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autour d’un peintre : René Barraud
par Benjamin Duval

René Barraud est un entomologiste. Il pique les hallucinations recueillies chez Dame Nature sur des radeaux ébahis, oserai-je dire médusés.
Pour ce faire, des filets d’arène, ses états d’airain. On essuie les plâtres, la mer n’est pas en souffrance dans le ruisseau qui coule de ces toits, en l’asile d’un colosse d’ardoise.
Terrien, tellurique, tétrapode, tétraplégique, tétra ou tétra pas…

On ne demande pas à l’art de nous émerveiller, on lui intime l’ordre de défaire l’enveloppe, au couteau, des organes emmaillotés. On lui demande le cri depuis l’aurore. René Barraud est de celui-là.
écrit Jünger dans son Journal en août 1945 (in La cabane dans la vigne, Christian Bourgois, 1980), puis note, plus loin: La contemplation pure nous dispense de la concurrenceLe chiendent c’est que l’homme est à la fois la plus réelle des réalités et la plus abstraite des abstractions. Telles sont les deux lames des ciseaux au moyen desquelles on le maintient dans ses justes proportions –en le rognant.

René Barraud se repose après la chasse initiatique, la tendre collecte. Dispose sur la table bois délavés, fers sans forge, filets de jaunes et jeunes poitrails à battre, lignes de fuite comme anciennes fatigues. Oeil de porte.

On déballe, on pose les armes. Discute alors de la technique, du ton, d’une ardeur nouvelle, d’une autre tectonique des humeurs. Le peintre peut devenir oxydant. Un ciseau ouvert est une croix.
Une chasse, c’est aussi des aguets, une attente générale, quelques empressements, une impatience neutre. Les arcs, ah ! les arcs…Ils n’existent que bandés, avant même la ruée d’une flèche féroce, la mer en son milieu fait un angle aimanté. Le « on » du « on le maintient » de l’écrivain allemand est une énigme. A moins de n’être pas homme, on œuvre.

Cette œuvre, c’est l’abstrait attendu réalisé, les effets débraillés de Madame réel. Réduisez encore un peu, une seconde et marinent les yeux de civelles rares, malgré et avec le temps qui n’est plus que l’ombre d’un temps autre, d’un imaginé, d’un soi pourtant, champ de mines ou désert mouvant, stabilisé enfin le croit-on, puis l’impact, le trou, la ligne bleue.

Il est malaisé de prétendre que le tableau commande. On ne sait jamais vraiment qui de lui ou de son maître conduit la mule dans la jungle tempérée de l’atelier.

Aussi, c’est l’heure du passage quotidien d’une maîtresse affable : la carène, le bout du rayon. Que sait-on de la clarté costumière ? Demandez donc à René Barraud de vous remettre les clés de la lumière, vous en saisirez alors les volutes actuelles, présentes, son activisme, l’ouvert grand de sa porte, depuis des lustres dans ses mains, demandez, demandez à son dépositaire le plus clairvoyant. La lumière, sujet grave se dit-on, presque dire  l’âme sombrant dans sa cave. Le jour déteste la nuit, a-t-on écrit précédemment, on ne sait plus. Question d’apparition tranquille, d’abord voilée puis bien apprise depuis ce matin de 1935.

De manière historique, de la gréco-latine aux ficelles chrétiennes, l’icône apparaît quelques centaines d’années après le verbe. En voie de sacre, ou bien sacrée avant conception, l’image réelle devient simple espace mental. Dans ce sens, le peintre est un paysagiste. Il n’hésite pas à en déplacer les divers éléments matériels, nature de son art, sur un support fixe jouissant lui aussi d’une certaine historicité.

La pente s’enhardit lorsque l’on s’aperçoit que René Barraud ne semble pas tenir d’un temps précis. A l’instar de Jean Tirilly (cf. trémalo 1), pour lui la langueur du temps ne compte pas, ses heures n’en barattent que les principes actifs, précipités de gloire ponctuelle. Elles filtrent l’eau des formes, de leurs gras pigments.

Nécrophages, nécrophages, coucou ! Boomerangs des assèchements après la pluie. J’ai des squelettes d’images brutes entre les bras (l’atelier est l’empire de la cellulose qui se dresse), des poumons empaquetés. Ils amerrissent lentement en ma poitrine –je suis envahi d’étrange.

Le rite que révèle cette singulière action de peindre doit offrir un hypothétique salut, non seulement à l’exécutant, mais par un mimétisme issu de la mécanique profitable du sens, au scrutateur également happé par la danse torride de Melancolia, petite orpheline.

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                                                                Benjamin Duval
Francopolis avril 2008
recherche Cécile Guivarch

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article en partanariat avec la revue TREMOLO.

Créé le 1 mars 2002

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