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Michel Jourdan - haïkus mêlés - de la poésie au récit ... et plus

« Fantasmagories » de Lewis Carroll
traduit par Juliette Clochelune

 Lewis Carroll a publié Fantasmagories (Phantasmagoria) en 1869, après avoir écrit les deux Alice, mais avant Sylvie  et Bruno et ses jeux de logique nonsensique. Il a toujours aimé parsemer de poèmes surréalistes ses histoires (et glissé dans Alice des parodies de «nursery rime» : ces comptines enfantines comme «alouette, gentille alouette» mais là des comptines anglaises donc).

 Fantasmagories est écrit en 7 chants. Il a été traduit par Henri Parisot. J’ai eu envie de tenter ma propre traduction et je vous propose le premier chant.

 Les strophes anglaises sont en vers rimés de 8 et 7 pieds, et j’ai transposé dans un rythme propre au français, en vers rimés de 10 et 8 pieds... La disposition chez Lewis Carroll est ainsi : 8 - 7 - 8 - 8 - 7 et j’ai choisi 10 - 8 - 10 - 8 - 10.

 Voici donc, chers lecteurs, ma vision de ce poème de Lewis Carroll et un lien vers l’original anglais en attendant la traduction parfaite qui n’arrivera jamais ;-)


Chant 1 – L’entretien

Une nuit d’hiver, le soir s’attardait,
Froid, fatigué, triste et boueux
Je rentrais chez moi, trop tard pour dîner.
Un souper en ce lieu studieux
Avec cigare et bon vin m’attendait.

Étrange atmosphère et quel air rêveur !
Quelque chose de lent et blanc
Tapi là, dans l’ombre. Mais quel air moqueur !
Était-ce ce balai branlant
Oublié là par la bonne sans cœur ?

Je vis cette chose avancer soudain
En grelottant et se mouchant!
Alors je lui dis : - Allons cher voisin
Se tenir ainsi face aux gens
Est très malpoli ! Que cela est vain !

- J’ai attrapé froid, me dit donc la chose,
À attendre sur le palier
Je fis volte face, si surpris qu’elle ose
Me parler ! Et, devant mon nez :
Un petit fantôme en chair et en os !

Il croisa mes yeux, tremblant et peureux,
Se cacha derrière un fauteuil.
- M’expliquerez-vous, comment, par quel jeu
Un tel être est là, sur mon seuil ?
Sortez ! Ne tremblez pas comme un cheveu !

Il me répondit : - C’est avec plaisir
Que je vous dirai le pourquoi
Et le comment de ma venue, messire,
Mais vous ne me croiriez pas,
Avec votre humeur qui croit et empire !

Quant à avoir peur, pourquoi donc le taire ?
Chaque fantôme a ses raisons !
Tout fantôme craint  la mère lumière
Comme à chaque génération
Tout homme craint le noir, couleur de l’enfer.

- Tout ça sonne faux ! Pareille couardise
Ne peut s’excuser ! Voyez bien,
Vous les fantômes, un souffle, une brise
Et hop vous voilà ! Nous, humains,
Devons vous entendre en toute maitrise !

- Un frisson de frayeur n’est rien du tout !
En quoi serait-ce anormal ?
Je craignais surtout ployer sous vos coups.
Ce soir vous me semblez normal,
Je vous accorde donc ce rendez-vous.

Les maisons sont classées, soyons bien clairs,
Selon le nombre de fantômes
Logés en ces murs selon leurs critères.
Seul compte le poids pour les hommes :
Charbon, objets lourds et quelques affaires.

C’est uni-fantôme en ce lieu. Peut-être,
Ici depuis l’été dernier,
Avez-vous remarqué qu’un petit spectre
Tentait tout pour bien vous fêter,
Au rang de fantôme il souhaitait paraître.

C’est d’usage courant en ces demeures,
Si bon marché soient les loyers.
Plus on est de fantômes, bien meilleur
Est le lieu. Qu’un seul soit logé,
Un petit spectre, pour nous c’est l’horreur !

Ce spectre vous quitta un soir d’hiver,
Depuis, nul être ne vous hante.
Son esprit devait tourner de travers
Car nulle lettre, nulle entente.
Par grand hasard nous l’avons découvert !

D’abord, le spectre est le premier qui vient
Quand une place est libérée.
Puis fantôme, elfe, esprit ou gobelin.
Si nul n’est là, est invitée
Une adorable goule, cher voisin.

On jugea malfamée votre maison
Et votre vin bien trop mauvais.
Mais l’un d’entre nous de toute façon
Devait vous aider ! Le premier
C’était moi ! Je me fis une raison !

- Sans aucun doute, dis-je, eut-on mieux fait
De choisir quelqu’un de plus mûr
Pour cet emploi ! Car un tel gringalet,
Pour un humain de ma stature,
C’est se moquer du monde, l’on dirait !

- Cher monsieur, que vous le croyez ou pas
Je suis plus vieux que j’en ai l’air !
J’ai tant bourlingué ! Quand on vous dira
Tout ce que j’ai vraiment pu faire,
Alors vous m’estimerez mieux que ça !

Mais jamais encore je n’eus ce rôle !
Quoi ? Moi, fantôme de maison !
Tout troublé j’en oubliais, c’est d’un drôle,
Ces cinq règles que nous devons
Connaître depuis les bancs de l’école !

Toute mon affection se réveilla
Envers ce petit compagnon,
Semblant si surpris de me trouver là.
Moi, homme digne de ce nom !
Lui, peureux, toute chose devant moi !

- Ah, que je suis heureux de découvrir
Qu'un fantôme n'est pas muet !
Asseyez-vous, vous me feriez plaisir.
Si vous n'avez rien avalé,
J'ai de petites choses à vous offrir.

Vous n'êtes pas de ceux, je le vois bien,
À qui l'on sert plat et dessert !
Cependant, je resterai sur ma faim,
Si je n'entendais pas en vers
Ces règles qui passent de main en main ! 

- Merci me dit-il, c'est un coup de chance !
Je vous les dirai tout à l'heure ! 
- Vous prendrez bien quelque chose, je pense ? 
- Un peu de canard, quel honneur !
Tous les deux, on se remplira la panse !

Oh, juste une aiguillette ! Et s'il vous plaît
Un peu de ce délicieux jus ! 
Je m'assis, le regardant, stupéfait.
Au grand jamais je n'avais vu
Un fantôme si pâlot sous mon nez !

Il blanchissait tant et tant, s'effaçant
Comme la brume qui ondoie,
Le jour et sa lumière vacillants,
II me dictait du bout des doigts
Ces cinq règles de bon comportement.

 

Traduction de Juliette Clochelune




 

  Suivre ce lien pour la version originale anglaise.


                              




pour francopolis décembre 2010
traduction Juliette Clochelune

Créé le 1 mars 2002

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