommes et de ce
Que nous sommes
Capables de donner
Plus
haut que nous-même
Plus haut que pourrait
Porter
nos regards
Nous étions chétifs
Et nous voilà subitement
Dotés d’un viatique
Qui nous hisse à la plus
Haute cime et nous
Incite à tutoyer
Cieux et prophètes
Par
amour du prochain.
Moi, Jean-Sébastien, tout au long de ma
vie terrestre, chaque jour, chaque instant de ma vie a été teinté
uniquement de cette même couleur de piété, de renoncement de moi.
Que pouvais-je être
Face
à Lui ?
Poussière misérable
Grain invisible
Dans la mer du cosmos
J’ai
préféré lui rendre
Gloire. Me comparer à Lui ?
N’y jamais penser !
Chaque note écrite, jouée lui a été
Dédiée, sans jamais faillir
Ni
réduire intensité ni force
Je suis son musicien
Je le crée comme il m’a créé.
Ma force apparente, il me l’a
prêtée ; mon agilité à toucher les cordes, à frapper les notes sur le
clavecin, sont de lui, rien de moi n’est de moi. Tout est de Lui ? Ce
souffle
Qui anime ma poitrine,
Rend mon inspiration
Si déliée, si féconde,
Cette facilité qui éblouit
Mes contemporains
Les rend jaloux
Rien
n’est de moi, vous dis-je !
Ces dons m’ont été donnés
À cette seule fin
Parler
de Lui,
Le montrer dans sa magnificence
Sa grandeur, son humanité
Sa
détresse aussi.
Concerto Brandebourgeois, sommet
inégalé, grouillement de mille vies, de mille âmes, incessant mouvement
dont l’harmonie nous échappe ; les cordes s’emballent,
L’explosion est imminente
Miracle, la paix s’installe
L’andante
vient rasséréner les cœurs
Et les âmes en perdition,
Alléluia ! Sommes-nous
sauvés ?
Le calme gagne tout l’orchestre
Nous
sommes réduits à nous-même,
En nous-mêmes, en ce que nous
Avons de meilleur en nous,
La
joie peut revenir, nous sommes prêts
A la recevoir, à y participer
Nous nous plaisons à nous
Laisser
embarquer
Par toi, divin Jean-Sébastien, toi seul à
connaissance de ce que nous sommes vraiment, ta musique nous touche par sa
force et sa grâce mêlées, fruit d’un long recueillement.
Tes
tourments sont les nôtres,
Ta peur du divin est aussi notre peur,
La crainte de l’Éternel fait partie
De nos craintes au quotidien,
Ton esprit porté à concevoir le monde,
Nous
touche, aujourd’hui comme hier,
Dans un grouillement de mille vies,
De mille âmes, incessant mouvement
Dont l’harmonie nous échappe,
Les
cordes s’emballent, l’explosion
Est imminente, non, pas maintenant,
L’Adagio vient, apaise, calme, détend
Le silence entre les notes
Le silence, court ou long, entre
trompettes et violons, entre flûtes à bec et violoncelles savent soutenir
ces petites secondes d’éternité, entre Bach et nous, entre Jean-Sébastien
Et moi, entre sa musique
Et mon âme.
Que suis-je face à sa musique ?
Que valent mes idées, mes actes,
Dans ce monde d’aujourd’hui
Et lui, Bach, qu’est-il face à
moi ?
Sa voix vient de loin et pourtant
Je l’entends avec plus de clarté
Que celles d’à-côté.
Sa musique vient d’ailleurs,
D’un monde espéré et désiré ;
Sa musique vient d’un autre monde,
D’un autre temps, d’une autre époque
Et pourtant si moderne, si
actuelle ; sa fougue, son clinquant, sa note percutante, pétrie
d’audace, boostée pour monter au ciel, au-dessus des nuages, en oiseau des
cimes.
Je suis tout
À cette musique
A ces notes
Assemblées
Enchevêtrées
Les
unes aux autres
Tapisserie
De l’âme
Patchwork
De tous les
Instants, des états
D’âme qui vont
Droit
au cœur.
Cette musique tout à la fois m’épuise et
me régénère ; tout à la fois, unie et diverse aux sentiments
contrastés, violents et doux, universels et individuels : je suis un
et tous, moi
Et toi
Toi avec moi
Unis
par une
Note qui s’élève
Au-dessus de nous
Loin,
là-haut
Quand la note
Disparaît, s’éteint,
Perd
de sa couleur,
S’évapore, sa trace
Se gomme dans nos
Âmes
pour renaître
De nouveau.
