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mars 2013

EUGÈNE GUILLEVIC
 
SOUS LE REGARD D’AGNÈS SCHNELL


Un des premiers recueils de la collection « Poésie Gallimard » que j’ai achetés fut « Terraqué » d’Eugène Guillevic.
Plus attirée par le titre étrange que par l’auteur que je ne connaissais pas, plus préoccupée par les suites de mai 68, je l’ai d’abord oublié puis découvert avec étonnement et passion.


Depuis, il traîne toujours un recueil de ce poète sur ma table de travail…


Écrire,
C'est creuser dans du noir
C'est au sein de ce noir
Y sacrifier.
Du noir qui est en soi
Le marier à du noir des mots.

(Inclus, Gallimard, Paris, 1973)


Simple, Guillevic ?
En apparence seulement. Ses mots sont directs, nus, dépouillés de l’inutile, des scories, des dentelles et artifices. Ses mots sont libres.

Des adjectifs
Qui, comme d'habitude,
Ont l'air d'accueillir
Et qui vous diluent.

(Ville, Gallimard, Paris, 1969)


Il serait vain d’énumérer les thèmes qu’il affectionne. En tant que Breton, il aime évoquer la mer, la nature, l’eau, l’espace, l’oiseau et l’arbre, le silence, la pierre, le granit…

Mais c'est bon pour les rocs
D'être seuls et fermés
Sur leur travail de nuit
Et peut-être qu'ils savent
Vaincre tout seuls leur fièvre
Et résister tout seuls.

(Avec, Gallimard, Paris, 1966)


Sa sensibilité est proche de chacun de nous, il dit la solitude et son ambivalence, le besoin d’être seul et la crainte d’être séparé, à l’écart des autres.

Quand il écrit le pronom : Il
Au début d'un vers,
On dirait assez souvent
Qu'il a fait un Je,
Car le I devient grand comme un J
Et le l petit comme un e.
Donc Il
N'est pas forcément un autre.

(Qui, )


Nous sommes des êtres de langage. Chaque mot de l’un sera un étrier pour l’autre…

Est-ce que le chant
D’un oiseau

Aide un autre oiseau
À trouver son chant ?

(Le matin)


Je ne suis qu’une voix
Dans cet ensemble
Qu’est le monde –

Une toute petite voix –

Et pourtant il me semble
Que l’on m’entend
Que je dialogue.

(Inédit 1992)


Je ne suis pas l’oiseau,
Disait le rossignol,
Je suis un besoin de chanter.


Guillevic était un besoin de chanter. Il vivait pour la poésie, en poésie.
J’ai eu la chance, lors d’un séminaire poétique, de rencontrer Monique Labidoire qui fut une de ses amies, mais aussi une spécialiste de son œuvre poétique. Une réunion informelle, un soir, dans une cave de l’abbaye d’Orval, en Belgique, m’a laissé des images inoubliables…
Il savait qu’il n’était pas beau, Eugène, le mal prénommé. Il a abandonné son prénom qu’il n’aimait pas et signait simplement de son patronyme. Enfant rejeté par sa mère, méprisé, il était généreux, amical, ouvert à toute rencontre, en harmonie avec la nature, avec l’autre, à l’écoute toujours.

Mère aux larmes brûlantes, l'homme fut chassé de vous
De vos tendres ténèbres,
De votre chambre de muqueuses.

(Terraqué, Gallimard, Paris, 1942)


Mais…
Il fait beau
Il y a dans l’air de ce matin
Comme une liberté.

On n’est pas obligé d’être heureux,
Mais on peut…

(Paroi, Gallimard, Paris, 1970)

« Le chant, bien sûr, est une façon d’être. Vivre en poésie, c’est vivre le chant et porter le niveau de la vie quotidienne, de la vie biologique, à un niveau supérieur. »
 
(Le chant – le sacré, Gallimard, Paris, 1990)

Généreux, Guillevic !

Je vous donnerai des poèmes
Où vous vivrez.

Comme l’olivier
Vit dans sa terre.

Vous y gagnerez
De faire vous aussi
Vos olives.

(Art poétique, poème 1985-1986, Gallimard)

Écrire,
C'est creuser dans du noir
C'est au sein de ce noir
Y sacrifier.
Du noir qui est en soi
Le marier à du noir des mots.

(Inclus, Gallimard, Paris, 1973)

Ou encore…

Un mot,
C’est plein de mains
Qui cherchent à toucher…

Un mot, ça veut servir
À relier les choses…

(Terre à bonheur, Seghers, Paris, 1952)

***


Né à Carnac en 1907 et décédé en 199à Paris7, Guillevic, fils de marin breton, a aussi très bien connu le Nord et l’Alsace dont il a appris la langue ainsi que l’allemand. Ce n'est que tardivement qu'il publie des œuvres: Terraqué en 1942, suivi en 1947 d’Exécutoire, qu’il dédie à celui qui est devenu un ami très proche pendant la guerre : Eluard. Il publie chez Gallimard encore une demi-douzaine de recueils de très bonne qualité, jusqu’en 1977.

L’art poétique chez Guillevic est guidé par cette idée que les mots habillent l’homme qui sans eux est nu face au monde et face à lui-même. La peur d’être exclu habite Terraqué et le poète y combat ce sentiment, comme celui de la mort. ( Littérature XXieme siècle)

Guillevic ou l’épaisseur des choses sur VIDEO
« Le poète Eugène GUILLEVIC, 70 ans, né à Carnac, raconte à Pierre Jakez HELIAS son enfance dans cette ville qui, pour lui, est "l'épaisseur des choses". Il évoque les ressorts de ses poèmes et insiste sur le rôle de Carnac en tant que trace de la préhistoire dans l'évolution de son parcours poétique. La lecture off de poèmes de GUILLEVIC accompagne les images des lieux : Carnac, les alignements de menhirs, les champs et les fontaines, la mer. »

Printemps des poètes : sa biographie et sa bibliographie
Sa langue est simple, dense et c'est dans un lyrisme concentré que son poème déclare sa solidarité envers toute chose et toute vie. Avec le temps, il s'épure jusqu'à devenir « sculpture du silence. » ….



Eugêne Guillevic
présenté par Agnès Schnell
Francopolis mars 2013



Créé le 1 mars 2002