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poésie et langage
de
Guillaume Balzarini


DU POÈME        
                                                                                                                    

Et d'une certaine façon, si nous cherchons la sphère d'activité du poème, nous le voyons – et ne le voyons que là : dans le langage. Nous en déduisons que le poème est un rapport « au » ou peut-être « de » langage. Nous ne sommes pas malheureux d'avoir une proposition ferme, bien que contestée: le poème comme rapport au langage, quelle qu'en soit la « visée » expresse ( je veux émouvoir, étonner, envoûter, charmer, rendre perplexe, désoler, réjouir).(Pascal)

Le poème comme rapport au/de langage. Une position ferme. Mais je veux que ce rapport lui aussi gagne en fermeté.

La lecture du rythme de Meschonnic était pour moi trop prosodique (empoignements théoricaux, l'établi) et j'ai écrit aussi dans un texte pour Pascal que la série était l'ouverture. Mais des questions persistent. Beaucoup de questions.

Pourquoi vouloir me donner une idée de la valeur du poème que j'écris? Un c'est inutile et un c'est nécessaire coexisteront. Mais versant nécessaire, il me faut un minimum de solide. Et simplement constater que j'écris un poème c'est insuffisant.

Le style se constate ; en étudier le mécanisme est inutile au point où l'inutile devient dangereux ; ce que l'on peut recomposer avec les produits de la distillation d'un style ressemble au style comme une rose en papier parfumé ressemble à la rose. (R. de Gourmont)

Du solide pas pour me mettre sur des rails. Pas pour que le poème gagne quelque chose. Ce qu'a fait un F. Deligny avec les « cas » donne une direction.

Dans cette optique, faire évoluer des « cas », guérir (dans le sens de délivrer d’un défaut), prendre en charge, éduquer (dans le sens de façonner le caractère), n’ont plus de raison d’être. Il s’agit de créer des circonstances qui vont permettre d’accrocher ces enfants et adolescents à la vie, de les révéler. « Frayer les circonstances nécessaires pour qu’un enfant échappe à son sort tel qu’il est prévisible à partir de ses symptômes3. » Ce qui ne peut se faire qu’en dehors de l’espace de l’institution , en dehors des lieux d’enfermement . Il y a « autre chose » à inventer et cet « autre chose », personne ne sait de quoi il sera fait. Il est à découvrir, à expérimenter.


Ce changement de perception induit un changement de rapport entre les deux termes. Si l’on ne pose plus le problème en termes de pathologie , il ne s’agit plus de proposer des formes et des modèles, ni d’apporter des remèdes. Ce faisant ,Deligny esquive la méthode. Il a toujours résisté à l’attrait de la stabilisation. Selon lui, une tentative qui se laisse fixer est vouée à l’échec. « La marginalité implique toujours l’idée d’une dépendance secrète à la société prétendument normale. La marginalité appelle le recentrement, la récupération. Nous voudrions lui opposer l’idée de minorité. Une minorité peut se vouloir définitivement minoritaire 4. » Une tentative, c’est du minoritaire. Il n’y a pas de méthode Deligny, mais des recherches. Chaque tentative trace une recherche et aucune de ces recherches n’est menée sur le dos des enfants. Il s’agit de construire quelque chose « où les enfants seraient utiles, nécessaires, indispensables en tant que chercheurs 5. » Les délinquants, les caractériels, les autistes sont pour Deligny des alliés étonnants, porteurs d’un rapport singulier au monde, susceptibles de nous permettre de voir nos propres limites, notre propre « enfermement », là où le « soi » fait barrage, empêche.(G. Vella, Étranger le proche, Multitudes 2006/1, 24, p. 175-183.

Rien de mené sur le dos du poème. Simplement dire et redire qu'il est lui aussi un allié étonnant. Mais avant qu'il soit cet allié étonnant, il faut du temps.

Ce furent les années les plus dures, les années de recherche, les années où je devais trouver mon chemin propre.(Brancusi)

j'y suis en plein. C'est un « travail-patience ».

Le travail est écartelé entre le travail corvée de la survie et le travail performance de la Surclasse. C'est négliger que seul le travail-patience engage une amplification inouïe de la liberté, à la fois en extension, par le biais d'un développement de la puissance d'agir.(Chatelet)

Ces quelques pages ont déjà pas mal bougé, et bougeront encore.

