En lisant
votre revue virtuelle, j'ai tout de suite été touchée
par votre volonté de faire découvrir la poésie contemporaine
et ceci par le biais de notes de lecture et de présentations de poètes.
D'où vient cette volonté, cette envie, de faire découvrir la langue poétique aux lecteurs d'Incertain Regard?
Lorsqu’il
m’arrivait d’aborder la question de la poésie avec d’autres personnes
se présentant comme amateurs, au sens premier du terme, j’étais
un peu excédé d’entendre des avis semblables, parsemés
de noms de poètes prestigieux, certes, mais toujours morts ! J’étais
aussi attristé du peu de curiosité que manifestaient ces
amateurs et de la résignation plaintive qu’ils manifestaient quant
à une prodigalité heureuse de la poésie contemporaine.
C‘était faire preuve d’une conformité de pensée ou d’un
académisme, qui ne pouvaient coexister avec la diversité d’écritures
de la poésie aujourd’hui.
J’ai voulu montrer que les poètes d’aujourd’hui sont bien vivants,
qu’ils écrivent et nous côtoient dans notre quotidien. Et rappeler,
par l’édition de leurs textes, que la poésie contemporaine
est lisible, contrairement à certaines idées qui perdurent.
N’attendons pas que nos poètes soient morts pour les célébrer !
Avant d'être une revue virtuelle, Incertain Regard se présentait sous l'aspect d`un feuillet poétique puis sous celui d'une revue d'une cinquantaine de pages. Pouvez-vous nous raconter cette aventure ? (Comment vous est venue cette idée au départ ? Comment l'avez-vous réalisée ? Quels ont été vos interlocuteurs ?) Vos meilleurs souvenirs de cette aventure ? Les moins bons aussi peut être ? Ce que tout cela vous a apporté ?
J’avais
le vif désir, et cela depuis longtemps, de créer un support
à l’expression littéraire. J’avais une idée très
vague de ce support mais un réel désir. Progressivement, cette
idée a pris la forme d’un feuillet pour l’information et le partage
poétique. J’avais remarqué l’existence d’un feuillet littéraire
déposé en librairie qui proposait l’édition de textes
d’auteurs. C’est le responsable de cette parution qui m’a convaincu de concrétiser
ce désir d’édition. J’ai alors créé Incertain Regard.
Conscient que cette aventure pourrait se prolonger et se transformer avec
le temps, j’ai créé la structure associative au titre
éponyme. Le premier numéro, paru en hiver 1997, fut consacré
à Philippe Jaccottet. Cette
revue que j’ai voulu comme un partage fut déposée gracieusement
en plusieurs lieux de l’Ouest des Yvelines – bibliothèques et librairies
– puis envoyée sur demande. Elle fut toujours gratuite. Sa facture
était modeste, – photocopies puis impression laser – mais il
m’importait d’abord qu’elle existât. J’avais ainsi privilégié
son contenu sur la forme esthétique de l’ouvrage. Hormis Gérard Noiret
que je connaissais et qui m’encourageait dans ma démarche, je ne connaissais
personne dans le milieu de la poésie où je suis entré
à pas lents mais fervents.
Avec l’agrément
cordial qui me fut donné par les maisons d’éditions, auxquelles
je demandais à titre gracieux les droits pour l’édition de
poèmes parus dans leurs livres, ma rencontre avec Lionel Ray, celle avec Maurice Regnaut
comme la découverte de son écriture restent pour moi parmi
les meilleurs souvenirs que je conserve. Le moins bon fut assurément
la facture que je reçu d’une grande maison d’édition pour la
parution de trois poèmes dans ma modeste revue gratuite, tirant à
300 exemplaires! J’ai dû contacter le directeur de la Collection Poésie
de cet éditeur afin qu’il plaide ma cause.
Ce que cela m’a apporté ? Incontestablement le plaisir des rencontres.
Autant celles avec des lecteurs ou des auteurs, que celles avec les livres
et les écritures poétiques différentes que j’ai découvertes.
