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Entretien entre Francis Candelier
et Dominique Zinenberg (19 mars 2016)


Nous avons eu l'idée de cet entretien, Francis Candelier et moi,
après la parution de son premier recueil « Par l'argile et l'ortie »
aux Éditions du Cygne au début de l'année 2016.


Dominique Zinenberg : As-tu toujours écrit de la poésie ?

Francis Candelier : J'ai écrit quelques poèmes à l'adolescence, puis à la naissance de mes enfants. Mais ma « carrière » de poète commence vraiment à l'âge de 39 ans. Le facteur déclenchant a été un atelier de poésie, bien que je ne me rappelle pas la raison qui m'a conduit à y aller. On commentait les poèmes des uns et des autres, avec bienveillance et pertinence. Ça m'a encouragé. C'est grâce à l'animateur de l'atelier, Jean-Marie Martin, prêtre et poète, que mon éveil poétique a eu lieu et s'est développé. Je lui dois beaucoup.

DZ : Qu'est-ce que la poésie pour toi ?

FC : La poésie pour moi n'est pas le royaume du vague, ce n'est pas une contrée nébuleuse et inintelligible. Elle n'est pas incompatible avec la précision. Elle est un rapport mystérieux entre habiter le monde et habiter le langage, - l' étincelle entre les deux.

DZ : Affectionnes-tu certains thèmes en particulier ?

FC : Je n'ai pas de thématique obsessionnelle. Certes je suis sensible au regard, à l'attention ; ce qui importe est d'être en éveil ; dans Par l'argile et l'ortie1, le regard se porte sur les choses les plus humbles, « terre à terre » ; cependant, si je sollicite beaucoup la vue, je n'en délaisse pas pour autant la musicalité et le rythme. Mais aucun thème n'est à exclure de la poésie : ainsi, dans ce recueil, deux poèmes tentent de décrire une cure psychanalytique. Peut-être faut-il néanmoins garder un certain équilibre entre la poésie parlant du monde et la poésie parlant d'elle-même, - que la seconde n'envahisse pas tout.

Mais si tous les thèmes ont leur place en poésie, la forme imagée y est incontournable : je ne conçois pas la poésie sans la métaphore, qui n'est nullement dépassée. La poésie rapproche des choses qu'on ne rapproche pas d'ordinaire. Autrefois on créait des métaphores verticales, comme  les paraboles évangéliques, entre le ciel et la terre, le spirituel et le matériel ... Aujourd'hui on crée surtout des métaphores horizontales, comme celles d'Elstir chez Proust entre la terre et la mer.
DZ : Parle-moi de ton rapport aux mots.

FC : Il n'y a pas pour moi de mots spécifiques à la poésie, tous peuvent être intégrés dans un poème. Les expressions courantes, voire vulgaires, ne sont pas indignes de la poésie. Mais certains mots sont comme des bibelots, de jolis objets de langage qui ont une charge poétique exceptionnelle,  surtout quand ils sont associés à d'autres mots.

La poésie libère le langage, ou plutôt lui restitue sa liberté initiale, par un « délire raisonnable ». Les gens parlent toujours de la même manière, stéréotypée, en assemblant toujours les mêmes mots. Écrire poétiquement, c'est associer les mots autrement. Ce sont les mêmes mots, mais assemblés autrement ils ne sont plus exactement les mêmes. Une expression toute faite légèrement modifiée, un jeu de mots redonnent sa vie au langage. C'est comme un ordinateur qu'on n'utilise qu'à 1 % de ses capacités : le poète tend à utiliser le langage à 100 %. Ou comme un cuisinier qui crée de nouveaux plats en associant des ingrédients qu'on n'avait jamais associés avant. Toutes ces tentatives connaissent beaucoup d'échecs, en cuisine comme en poésie, mais celles qui réussissent en valent la peine !

DZ : Des lectures t'entraînent-elles à écrire, après coup, des poèmes ?

FC : Je lis peu, et peu de poésie ; je le regrette, mais c'est ainsi. La lecture n'est donc pas ma source principale d'inspiration. Mon aiguillon, c'est la vie quotidienne, la mémoire, les émotions.

DZ : Le rêve a-t-il sa place dans ta créativité ?