Bach océan, fleuve, torrent, tumulte,
apaisement, sérénité, recueillement, paix dans le Seigneur, son Maître,
celui qui vit en lui, à chaque instant, chaque minute de sa vie,
De son clavier d’organiste,
Il sait qu’Il est là,
Près
de lui,
A lui souffler sa foi,
À corriger telles faiblesses,
Tel
manque à son œuvre
Telle note qui fera la différence
Entre
une musique profane
Et une ligne mélodique
Inspirée d’En-haut.
À son oreille viennent se bousculer
Les
chants venus du fond des siècles
Pour lui, à lui seul offerts
Sa vie était la musique, il respirait la
musique et la musique le lui rendait au centuple ; sa place était là,
devant l’orchestre de chambre ou devant l’organe, là-haut à l’estrade, le
Dos tourné aux fidèles
Face à son Dieu, dans un long
Dialogue,
tête-à-tête sublime
Miracle de la musique, Dieu devient ton
égal
Pour un instant, un choral
Avec des notes en suspend
Je
monte vers toi, mon Dieu
Pense J-S Bach
Et la joie qu’il ressent
Lui
donne raison.
La dernière note – la plus terrible –
Le fait retombé parmi les humains
Oiseau
blessé aux ailes brûlées par le soleil.
Et le voici de nouveau, le jour même,
assis devant son clavier, à chercher d’autres mélodies à créer, à assembler
les unes aux autres pour qu’un chant harmonieux puisse
S’envoler
Vers les cieux
Si
proches et si lointains.
Le clavier s’anime sous ses doigts,
Les
pieds s’activent, s’enfoncent
Sur la mécanique qui cède sous la
pression
Active du compositeur.
L’orgue, Jean-Sébastien ne forment qu’un
tout.
Il
a du mal à s’interrompre
Pour noter, fébrile, sur la partition
Ce
qu’il vient d’imaginer
Puis le silence se fait, la paix du silence,
Le calme tant espéré et tant redouté,
aussi
Viennent le saisir pour une méditation
intérieure, de celles qui régénèrent l’homme et le transcende. La tête
baissée, il se recueille en lui-même, les mains posées devant lui.
Le temps s’écoule ainsi
Loin des hommes et leurs bruits.
Il
plie ses partitions ; c’est assez pour aujourd’hui
Il se sent fatigué, ces improvisations
vident
Son cerveau et obscurcissent ses yeux.
Sa femme n’est plus à ses côtés ;
il n’a pas pris
La mesure du drame et croit toujours
Qu’elle
est là à l’accompagner dans sa tâche
De chaque jour. Ses nombreux enfants
veillent sur lui
Mais Dieu si lointain et si proche le
guide, il veut en être sûr.
Alors,
demain, il écrira une nouvelle cantate à sa gloire
Mais pour l’instant, il se couche et
s’endort.
Ses pensées intimes chevauchent d’une
portée à une autre, s’insinuent dans une ligne mélodique et un
bourdonnement d’un grave irréel vient tinter à ses oreilles endormies.
Un sourire se dessine sur ses lèvres
En un état second, il happe
Un
paquet de papier à musique
Et à la lumière d’une chandelle
précipitamment
Allumée griffonne le rêve
De
sa nuit musicale. Puis il s’endort,
Comme épuisé de tant de bonheur
Reçu. Il pense à la joie
Demain,
de ceux qui vont être
Les premiers à entendre ces notes
Récemment écrites.
« Dieu me tient la main, encore une
fois… »
Pense-t-il.
Sa vie se déroule, ainsi, réglée,
métronomique, au rythme des heures et des journées, moine laïque, sa vie
est en accord à ce qu’il a toujours rêvé : être au
Service de Dieu.
Éternellement toute sa vie
terrestre :
Musique et Dieu divinement mêlés
Chacune de mes notes est une prière
Dit-il à soi-même et à ses amis
Je mourrai au clavier et la tête dans
les nuées célestes
Ma musique me survivra, j’en suis
convaincu
Et si Dieu le souhaite, elle éclatera
aux quatre coins du monde
Comme une expression de sa Puissance et
sa Gloire.
Ainsi s’exprima Jean-Sébastien Bach aux
derniers jours de sa vie terrestre
Recueillies, ses paroles donnèrent un
sens – s’il en était besoin – à toute sa vie
Ses partitions longtemps égarées, furent
regroupées et diffusées et à l’heure
De la haute technologie que nous
connaissons aujourd’hui sa notoriété ne cesse de s’établir.
JS Bach, immortel à jamais et
aujourd’hui plus que jamais.
©Michel
Ostertag
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