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Dupin ou le Derrida
de la poésie

par
Serge Maisonnier


copyright 
Bernard Pailhes

Voici une écriture âpre, déchiquetée, brutale aussi dense qu’est aérienne celle de Jaccottet. L’acte d’écrire comme rupture, et engagement cruel de l’esprit, et du corps, dans une succession nécessaire de ruptures, de dérives, d’embrasements  dit l’auteur de Moraines.

Comme Rimbaud qui ne peut s’empêcher de « salir » quelques-uns de ses plus beaux vers Dupin casse et déconstruit la tranquille unité du poème. Même la lumière dans  la proximité du murmure  est balafrée et les roses calcinées comme s’il voulait nous dire que rien n’est jamais sur. Toute construction, toute régénérescence doit naître au sein d’un relativisme désintégrateur parmi l’arrachement des pierres .

Mais tout ce chaos et ce désordre n’est qu’apparent. Et même si le sang s’affiche dans les anfractuosités du mur, ou s’écoule dans les pages du livre, c’est toujours pour irriguer nos entrailles de grisou.

Il faut se laisser emporter par la violence mentale de cette écriture qui s’exprime dans la sauvagerie de la langue au sein d’un paysage méditerranéen ou cévenol. Nos évidences seront sans doute désorientées et même blessées par la ponctuation meurtrière, et notre récolte incendiée par la fiente du feu perpétuel mais tout le monde sait que la terre est meilleure après avoir été brulée. Du souffle est nécessaire pour escalader les falaises de cette poésie, ce que Dupin appelle un voyage pur et tranchant,  et surtout ne pas avoir peur du vide toujours présent.

Si Celan violente la syntaxe pour arriver au même résultat que Dupin, à savoir un apparent désordre moral et psychique, la phrase de ce dernier, de ce ramas de mots détruits dit-il, est toujours respectueuse de la grammaire. Chez Celan, encore, Dieu est mort dans les fumées d’Auschwitz mais pour Dupin le ciel est éboulé et le dieu, ou ce que l’on nomme tel, ressemble plus à un Dionysos en charpie au milieu des gravats pierreux.
 
Terminons cette brève notice avec une dernière phrase de Jacques Dupin, aphorisme en forme d’oracle, parmi les débris et la boue écarlate qui cristallise bien cette poésie abrupte rabotant nos certitudes :  Expérience sans mesure, inexpiable, la poésie ne comble pas mais au contraire approfondit toujours davantage le manque et le tourment qui la suscitent.



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Jacques Dupin est né le 4 mars 1927 à Privas en Ardèche.
Rencontre  René Char en 1947
Secrétaire des Cahiers d’art en 1952 où il débute une collaboration avec les artistes (Picasso, Braque, De Staël, Miro, Giacometti)
Directeur en 1956 des éditions de la galerie Maeght (amitié et collaboration avec Giacometti et Miro)
Un des fondateurs de la revue L’Ephémère en 1966
Prix national de poésie en 1988


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Extraits de sa poésie


Entre la diane du poème et son tarissement

par une brèche ouverte
dans le flanc tigré de la montagne

elle jaillit, l’amande du feu,
la jeune nuit à jeun
derrière la nuit démantelée

comme elle se doit elle se donne
et brûle
avec de froides précautions

l’ouragan fait souche
un éclair unit

la nuit à la nuit


                          
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Ouverte en peu de mots,
comme par un remous, dans quelque mur,
une embrasure, pas même une fenêtre

pour maintenir à bout de bras
cette contrée de nuit où le chemin se perd,

à bout de forces une parole nue



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Sous le couvert la nuit venue
mon territoire ta pâleur

de grands arbres se mouvant
comme un feu plus noir

et le dernier serpent qui veille
en travers du dernier chemin

fraîcheur pourtant de la parole et de l’herbe
comme un souffle la vie durant 





                Parmi les pierres éclatées


Vipère, compagne de famine, je mesure les progrès de la lèpre à la fréquence de ton dard. Sans toi, archer de l’hymne perfectible, le fruit serait resté nuage, et notre désespoir une passion stérile. Tu es la seule réplique au frisson de la terre quand la racine du soleil creuse sa route dans le roc. Une dernière étoile embarrassée dans le feuillage te regarde souffrir. J’ai voulu te confier mon bien le plus secret, le plus frivole, et ce n’était qu’une hirondelle volant bas pour que les labours soient profonds.

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Œuvres

Cendrier du voyage. G.L.M., 1950.
Art poétique. P.A.B., 1956.
Les brisants. G.L.M., 1958.
L’épervier. G.L.M., 1960.
Miro. Flammarion, 1961.
Alberto Giacometti, textes pour une approche. Maeght, 1962.
Gravir. Gallimard, 1969.
L’embrasure. Gallimard, 1969.
Dehors. Gallimard, 1969.
Ballast. Le collet de buffle, 1976.
L’éboulement (théâtre). Galilée, 1977.
Histoire de la lumière. L’Ire des vents, 1978.
De nul lieu et du Japon. Fata Morgana, 1981 ; Farrago, 2001.
L’espace autrement dit (sur l’art). Galilée, 1982.
Le désœuvrement. Orange export Itd, 1982.
Une apparence de soupirail. Gallimard, 1982.
De singes et de mouches. Fata Morgana, 1983 ; P.O.L, 2001.
Contumace. P.O.L, 1986.
Les mères. Fata Morgana, 1986; P.O.L, 2001.
Chansons troglodytes. Fata Morgana, 1989 ; Seghers, 2002.
Echancré. P.O.L, 1991.
Rien encore, tout déjà. Fata Morgana, 1991 ; Seghers, 2002.
Eclisse. Spectres familiers, 1992.
Matière du souffle (Tapiès). Fourbis, 1994.
Le grésil. P.O.L, 1996.
Alberto Giacometti. Farrago, Léo Sheer, 1999.
Ecart. P.O.L, 2000.
Matière d’infini (Tàpiès). Farrago, 2005.
Miro, chasseur de signes : sculptures et papiers. Galerie Lelong, 2005.
Coudrier. P.O.L. 2006.
M'introduire dans ton histoire, POL, Paris, 2007.
Par quelque biais vers quelque bord. P.O.L., Paris, 2009.
Et Le corps clairvoyant chez Gallimard qui réunit ses poèmes de 1963 à 1982 d’où sont tirés les extraits du texte et cette biobibliographie.


Liens

Remue.net
Jacques Dupin

Poezibao
Almanach poétique : Jacques Dupin

Site P.O.L
Jacques Dupin

Site Jean-Michel Maulpoix & Cie

L'IMPOSSIBLE CATHARSIS DE JACQUES DUPIN

Poésie: blog d'Alain Freixe
Entretien avec Jacques Dupin, «sourcier de l’ordinaire éclat »





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Serge Maisonnier
Francopolis septembre 2009
recherche Hélène Soris

Créé le 1 mars 2002

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