FC : Le rêve m'importe, mais pas à la manière des surréalistes. Certaines expériences de l'état de veille sont pour moi « de l'ordre du rêve ». Mais je suis peu enclin à la rêverie.

DZ: Te faut-il un plan pour constituer un recueil ?

FC :  Ce n'est pas parce que ma poésie n'est pas narrative, comme un roman, qu'elle n'est pas com - posée. Par l'argile et l'ortie est un cheminement du ténèbre à la lumière. Un poème peut aussi se construire sur la répétition, l'énumération, l'inventaire, sous forme de litanie, comme, dans ce même recueil: le Chant des silences
 
DZ : N'écris-tu que de la poésie ?

FC : Non, j'écris aussi des nouvelles, qui ont en commun avec la poésie la concision, peu de narrativité, la possibilité de naître d'une phrase ou d'un mot, voire d'un rythme intérieur comme le relate Paul Valéry pour Le cimetière marin. Cette phrase, ce mot, ce rythme peuvent rester en  sommeil pendant des années, puis soudain le cours du récit ou du poème reprend. J'écris aussi des « récits de choses », un peu à la manière de Francis Ponge ou du Claudel de Connaissance de l'Est.

DZ : Pour finir, je voudrais te laisser t'exprimer sur ce que tu nommes souvent, avec d'autres, « la crise de la poésie » .

FC : Pour moi, la crise de la poésie (le fait que la poésie se lit et se vend très peu alors qu'on en produit beaucoup) est due à son inaudibilité, qui découle en partie d'une crise générale de la communication : on ne parle qu'à ses proches, à son clan, à ceux qui parlent comme vous, - c'est le communautarisme. Toutefois cette inaudibilité est aggravée par l'opacité quasi délibérée de certains poètes, qui se prennent pour Mallarmé sans en avoir le génie. D'autre part les gens aiment les histoires, « l'action », et la poésie est peu narrative. Pourtant tout le monde pourrait lire et produire de la poésie, ce n'est pas un monde de martiens. Il y a crise de la lecture de poésie , mais pas du désir de poésie. Il faut s'interroger sur les moyens de libérer ce désir, de débloquer la lecture de la poésie, en particulier pour ceux qui n'en écrivent pas eux-mêmes. La prophétie de Hegel sur la mort de l'art (ou, pour mieux traduire Auflosung, sa dissolution, son étiolement) est partiellement vérifiée pour les autres arts, mais elle se vérifie totalement pour la poésie, qui est actuellement en état de mort clinique.

DZ : Je te trouve bien pessimiste, Francis, et je crois qu'une lutte réelle et un dynamisme toujours renouvelé bien qu'en partie confidentiel, permettent à la poésie de renaître de ses cendres, telle le phénix et d'offrir à ceux qui le veulent bien (et il y en a, et partout) des pépites diverses et bouleversantes. Mais merci pour tes propos et tes enrichissantes réflexions.


À l’origine, dans l’enfance, « la noyade au sein froid de la négation ». Et puis, de poème en poème, c’est la recherche d’une lumière à tâtons, dans les ténèbres de la vie, avec ses avancées, ses reculs, ses haltes nocturnes. Peu à peu le pas s’assure, de la clarté vient, de la paix s’installe ; la « lumière du très simple », un moment, apparaît. L’âme se trouve « en lavant les pieds de l’Infime », se guérit de l’idéalisme brumeux « par l’argile et l’ortie ». Elle aborde enfin aux rives heureuses, acceptant même « la transcendance, à condition qu’elle ait de la terre sur les ongles ».

FRANCIS CANDELIER



Né à Roubaix, titulaire d’une maîtrise de Lettres classiques, ancien haut fonctionnaire, Francis Candelier vit à Vernon, en Normandie. Il s’est toujours intéressé aux mots, à leur histoire, à leur étonnant rapport aux choses.

Il a publié des poèmes dans les revues Phréatique, Arpa, et dans la revue en ligne Francopolis.

Son oeuvre comprend également des haïku, des nouvelles, des proses poétiques entremêlant descriptions minutieuses et métaphores. Son esthétique est celle d’une poésie lisible, imagée, lumineuse – en rupture avec l’obscurantisme mallarméen


                 
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Francis Candelier
présenté par Dominique Zinenberg

AVRIL2016
 

Créé le 1 mars 2002

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