Articles sur les poètes et la poésie francophones contemporains
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Traductions en français de poètes du monde entier.
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Irène Gayraud


Ce qui reste de tant de fulgurance.


A peine une onde qui rappelle la volupté
la terrassante
les images du passé suspendues au visage

Ce qui est resté.
Beaucoup de terre, et une carte

Tout le reste s’éloigne, s’effrite à distance, sous des dehors

*

La carte est à l’échelle d’un lieu aride.

Dessus
la côte est loin
le sol bruisse sec
se craquèle


Au bord de la carte pend
une catastrophe

*

Toute la nuit les orages ont tourné autour du point aride
sans l’assaillir

Le sommeil en partant et depuis tant de nuits
a laissé derrière l’ardeur nerveuse
le corps cassant

Au matin, même dans le silence
rien n’est à son comble


(Extraits de à distance de souffle, l’air,
Les éditions du Petit Pois, Béziers, janvier 2015)


*


Certains soirs depuis qu’elle habitait dans son nouvel appartement, elle percevait, à peine allongée dans le noir, un bruit d’eau qui s’écoulait, comme si un ruisseau était apparu soudain devant sa porte. Quelques fois elle se relevait, pour vérifier si aucun filet d’eau ne s’échappait des robinets ou du pommeau de douche. Mais le son s’effaçait dès qu’elle se mettait debout, pour reprendre aussitôt qu’elle se recouchait. Tandis que le sommeil l’emportait peu à peu, elle écoutait l’eau couler à l’intérieur d’elle-même, prendre source dans sa gorge, dévaler le long de sa trachée, puis sombrer plus bas, beaucoup plus bas, avec des clapotements sourds résonnant sur les parois d’une caverne sous-marine.


*

Il le sait à présent : un fleuve coule au fond de lui comme une frontière qu’il vient de franchir. Tout est joué depuis l’instant où, passant par hasard devant une porte entrouverte, il l’a surprise assise de profil, en train d’ouvrir une mangue.
Le geste précis de ses mains, la couleur jaune-orangé du fruit et l’odeur chargée de sucre, soudain jaillie de l’échancrure de sa robe, la lame aiguë du couteau reposé sur la table, tout l’empêche de reculer.
Il s’approche d’elle, en pensant tout à la fois quelque chose comme le sort en est jeté et nous sommes fichus. 

(Extraits de Voltes, éditions Al Manar, mai 2016)


Irène Gayraud est née à Sète en 1984.
Depuis 2008, ses poèmes sont régulièrement publiés dans des revues de poésie en France et dans le monde.
Musicienne depuis son enfance, elle s’intéresse particulièrement aux rapports entre musique et poésie, ce qui l’a conduite à travailler en collaboration avec les compositeurs Luis Codera Puzo, Helena Winkelman et Fernando Munizaga. Elle a participé, comme poète et récitante, au festival Zeitkunst (Berlin, Paris, novembre 2011) qui fait dialoguer littérature et musique contemporaines.

Irène Gayraud est auteur d’une thèse de doctorat en littérature comparée à Paris IV-Sorbonne en 2013 (Chants orphiques européens : Valéry, Rilke, Trakl, Apollinaire, Campana et Goll, entre mythe et poétique, à paraître prochainement aux Classiques Garnier).
Elle est par ailleurs traductrice de poésie de langue italienne, allemande et espagnole.

Ses publications en volume : voir ici même, rubrique Annonces.
Son blog sur wordpress.com
Interview autour de son premier recueil

IRÈNE GAYRAUD
Francopolis septembre 2016

recherche Dana Shishmanian

 

Créé le 1 mars 2002

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