Mais il s'agit de le lire, au sens de chercher pourquoi il est celui-là et pas un autre, c'est à dire de chercher sa spécificité, alors l'approche analytique qui conduit la démarche ne peut plus être le vagabondage individuel. On peut faire beaucoup de choses à partir d'un texte, avec lui, dans un rapport à lui, et cela à l'infini, mais cet infini n'est pas n'importe quoi. (G. Dessons & H. Meschonnic, Traité du rythme, A. Colin, p. 187)

Mais il s'agit de l'écrire, au sens de chercher pourquoi il est celui-là et pas un autre… Pas n'importe quoi? Cet infini, c'est le rythme?

L'étude du rythme ouvre sur la valeur des discours, c'est à dire, à la fois, sur leur signification et sur leur inscription dans l'histoire.(G. Dessons & H. Meschonnic, Traité du rythme, A. Colin)
&:
Le rythme est la redondance du sens, la tâche du poète est d'adapter l'un à l'autre. (H. Meschonnic, Pour la poétique III, Gallimard).

Cet infini, la relation entre le rythme et le sens? Adapter?

Si l'on s'en tient à l'écriture, la séparation temps poétique/temps prosaïque d'Edgar Morin convient juste pour dire qu'aujourd'hui ça va du poème à l'écrit dialogique (SMS, courriel, rapport a son supérieur, etc.). Les termes qu'il emploie – poétique et prosaïque – sont peut-être mal choisis, que l'on s'en tienne strictement à l'écriture ou pas. Poème en prose, prose poétique.

Et peut-être les grands romans sont ce qu'ils sont quand ils ont du poème en eux.(H. Meschonnic, Vivre poème, Dumerchez, p. 30)

Mais des temps où j'adapte, d'autres où je n'adapte pas, oui. Seulement la frontière est poreuse. Ou alors on change la frontière pour un curseur. Plus pratique. Curseur inventivité?

Cette réalité, qui appartient au texte dans le moment de la relation qu'il suscite, n'est pas un sens caché, qu'il s'agirait de découvrir, mais une valeur qui' s'invente, d'une invention qui révèle le texte à sa propre inventivité, à sa propre capacité d'invention, c'est à dire à sa capacité de s'inventer et d'inventer la lecture qu'on en a. Cette inventivité est la part d'infini historique qui fait qu'un texte est une oeuvre, et continue d'agir comme une oeuvre, bien après qu'elle était écrite. (G. Dessons & H. Meschonnic, Traité du rythme, A. Colin, p. 188)

OEuvre quand le poème invente?

La poésie doit transformer le monde, elle transforme notre rapport au monde ou elle n'est pas poésie, mais une poétisation. Autrement dit la poésie, c'est l'union maximale du langage et de la vie. Écrire un poème, c'est faire la vie. Lire un poème, c'est sentir la vie qui nous traverse et être transformé par lui. Penser, écrire, c'est travailler à être libre, c'est à dire être vivant. (H. Meschonnic, Vivre poème, Dumerchez, p. 12)

Le poème, il fait qqchose au monde, au langage au sujet – celui qui écrit, celui qui lit? À tout ça, il semble. Mais Meschonnic est-il assez précis du coup?

On s'imagine souvent que le progrès de la linguistique sortira de théories nouvelles. Ce qui en réalité est l'essentiel, c'est de réaliser un progrès de plus dans la précision des observations. (A. Meillet, en préambule du traité du rythme de G. Dessons et H. Meschonnic.)

Oui il est précis : union maximale du langage et de la vie, maximale au point de transformer le monde mais aussi le langage et le sujet. Mais comment cette union maximale advient elle? Là est-il tout aussi précis.

L'étude du rythme ouvre sur la valeur des discours, c'est à dire, à la fois, sur leur signification et sur leur inscription dans l'histoire. (G. Dessons & H. Meschonnic, Traité du rythme, A. Colin)


On sait bien qu'il existe une manière harmonieuse, agréable à l'oreille, d'assembler les mots, comme l'ont fait Racine ou Verlaine, Apollinaire ou Cadou, mais on ne sait pas vraiment la définir. (J. Charpentreau, Dictionnaire de la poséie)

D'une façon générale il n'y a pas de poème sans contraintes, puisque la poésie utilise les mots en les assemblant autrement que dans le langage courant.(J. Charpentreau, Dictionnaire de la poséie)

Cette manière harmonieuse, ni de cet agréable à l'oreille, pas pour moi. Pas pour faire le malin. Pas pour tartiner des pages et des pages en amont de chaque texte. Donc pas pour une tête théorique.