Votre revue
a reçu de bonnes critiques dans des revues telles que Action poétique,
Aujourd'hui poème, Contre-Allées pour en citer quelques unes,
alors pourquoi avez-vous pris la décision de cesser sa publication
? Aimeriez-vous qu'elle renaisse ? Est-ce que ce sera sous la même
forme, le même contenu ou avez-vous d'autres idées ?
Plusieurs causes ont motivé ma décision d’arrêter la parution d’Incertain Regard.
La première était la charge, en terme de temps, que la
revue m’avait imposé pendant près de cinq années. Je
faisais tout. Seul. Mais cela me plaisait vivement ! De l’écriture
de notes de lecture à la mise en page de la publication, de la création
du site Internet jusqu’à la déclaration administrative et l’envoi
des exemplaires : j’assurais le fonctionnement complet de la revue. Lorsqu’un
numéro était achevé, il fallait aussitôt penser
au suivant. La deuxième cause résidait dans l’arrêt de
mon activité professionnelle. En effet, elle me permettait de faire
paraître la revue à très peu de frais et était
la clé de voûte de l’existence de la revue. Et la troisième
cause enfin, fut l’échec relatif de l’abonnement que j’avais dû
lancer, à l’avant dernier numéro, pour faire face aux nouvelles
et futures conditions d’édition. L’abonnement était un pan
du fonctionnement d’une revue que je n’avais pas voulu développer
dans le projet initial. Le lancement précipité de ce nouveau
fonctionnement n’a pas permis d’obtenir rapidement, suffisamment d’abonnés
pour mettre en place un système de remplacement pérenne.
J’aimerai bien la relancer dans un futur encore indéterminé
mais pour une revue d’une belle facture avec une parution semestrielle ou
annuelle. Je pense que le contenu ne serait guère différent.
Elle se composerait pour un tiers de la présentation d’un poète
ou d’un livre, un deuxième tiers pour l’édition de poèmes
et le dernier tiers réservé aux comptes rendus de lectures.
Ce sommaire éditorial, parsemé de quelques pages réservées
à des artistes plasticiens, me conviendrait agréablement.
Toujours est-il, la revue virtuelle existe toujours et évolue même.
Dernièrement vous lui avez fait un nouveau visage. Quelles nouvelles évolutions vont être apportées à l'avenir ?
Le site d’Incertain Regard
me permet de poursuivre une activité éditoriale. Cette nouvelle
version a été longue à mettre en place. Son projet initial
date déjà de plus d’un an ! Avec Gérard Loiseau, qui
est responsable de la partie technique du site, on avance lentement mais
avec plaisir. Le site a été construit afin que la consultation
soit aisée pour les visiteurs et que la mise à jour s’effectue
avec facilité. Une page audio, réservée à l’écoute
de poèmes du site, sera peut-être créée
prochainement. Je pense aussi à changer d’hébergement, réserver
un nom de domaine, etc... Il y a encore tant de choses à améliorer
!
Aussi, en parcourant votre site, j'ai pu lire vos poèmes et alors commander votre premier recueil de poésie : Toutes têtes hautes. Vos poèmes sont emplis de blancs et de silences, avez-vous toujours écrit ainsi ?
Non.
L’écriture est en permanente élaboration mais voilà
plusieurs années que mon écriture se présente ainsi.
Elle est le fruit d’un travail et d’une maturation. Elle est naturellement
influencée par les lectures. Je voudrais préciser également
que les blancs qui caractérisent mon écriture ne procèdent
pas du choix d’un procédé stylistique. Ces blancs ont pris
progressivement plus d’importance sur la page. Je pense qu’ils trouvent leur
source en trois origines. Dans les lectures d’abord. Je songe à Lionel Ray et au rythme de ses poèmes à ma lecture. Mais l’écriture de L’ampleur du Désastre de Patrice Delbourg ou de Cosé Naturali de Paul-Louis Rossi
ont aussi leur part d’influence. Je crois que la deuxième origine
se trouve en moi-même. J’analyse ces blancs comme le signe de la propagation
du corps dans l’écriture. Peut-être marquent-ils mes hésitations,
mes questionnements, mes silences ou la fin de phrases, que parfois je ne
termine pas. C’est d’une certaine manière la présence de mon
corps que je perçois dans cette écriture. Je pense que ce que
l’on repère comme – un style, une forme... – chez un poète
et que je préfère nommer singularité d’écriture,
est présence du corps dans l’écriture. La troisième
origine enfin, est d’ordre picturale par la mise en page graphique du poème
sur la page et qui relève autant du plaisir visuel que de la facilité
d’élaboration que permet le traitement de texte.
