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René Char
Impressions anciennes

"(J''ai (re) découvert ce texte de René Char qui peut toucher ceux qui s'interrogent encore sur les rapports entre un résistant notoire français et un grand philosophe allemand qui appartint, dans ses débuts, au parti Nazi et prit ses distances avec celui-ci au bout de quelques mois.( pour simplifier)
 Je l'ai choisie parce que notre époque y trouvera bien des échos et la richesse de la pensée donne matière à réflexion et, qui sait, à discussion. Réfléxion sur la poésie avec ce  texte ancien." (Lilas)



René Char dans sa préface à cette réflexion, précise que ces Impressions sont apparues à "l'intersection d'une lecture endurante… des grands textes de Martin Heidegger et de l'exercice quotidien d'une vie d'homme …" .
Il précise ensuite qu'elles sont "un hommage de respect, de reconnaissance et d'affection" au grand philosophe allemand qu'il avait connu personnellement, hébergé et avec qui il avait entretenu de riches échanges.


Extrait d'Impressions anciennes, de René CHAR

Nous nous sommes imaginés, en 1945; que l'esprit totalitaire avait perdu, avec le nazisme, sa terreur, ses poisons souterrains et ses fours définitifs. Mais ses excréments sont enfouis dans l'inconscient fertile des hommes. Une espèce d'indifférence colossale à l'égard de la reconnaissance des autres et de leur expression vivante, parallèlement à nous, nous informe qu'il n'y a plus de principes généraux et de morale héréditaires. Un mouvement failli l'a emporté. On vivra en improvisant à ras de son prochain. La faim devenue soif, la soif ne se fait pas nuage. Une intolérance démente nous ceinture. Son cheval de Troie est le mot bonheur. Et je crois cela mortel. Je parle, homme sans faute originelle sur une terre présente. Je n'ai pas mille ans devant moi. Je ne m'exprime pas pour les hommes du lointain qui seront –comment n'en pas douter- aussi malheureux que nous. J'en respecte la venue? On a coutume en tentation d'allonger l'ombre claire d'un grand idéal devant ce que nous nommons, par commodité, notre chemin. Mais ce trait sinueux n'a pas même le choix entre l'inondation, l'herbe folle et le feu ! Pourtant l'âge d'or promis ne mériterait ce nom qu'au présent, à peine plus. La perspective d'un paradis hilare détruit l'homme. Toute l'aventure humaine contredit cela, mais pour nous stimuler et non nous accabler.

Comment délivrer la poésie de ses oppresseurs ? La poésie qui est clarté énigmatique et hâte d'accourir, en les découvrant, les annule.

Il nous faut apprendre à vivre sans linceul, à replacer à hauteur, à élargir le trottoir des villes, à fasciner la tentation, à pousser la parole nouvelle au premier rang pour en consolider l'évidence. Ce n'est pas un assaut que nous soutenons, c'est bien davantage; une patiente imagination en armes nous introduit à cet état de refus incroyable. Pour la préservation d'une disponibilité et pour la continuation d'une inclémence du non-moi.

Nous sommes d'une lignée qui se sent à l'étroit dans des sommations strictement intellectuelles. L'hérésie secoue tôt la vaniteuse orthodoxie.

Il est sillonné de volontés passagères, le poète, ce vieux nourricier, si semblable au coucou, le réaliste voilé, l'absolu fainéant.

Le poète n'a pas de mission; à tout prendre, il a une tâche. Je n'ai rien proposé qui, une fois l'euphorie passée, risquât de faire tomber de haut.

Succomber est le risque, mais pour un édit lumineux qui puisse me contenir sans que je souffre de m'y trouver?

Pourquoi le mot poète me traverse souvent ? Pour qu'il y ait plus d'espace dans le plein et moins d'erreur sur une identité mal révélée. De la nécessité de conserver les maîtresses ombres.

Créer ; s'exclure. Quel créateur ne meurt pas désespéré ?  Mais est-on désespéré si l'on est déchiré ? Peut-être pas.

René Char

extrait du recueil
"Recherche de la base et du sommet, III. Grands astreignants, La Pléïade, p742."

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L'après-guerre laissera René Char profondément pessimiste quant à la situation politique française et internationale jusqu'à la fin de sa vie, comme en témoignent "À une sérénité crispée" et "L’Âge cassant" (repris en volume dans Recherche de la base et du sommet). Sous ce rapport, ses vues très lucides sont proches de celles d'Albert Camus dans "L'Homme révolté", avec qui il entretiendra une indéfectible amitié.

Albert Camus écrit : « Je tiens René Char pour notre plus grand poète vivant et Fureur et mystère pour ce que la poésie française nous a donné de plus surprenant depuis Les Illuminations et Alcools [...] La nouveauté de Char est éclatante, en effet. Après tant d'années où nos poètes, voués d'abord à la fabrication de « bibelots d'inanité », n'avaient lâché le luth que pour emboucher le clairon, la poésie devenait bûcher salubre. [...] L'homme et l'artiste, qui marchent du même pas, se sont trempés hier dans la lutte contre le totalitarisme hitlérien, aujourd'hui dans la dénonciation des nihilismes contraires et complices qui déchirent notre monde [...] Poète de la révolte et de la liberté, il n'a jamais accepté la complaisance, ni confondu, selon son expression, la révolte avec l'humeur [...] Sans l'avoir voulu, et seulement pour n'avoir rien refusé de son temps, Char fait plus alors que nous exprimer : il est aussi le poète de nos lendemains. Il rassemble, quoique solitaire, et à l'admiration qu'il suscite se mêle cette grande chaleur fraternelle où les hommes portent leurs meilleurs fruits. Soyons-en sûrs, c'est à des œuvres comme celle-ci que nous pourrons désormais demander recours et clairvoyance.

 réf. Wikipidia

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pour francopolis mai 2011
recherche Lilas

Créé le 1 mars 2002

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