Mais un minimum de connaissances du langage engage des observations des questions et des positions. La première c'est que tout acte de langage fait appel à la langue. Que l'acte en question soit un rapport à son supérieur hiérarchique ou un texte poétique. Et si ce que dit Meschonnic du rythme s'appliquait avant tout à langue? À savoir qu'on peut faire du poème beaucoup de choses à partir de la langue, avec elle, dans un rapport à elle, et cela à l'infini, mais cet infini n'est pas n'importe quoi. Pas n'importe quoi, car avant toute chose la langue est un système, un système de systèmes. Le rythme ne serait-il pas alors un jeu particulier dans et par la langue. Dans une acception large de la langue, à plusieurs niveaux: niveau prosodique niveau phonémique oui, mais aussi, niveau syntaxique voire niveau grammatical ou morphologique?


À la pensée qui toujours passe par les termes de la relation, il (le poème) oppose une pensée qui les tient dans et par la relation. Ce qui oblige à les dénaturaliser, les désubstantialiser, les renverser même parfois. (S. Martin, pour une poétique de la relation, in coll., Henri Meschonnic, la pensée et le poème)

Dit plus simplement, lu chez Edgar Morin: le tout est plus que la somme des parties. Et le poème est plus que du langage et du sujet puisqu'il est une relation. Sans oublier qu'il est aussi moins que cette somme car langage et sujet perdent certaines qualités dans cette relation.

Mais cette relation maximale dans le poème, entre le langage et le sujet, comment? Par le rythme. Le rythme des phrases? À la relation langage/sujet ne faut-il pas y joindre celle de à-dire/dire?

La langue préexiste dans la pensée du locuteur de façon permanente, que celui-ci y est recours ou non, et l'activité langagière qu'elle rend possible revêt, elle, un caractère intermittent. Pour qu'un acte de langage se déclenche dans la pensée du locuteur, encore faut-il , qu'en plus d'être en possession d'une langue, celui-ci ait quelque chose à dire.(R. Lowe, Introduction à la psychomécanique du langage, PUL, p. 62)
&:
Pour que l'acte de langage, qui n'est toujours jusqu'ici qu'un réalité possible – réalité rendue matériellement possible du fait de la présence momentanée dans la mémoire vive du locuteur d'un certain vécu expérientiel à exprimer et rendue formellement possible du fait de la présence permanente de la langue – puisse effectivement s'engager, il faut qu'il soit satisfait à une autre condition. Car il peut arriver qu'ayant quelque chose à dire le locuteur refuse de le dire ou encore ne puisse pas le dire pour toutes sortes de motifs.

La visée de discours, par son caractère intentionnel, est de l'ordre d'un vouloir dire. Elle correspond, par son contenu, à ce que cherche à exprimer le sujet parlant. Mais, pour que cette intention d'expression prenne linguistiquement forme, le locuteur doit volontairement faire appel aux moyens quel lui propose à cette fin la langue. C'est cet appel, cette sollicitation inconsciente adressée aux conditions opératives du langage puissanciel que l'on désignera dans le suite de cet ouvrage sous les termes de visée phrastique.(R. Lowe, Introduction à la psychomécanique du langage, PUL, p. 74)

Le rythme du dire (visée phrastique) toujours relié à cet à-dire (visée de discours). Dans un poème l'à-dire et le dire serait relié comme dans ce rapport au chef hiérarchique. Oui. Plus d'insularité du poème? Les deux sont reliés, mais l'un maximalement? Juste une différence de position sur un axe. Axe: relation à-dire/dire. De minimalement à maximalement. Reste, rythmer maximalement, comment?