J'ai une question indiscrète, je me demandais si vous passez beaucoup de temps autour d'un poème ? En gros comment se déroule votre travail d'écriture ?
C’est
très irrégulier. Certains poèmes ont trouvé leur
version finale en l’espace de deux à trois semaines. La version finale,
parfois peu différente à la version initiale, ne trouvant son
aboutissement qu’après plusieurs lectures à voix haute. J’aime
bien dire qu’un poème doit - tenir dans la bouche -. Mais d’autres
poèmes, sont repris et travaillés parfois sur plusieurs années.
Je ne suis pas pressé. Le plaisir d’écrire, je le trouve aussi
dans cette maturation et cette re-investigation du poème et de moi-même.
J’ai pour cela une somme importante de textes et de poèmes où
je puise et qui datent parfois de plusieurs années. Le temps se montre
bon conseiller. Si un poème ou un texte conserve en lui toute sa force
à votre lecture et cela après une longue période, c’est
probablement qu’il possède en lui certaines qualités.
Deux phases se détachent en ce qui concerne la manière
dont je procède pour écrire. Celle d’une écriture –
première – qui prend corps sur un carnet que l’on conserve sur soi
– ça ne prévient pas ! - et qui se traduit par des notes, des
poèmes, des pensées... Puis une seconde phase où un
travail sur l’écriture commence. C’est cette seconde phase qui occupe
la majorité du temps de l’écrire.
Dans vos poèmes on ressent la présence de la mémoire, de l'absence, du silence et du corps qui cohabitent avec la nature, le ciel, la terre comme avec tant d'éléments du quotidien.
Comment vous viennent vos poèmes ?
Quels sont vos poètes référents ?
Vous arrive-t-il d'être influencé par d'autres poètes ou textes ?
Il
y a des poèmes qui sont parfois – donnés – mais ils sont rares.
Je ne décide pas d’écrire un poème. C’est plutôt
un besoin d’écrire qui s’impose à moi. Mais il y de longues
périodes qui ne sont pas prolifiques. Lorsque le texte ou le poème
ne me paraît pas abouti, il devient pour moi une matière première
où je puiserais plus tard. C’est une sorte de minerai qu’il me faudra
exploiter ou évacuer.
J’aime beaucoup Lionel Ray.
Je suis très sensible au rythme de ses poèmes et au questionnement
qui persiste au long de ses livres. J’apprécie aussi Philippe Jaccottet, notamment Poésies 1946-1967 avec L’Effraie, L’Ignorant ou Leçons dont il faut découvrir la simplicité et la beauté de l’écriture. Fernando Pessoa également m’accompagne avec Le Livre de l’Intranquilité où
la singularité du regard n’a d’égal que le plaisir de surprise
et de découverte du lecteur. Un bon livre de chevet. Mais il y a tant
d’autres poètes encore qui m’apportent le plaisir de leur écriture
singulière.
L’influence de nos lectures sur l’écriture est évidente.
Ne serai-ce que ce désir d’écrire qui peut naître, lorsque
je lis un poète ou un texte qui me touche Si la poésie est
un art, elle est aussi un partage. Partage de l’un vers l’autre, dans ce
lieu d’échange de la lecture. Tout individu désirant écrire
de la poésie, se doit d’en lire et de découvrir ce qui s’écrit
aujourd’hui.
A quand le prochain recueil ? Avez-vous des projets actuellement ?
J’ai
la matière première. Il me reste le plaisir de l’achèvement.
Oui, je quitte la région parisienne pour rejoindre la région
de Nantes. J’aimerai bien organiser une activité autour de la poésie
contemporaine. Le temps dira la suite...
Revue: Incertain Regard
Par Cécile Guivarch
pour francopolis
mai 2005
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