Gherasim Luca apporte un travail, un jeu musical sur notre langue, le français qui n'est pas sa langue d'origine, car son pays natal est la Roumanie. Il ose la révolution du langage en lui donnant une nouvelle morphologie, jusqu’à sortir de la langue elle-même, jusqu’à nous rappeler la force avec laquelle la poésie peut entrer en chacun de nous, sur la pointe des pieds ou en claquant la porte... Et voilà que ses poèmes prennent corps, avec cette communion particulière entre les mots et la sensualité. Sensuelle la poésie de Luca. Violente aussi. Exil. Car dans ses mots qui lui sont propres, c'est son pays qui résonne, c'est son corps, c'est sa voix, et pourtant il décide dès la fin de la seconde guerre mondiale de n’écrire qu’en français et de venir vivre à Paris.
Ces mots qu'il malaxe, qu'il opère, qu'il enroule autour de sa pensée, ces mots dans lesquels il étale tour à tour ses balbutiements, ses rires, ses désirs, ses peurs, sa solitude, nous étonnent par leur créativité, ne cessent de nous berner, de se construire et de se déconstruire. Ils sont véritable gymnastique de la pensée. Poésie qui s’esquisse, mêlant l’humour et le tragique, désir et colère dans les recoins les plus intimes du langage ; elle va des mots qui s’égarent, qui claquent et se heurtent aux bégaiements les plus puissants du langage poétique, mais aussi de l’homme. Celui qui s’avance sur le vide, se révolte, ne domine pas ses passions, peint ses angoisses existentielles, la fin du monde, se jette dans la Seine un 9 février 1994. La chaise est vide...
LA FIN DU MONDE
prendre corps
(extraits)
"Je te lune
tu me nuage
tu me marée haute
je te transparente
tu me pénombre
tu me translucide
tu me château vide
et me labyrinthe
tu me paralaxe
et me parabole
tu me debout
et couché
tu m'oblique
Je t'équinoxe
je te poète
tu me danse
je te particulier
tu me perpendiculaire
et soupente
Tu me visible
tu me silhouette
tu m'infiniment
tu m'indivisible
tu m'ironie"
[...]
Ghérasim Luca, extraits de La fin du Monde, in André Velter, Ghérasim Luca, Jean Michel Place poésie, page 90.
QUART D'HEURE DE CULTURE MÉTAPHYSIQUE
(extrait)
"Allongée sur le vide
bien à plat sur la mort
idées tendues
la mort étendue au-dessus de la tête
la vie tenue de deux mains
Élever ensemble les idées
sans atteindre la verticale
et amener en même temps la vie
devant le vide bien tendu
Marquer un certain temps d'arrêt
et ramener idées et mort à leur position de départ
ne pas détacher le vide du sol
garder idées et mort tendues"
[...]
Extrait de Le Chant de la carpe, éditions Poésie Gallimard, page 91
"La mort, la mort folle, la morphologie de la méta, de la métamort, de la métamorphose ou la vie, la vie vit, la vie-vice, la vivi-section de la vie " étonne, étonne et et et est un nom, un nombre de chaises, un nombre de 16 aubres et jets, de 16 objets contre, contre la contre la mort ou pour contre, contre, contrôlez-là, oui c’est mon avis, contre la, oui contre la vie sept, c’est à, c’est à dire pour, pour une vie sans vidant, vidant, dans le vidant vide et vidé, la vie dans, dans, pour une vie dans la vie. [...]
Extrait de Héros-Limite, éditions Poésie Gallimard, page 15
Un dossier d’auteur très complet aux éditions josé Corti : http://www.jose-corti.fr/auteursfrancais/luca.html
L’essai sur Ghérasim Luca, "passion passionnément" d’André Velter, aux Editions Jeanmichel place / poésie (www.jmplace.com)
Cd audio : http://www.jose-corti.fr/titresfrancais/CD-GLparGL.html
Autre Cd audio : Bain de sang, A.D.L.M 1998
Par Cécile Guivarch
pour francopolis
juin 2005