On peut alors redéfinir le rythme dans le langage comme l'organisation du mouvement de la parole.(G. Dessons & H. Meschonnic, Traité du rythme, A. Colin, p. 26)

Le fait qu'en français le rythme d'un discours dépende de son organisation spécifique – puisqu'il n'y a pas deux discours semblables, il n'y a pas deux organisations rythmiques identiques – implique qu'il ne peut exister de « règles » d'accentuation, au sens où il y a des règles de versification en poésie métrique. Par contre il existe des principes accentuels lié à la spécificité rythmique et prosodique de chaque langue, à l'intérieur desquels se réalisent les discours particuliers. Comme on l'a dit, ces principes ne sont pas liés à la nature grammaticale des morphèmes,mais leur sont communs. (G. Dessons & H. Meschonnic, Traité du rythme, A. Colin, p. 129)

Donc qui dit rythme dit principes accentuels. Mais ce traité part dans une direction trop étroite : rythme pieds et poings liés à la prosodie. Il y certes dans toute langue des systèmes prosodiques mais pas que. Systèmes phonèmiques, systèmes de mots aussi. Le système métrique de versification, lui, ne relève pas du domaine de la langue. Même s'il s'appuie sur elle, et plus particulièrement sur le système prosodique. La possibilité, par exemple, de ne pas avoir de césure dans un octosyllabe relève d'un principe simple : le français ne tolère pas de mot (ou groupe) prosodique de plus de neuf syllabes.

Pour en revenir au traité du rythme, il comportait des imprécisions. J'écrivais:

Les auteurs font un tour de l'accentuation de groupe propre au français. Je comprends mal que ce soit fait dans un chapitre intitulé phonétisme. L'accentuation de groupe relevant je crois de la prosodie. On y trouve ce que Claudel avait déjà dit au début du siècle, à savoir du poème que le français est accentué, et ce, sur la dernière syllabe de chaque mot (ou groupe) prosodique (ou rythmique). Claudel précisait, lui, que cet accent est un accent de durée. La dernière syllabe de tout mot prosodique est une syllabe longue. Il y a aussi deux autres accents prosodiques, à savoir des accents d'intensité (en dB) et des accents de hauteur (en Hz).

L'accent, en français, s'il peut frapper n'importe quelle syllabe de n'importe quel morphème, ne le fait pas n'importe comment, mais en tenant compte de paramètres divers... (p.130)
&:

Pour revenir au statut rythmique de l'adjectif, nous proposons de distinguer deux valeurs sémantiques, qui sont des valeurs de discours, c'est à dire produites en discours et par le discours. Il s'agit de deux valeurs déjà connues des grammairiens: la valeur déterminative et la valeur discriminative. (p.132)

À mon sens, il y a contre sens. Vu que rythme implique ici accent prosodique et qu'adjectif est une classe de mot, il n'y a pas de statut rythmique de l'adjectif tel qu'ils l'entendent. Incohérent. Un accent prosodique (de durée), comme les auteurs le mentionnent, frappe n'importe quelle dernière syllabe de tout mot prosodique. Si un adjectif possède un statut rythmique, c'est par une réalisation grammaticale et syntaxique particulière. Un adjectif est un mot. Un accent frappe une syllabe. Deux niveaux différents.

De plus, tout adjectif n'est il pas déterminatif? C'est à dire qu'il qualifie nécessairement le nom auquel il se rapporte. Selon une grammaire récente, celle de Marc Wilmet : discours présidentiel et discours d'adieu – les exemples pris dans le traité – ne diffèrent pas. Nous sommes là en présence de deux déterminants qualifiants pour reprendre la terminologie de Marc Wilmet. Mais malgré une fonction identique, il y a des différences. « Présidentiel » fait parti des dénominaux – il dérive d'un nom : président. « D'adieu » est une construction indirecte prépositionnelle. Le rythme adviendrait alors sur des choix opérés en discours, accentuant dénominaux ou construction prépositionnelle indirecte.

Et cette distinction – entre déterminants et discriminants – bien connue des grammairiens pose justement un problème. À savoir qu'elle est, pour reprendre leur mot, trop du poème subjectiviste.

Selon eux un seul accent, nous place du côté des déterminants, où l'adjectif détermine un individu catégoriel à l'intérieur d'une série catégorielle. Exemples: un poisson rouge, un vin vieux. Séries catégorielles ici: poisson, vieux. Pour le rouge-gorge on repassera. C'est un nom composé. Le trait d'union témoigne de l'agglutination de l'adjectif au nom et de sa perte d'autonomie. Mais on accentuerait ainsi noix de coco de Sibérie. Bref ça ne résiste pas longtemps. Ça tient aux lois mêmes de la prosodie de la langue française – lois plus que principes.

Pour reprendre l'exemple film remarquable, remarquable étant un déterminant qualifiant déverbal, mieux vaut se rabattre sur la postposition ou l'anteposition de l'adjectif pour parvenir à leur conclusion. Là les lois en jeu le permettent. Marc Wilmet expliquerait que l'ordre NA (nom-adjectif) réunit l'ensemble film à l'ensemble des objets remarquables tandis que l'ordre AN inclut l'ensemble des objets remarquables à l'ensemble film. Là encore l'antéposition réduit l'autonomie de l'adjectif.

Rappelons que deux accents de durée font deux groupes prosodiques.

Mais, rappelons que tout ceci – l'accentuation de groupe – relevait d'une accentuation rythmique et non pas prosodique ! Puisque celle-ci fait l'objet d'un deuxième chapitre où l'on découvre qu'elle est le deuxième phénomène, et capital, du rythme. Pourtant tout ce qui a été dit précédemment relevait tout autant de prosodie. En non pas, malheureusement d'autre chose. Un accent grammatical, un accent syntaxique?

Dans ce deuxième chapitre, deux sous-chapitres: la répétition d'un phonème et l'accentuation d'attaque de groupe. Serait accentuante, la répétition de consonnes ouvrantes – ouvrant sur une voyelle. Exemple: il partira pour Pondichéry. Noté : il partira pour Pondichéry. Peu évident. Aucune différence avec un il partira demain de Bordeaux. Aucune différence en terme d'accent de durée. Et c'est un problème du bouquin, l'accent y est mal défini. La répétition de consonne ouvrante ne change, mais ce n'est que mon avis, ni la durée ni la hauteur de ladite consonne. Il y a répétition et non accentuation. À moins de considérer la répétition phonèmique comme accentuante, auquel cas, nous sortons du domaine prosodique. Et plus de durée,de hauteur etc. Seulement une articulation identique du phonème alors facteur d'accentuation.

On voit bien là qu'une des caractéristique du discours est cet infini que fait entrevoir l'accentuation. L'accentuation comme marque particulière du sujet dans l'acte de langage. Mais celle ci ne se borne pas à la prosodie et touche toutes les unités de langue: phonèmes, syllabes, mots. À leur tour, phrases et textes sont accentués.

Quand à l'attaque de groupe, nous sommes bien là dans du prosodique. Effectivement, chaque première syllabe de groupe est courte. C'est là encore un accent de durée. Quand on dit « papa » le premier [pa] est nettement plus court que le deuxième.

On est donc pas si avancé que ça à la lecture de ce traité puisque, contrairement à ce qu'ils prétendent, nous ne sommes jamais sortis de l'accent entendu comme accent prosodique si ce n'est par la répétition des consonnes ouvrantes. Du coup en abordant le contre-accent, les auteurs ne nous rendent pas la chose facile. Première chose, ce que l'on nomme contre-accent est la suite de deux accents. C'est clairement dit dans ce traité. C'est aussi ce que dit Henri Morier dans son dictionnaire de poétique et de rhétorique. Ça, d'accord. Mais avec leur classification d'accents, Meschonnic et Dessons parviennent à repérer huit possibilités de contre-accentuation. Euh, pause. Contre-accent si de même valeur. Un accent de durée frappe la syllabe, la reprise d'un phonème une voyelle ou une consonne. Pas de contre-accent possible. Leur contre-accent rythmique-prosodique me paraît capilo-tracté. En revanche, le rythmique-métrique, oui, car succession de deux accents de durée. Contre-accent? Oui.

En revanche, la présence d'un phonème avant ou après la syllabe longue d'un groupe constituée de ce phonème, serait intéressante à étudier. En reprenant leur exemple:
de fracas et de faste (Verlaine)

Au final, on est peu sorti d'un rythme n'advenant que par la prosodie. Seul le renforcement consonantique offre une alternative mais d'une part il est taxé d'accent prosodique, et d'autre part il est trop peu entendu comme répétition d'un élément d'une série phonémique.

Si le rythme est effectivement l'organisation du mouvement dans la parole, il n'y a pas lieu de privilégier le phonème et la syllabe. Le mot, en tant que partie d'un système, a lui aussi sa place comme composante essentielle du rythme. Tout comme la syntaxe.

L'intensité sémantique ne tient pas seulement aux sens des mots. Rien que pour cette phrase, ce traité est important. C'est une phrase qu'il faut continuer d'affirmer. Et oui le contre-accent, est une voie pour donner le rythme et donc une valeur à ce que j'écris.(Avril 2009)

Le contre-accent, élément prépondérant de ce rythme recherché, de cette union maximale à-dire/dire? La subjectivation qu'évoque souvent H. Meschonnic passerait-elle par le contre-accent?


Mais tout tenir, le prosodique, le phonémique, le morphologique, le syntaxique, comment?

Le poète est poète quand il ne sait pas ce qu'il fait. (H. Meschonnic, Vivre poème, Dumerchez, p. 9)

Ah bon? Ne faut il pas du maximalisé du maximalisant à l'égard du langage pour maximaliser? C'est à dire du je fais ce qui se fait, et du je fais ce qui se fait peu voire pas et là soit je sais soit je ne sais pas ce que je fais. Mais j'ai besoin à minima de le savoir. Pour me savoir plus du côté de l'infini que du n'importe quoi. Héhé.

Si je ne suis que dans l'à dire, en terme de poème ça pèse autant que si je ne suis que dans le dire. Et ça pèse pas lourd.

Le style d'un auteur se décrira par la manière dont il fait fluctuer la langue collective. Cette fluctuation s'inscrit dans les trois zones définies précédemment (accepté/refoulé/innovant) selon des procès polymorphes : consacrer de l'innovant (le déjà-là dans la parole) ; créer l'intrusion du refoulé (le toujours-exilé de la parole) ; inventer du neuf (par extraction du diasystème). (M. Banniard)

Il y a certainement chez Brancusi quelque chose dans la pierre plus particulièrement qui l'attirait.

Brancusi, lui, part de la pierre, pour inventer une nouvelle forme de pierre, presque la même que la précédente, terriblement nouvelle. Une nouvelle pierre vous dis-je, oiseau ou Socrate. La patience même des révolutions géologiques. Il efface la couture, enlève le fil, polit toute trace de travail, de souffrance. Quelle force immense il emploie pour donner l'impression du facile : comment autrement naîtrait la joie? (B. Fondane, Constantin Brancusi, Fata Morgana, p. 20)

Sa position face au matériau. Sa position face aux parties qui font la pierre. La mienne face au langage se caractérise, c'est une remarque que je me fais, par une attention plus grande portée, en langue, au système de l'article et au système du verbe. Le phonémique, le prosodique moins. De même que l'adjectif ou l'adverbe.

De même que dans les choses à dire, peu de chance que j'évoque un coucher de soleil, mon métier, mes parents. Dans cet à-dire je suis chien.

Mais le vrai poète, dans le sens où nous l’entendons, est livré à son temps, il est son serviteur et son serf, son esclave le plus humble. Il y est attaché par une laisse courte et indéchirable, il lui colle au plus près, son absence de liberté doit être telle qu’il ne pourrait être transplanté ailleurs. Si cela n’avait pas un arrière-goût ridicule, je dirais simplement : il est le chien de son temps. Il court par-dessus ses raisons, s’arrête ici et là, apparemment de manière arbitraire, mais infatigable, réceptif aux coups de sifflet venus d’en haut, mais pas toujours, facilement excité, il est difficile de le rappeler porté qu’il est par une peccabilité inexplicable, il met sa truffe humide dans tout ce qu’il trouve, il ne néglige rien, il lui arrive de faire demi-tour, de recommencer depuis le début, il est insatiable […]. »(Canetti)

Remarques du côté du dire, remarques du côté de l'à-dire, Schizophrénique?

« Matière (visée d'effet) et forme ne peuvent être dissociées qu'à des fins analytiques. Il n'en demeure pas moins que c'est la mise en forme (visée phrastique) de la matière à dire qui marque le passage à l'effection ». (Jolly & Roulland)





Ce passage, où l'on comprend que là se joue une bonne partie de la valeur du texte. Passage délicat.


J'ai sérié. J'ai pris des éléments d'un système et j'ai sérié. Ou, pour être sévère, j'ai mis à la chaîne. Pas convaincant. Pourquoi? Parce que finalement on sent trop la bride. On sent trop que ça marche très bien sans moi. Qu'est ce que je viens foutre là? J'ai beau jeu après d'interpeller un lecteur : « toi lecteur... ».

La forme extrême de cet a priori consistait à postuler que l'oreille de l'auditeur apprendrait bien un jour à suivre ce que l'oeil du compositeur avait une fois tracé. Ce dictat était à l'évidence trop rigide et les compositeurs sériels ont su très vite l'assouplir et prendre en compte l'autonomie des phénomènes de perception. (F. Nicolas)

C'est Jean-Luc qui m'avait dit « trop grammatical ». C'est sûr. En voici un de poème – sérié, sérialisé, programmé, enchaîné ?:

tu as jeté le sac poubelle et ce sac noué porté et jeté ne cesse de grossir il va rejoindre tous les sacs passés par tes mains, tu l'as jeté et avec les autres ils vont grossissant ils sont tout près de te faire plier

n'hésite pas à te prendre une tache ménagère comme un coca ou un panaché continue de t'y mettre | et vois comme alors tu es embrassé à ton temps comme il y a un siècle comme il y a mille ans un gars qui tous les jours allait au champ

n'hésite pas à t'y coller | quand tu es en train de donner du temps pour ces choses tu as gagné comme une graine gagne en perçant la terre comme un astre au seuil d'une vie brillante ou ratée

tu es décidé à avoir ces mains non pas calleuses non pas solides comme les mains centenaires ou millénaires | mais douces les liquides vaisselles persistent à s'en vanter | avec des doigts toujours fins mais qui tout autant attendent de servir l'espérance | l'eau de l'évier comme l'eau de pluie va partout aux céréales aux sardines aux bagnoles aux métaux aux estomacs à viande aux estomacs d'hommes

tu es décidé à les avoir | et qu'on n'arrête pas de te donner assiettes aspirateur fer à repasser des objets qui ont refusé de se faire à des mains | le manche c'est bien toi

alors sois le gars aux temps lucides et ne de pas à t'activer sur quoi que ce soit | à la maison ou dans la cour en étant ce gars tu fais vivre en toi | maison cour bagnole avec ta femme et tes enfants et sent comme dessuite | ils sont entendus comme les premiers organes de ton corps | comme des vies presque nues et accroupies au bord de ta vie

ne de pas à t'activer autour de ce feu | un feu pris sous l'aile n'arrête pas d'en demander plus lui aussi tu es donc attendu | par des yeux d'enfants ceux de tes propres enfants et les tiens

La série de ce poème de 2008 était:   

sérié sur le couple verbe/coverbe, où le coverbe est un auxiliaire, l'auxiliaire, pouvant être:   
•    soit postcursif: avoir, être + participe 2, venir de + infinitif.
   
•    soit cursif: être en train de, ne cesser de, continuer de, persévérer à, ne pas arrêter de + infinitif, aller + participe 1.
   
•    soit précursif: aller, devoir, pouvoir, savoir, avoir à, hésiter à, partir à, s'apprêter à, se du poème - disposer à, se préparer à, der à, attendre de, être à deux doigt de, + infinitif.

J'ai sérié pourquoi? Pour ne pas lacher ce dire. Pour que l'à-dire ne soit pas seul l'objet de mon attention. Pour l'autopromotion?

Le refus de critères communs amène non à l'ouverture de la création vers de nouveaux espaces mais à la valorisation des stratégies d'autopromotion.(Jean-Luc)
J'ai sérié, surtout, pour vivre ce passage. Mais l'arsenal déployé était trop colérique. Enfermé du coup?

Adapter l'un à l'autre dit Meschonnic. Le rythme au sens. Qu'il y ait redondance. Qu'il y ait relation maximale.
Pourquoi pas aussi que s'adaptent à-dire ET dire? Il y a toujours rythme. Mais rythme de différente valeur selon la relation, selon l'adaptation. Et la signification et l'inscription dans l'histoire serait plus forte dans le poème puisque là transformation du langage par la vie et de la vie par le langage serait maximalisé.

Des spécialistes de la chose littéraire formé à la rhétorique s'en étonneront peut-être, mais oui, il y a du rythme « partout » dans le langage, parce que le rythme en est un élément essentiel, qu'il n'y a pas de langage sans rythme, et que c'est cela qui nous fait vivre.(G. Dessons & H. Meschonnic, Traité du rythme, A. Colin, p. 152)

Ça devient : comment la redondance de l'à-dire dans le dire peut advenir, et vice versa? Premièrement, par le contre-accent? Deuxièmement, par le je suis chien?

La suite de deux accents, non seulement n'est pas évitée en français, mais elle y est ordinaire. Il ne s'agit pas d'une figure dont on prépare les effets à la façon de l'expressivité sonore dans l'usage rhétorique de la prosodie, mais d'une marque accentuelle à part entière du discours, on le répète, tout à fait ordinaire, qu'on nommera contre-accent.(G. Dessons & H. Meschonnic, Traité du rythme, A. Colin, p. 153)

Important de savoir que le contre-accent est ordinaire. Dans le traité c'est toujours d'accent prosodique de durée dont il est question. Mais des contre-accents grammaticaux (morphologiques) sont tout aussi ordinaire. Pourquoi pas des contre-accents nominaux. Exemples : le président Chirac, un plat à gâteau ou encore (plus fréquent aujourd'hui) un forfait vacances, une table Ikéa. Soit deux substantifs accolés – les deuxièmes étant qualifié par M. Wilmet de qualifiant nominaux (cf M. Wilmet, grammaire rénovée du français, p.164). Premier exemple : construction directe. Deuxième exemple : construction indirecte prépositionnelle. Dernier exemple : construction indirecte à ligature zéro.du poème - 15/16
Sur une phrase : J'ai pris le beurre, l'argent du beurre et la crémière. Surligné des noms, en position de contre-accent.

Les auxiliaires temporels (avoir, être, venir de, aller) sont, en raison de leur fonction inaccentués.(G. Dessons & H. Meschonnic, Traité du rythme, A. Colin, p. 135)

Inaccentués de façon prosodique. Oui, même si c'est à voir. Mais là encore rien n'empêche d'entrevoir un accent morphologique verbal. Car un énoncé où chaque verbe serait accompagné d'un coverbe auxiliaire, nous placerait en présence de contre-accent verbal! Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu!

Si avoir, être, venir de, aller sont des auxiliaires, M. Wilmet indique lui aussi qu'ils ont des impacts sur le temps du verbe qu'ils accompagnent – c'est le temporel du traité. Mais Wilmet précise : avoir et être (+ participe passé) ainsi que venir de (+infinitif) envisage la phase postérieure au procès. Aller (+ infinitif) envisage la phase antérieure. Être en train de (+infinitif) envisage une phase intérieure (cf M. Wilmet, grammaire rénovée du français, §58). Ce je suis venu, j'ai j'ai, vaincu ne répète pas simplement des auxiliaires, mais des auxiliaires de type postcursif. Ceci renforce la répétition.

Contre-accent article. Précisons que l'article est un déterminant quantifiant transversal(cf M. Wilmet, grammaire rénovée du français, §110) :

Et si la poétique est d'abord le travail du poème, du vivre poème, et ensuite le travail sans fin pour le reconnaître, alors la poétique est elle-même une anthropologie, une éthique, une politique.(H. Meschonnic, Vivre poème, Dumerchez, p.31)

Contre-accent article type LE noté le, et contre-accent article type UN noté un. On pourrait marqué les contre-accents nominaux ou verbaux ou prépositionnels etc. Mais ça deviendrait vite illisible. C'est le « phénomène absolument total » de F. de Saussure.

Tout se répond d'une manière ou d'une autre dans le vers. Tout se touche et on ne sait où s'arrêter.(F. De Saussure)

L'intensité sémantique ne tient pas seulement au sens des mots. L'art de les faire jouer ensemble, et d'en dégager le maximum, passe par le rythme, et précisément par la multiplication des accents et même le rapprochement immédiat de deux accents, contre le rythme progressif du français (progressif au sens où l'accent de groupe, à la fin de groupe, est généralement précédé par un nombre variable de syllabes inaccentuées.(G. Dessons & H. Meschonnic, Traité du rythme, A. Colin, p. 163)



Guillaume Balzarini
Francopolis janvier 2010
recherche Juliette Guerreiro

Créé le 1 mars 2002

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