Ils sont là
Assis
sur les bancs
Statues de chair
Blocs de silence
*
Comment dire
Avec quels mots
la rupture
Ce moment
Et sa
brutalité
La
frontière
entre avant et
après
Ce lieu
barbelé de
frais
que soudain
on traverse
en se
déchirant
Peut-être
avec ces trois
mots-là
Un présent
fracturé
*
Ils sont là
comme en attente
et
celui qui passe
ose
à peine les
saluer
de peur
d’écorcher
leur
inquiétude
ou de briser
sans le vouloir
leur solitude
*
On voudrait rugir
mais
dans nos
sociétés
il ne faut pas
tirer de sa torpeur
le consommateur
quelqu’un ou quelque
chose
pour être
là
sur ces bancs
En sursis
*
On n’a jamais
déployé
autant
d’obscurité
On est tout
fendillé
pareil au
mélèze
après la
foudre
Hébété
Obstiné
Carbonisé
au cœur
mais
osant
le désir
de vivre
ou
plus simplement
celui
de survivre
à l’envol
des vautours
On cherche
à franchir
ce guet de
flammes vives
A
conquérir
une fois de plus
le matin
On cherche
à dégager
Comme un nouveau
langage
A fouler
les sentiers
habituels
Dans ce quotidien
têtu
souvent futile
on cherche
à retrouver
son ossature
*
Les jours de fort
mistral
parmi ces rues
livrées aux
rafales de feuilles sèches
comme aux cavales
des sacs plastiques
les bancs
résistent
Le claquement d’un
volet
tourne la page
les toits
s’agrippent à leurs tuiles
les textes à
leurs papiers
pour la
conscience
terre d’exil
?
Sur quelle carte
dresser
avec certitude
le no man’s land
interdit par
l’ange à l’épée de feu
?
Une fois encore
une fois de plus
les derniers
piaillements d’hirondelles
chevauchent
les violons des
grillons
Une fois encore
une fois de plus
le poème
arpente
avec son encre
noire
la nuit qui vient
La ligne
dérisoire des mots
posés sur
le papier
balise la faille
où chemine
la pensée
Cherche à
creuser
l’épaisseur
du mystère
On voudrait tant
déchirer le ciel
et encore plus
à
présent qu’on lève un peu
si peu
le voile
et que l’on
entr’aperçoit
dans l’infini
flot du vide
autant
d’îles au trésor
que dans nos
livres d’enfant
Que suis-je
d’autre
qu’un enfant
perdu
qui apprend
à voler
en battant des
mots
sans jamais
réussir vraiment
à quitter
le papier
?
Sans doute
est-ce pour ne
pas trop se lacérer
qu’on s’accroche
aux rituels
aux phrases
toutes faites
et que l’on se
rétracte aussi longtemps
derrière
nos vitres ou nos écrans
?
Peut-être
aussi
s’applique-t-on
à jouer :
il suffit de si
peu de craie
et quatre lettres
dessinées
en s’arrachant la
peau des doigts sur le goudron
les livres
éclairent nos
solitudes
*
La nuit. Le
cerisier parle. Il donne à la brise des nouvelles de
l’envers caché du monde. Le cheminement des taupes. La lente
remontée des cigales. Les soucis de cœur d’un ver de terre
adolescent.
Ecouter l’arbre.
Mûrir ?
La nuit. Le
cyprès jette entre les meutes d’étoiles des
brassées de chauve-souris. Leurs rondes saccadées le
protègent de toute question inutile. Sa verticalité
demeure intacte jusqu’au mistral.
Veiller l’arbre.
Grandir ?
La nuit.
L’olivier se tait. Des hommes dorment la tête entre ses
racines. Il les connaît si bien. Caresse leurs songes. Leurs
royaumes vierges d’huiles.
Cultiver l’arbre.
S’apprivoiser ?
*
Aucun passé
ne disparaît jamais vraiment
Les morts ne
s’absentent pas
ils deviennent
simplement invisibles
Ni plus légers
ni plus lourds
non
simplement invisibles
et quelques fois
terriblement
présents
*
Plus tard
la paix revenue
on se retourne
et on les
aperçoit
nos lamentations
abandonnées
dans les vestibules de la louange
comme autant de
brouillons que l’on froisse
et que l’on jette
en boule
avant d’atteindre
au poème
Et de cicatrice
en cicatrice
nous approchons
la transparence
et la
légèreté
*
Qu’emporteras-tu
Dis-moi
qu’emporteras-tu
dans ta petite
valise en soi
quand tu
embarqueras
|
Aujourd’hui on ne
crie pas
On ne crie plus
On se tait
On ne voit plus
le bleu du ciel
On ne voit plus
rien
On se heurte
à tout
au rire d’un merle
au tremblé
des feuilles
On est aveugle au
coquelicot
et tout a ce
goût
de rien
Absolument tout
On est mordu par
la mort
bien mordu
bien secoué
déchiqueté
On voudrait zapper
comme on le fait
quand le film du
soir devient insoutenable
mais
l’écran demeure éteint
Il nous faut
l’affronter à voix nue
cette mort
pour la plier
dans nos placards
l’intégrer
à l’absence
et rallumer nos
yeux
à son
regard
*
Le mistral
trouble la fontaine
Alors
on passe
on s’interroge
Qu’attendent-ils
ainsi
comme oubliés
du temps
Immobiles
Le savent-ils
seulement
le savent-ils eux
mêmes
?
D’ailleurs
a-t-on besoin
d’attendre
d’espérer
tout s’arque boute
on attend
le front posé
sur la vitre
on se tait
Avec la nuit
le vent se niche
entre les branches
des platanes
Le scintillement des
étoiles
soudain si proches
presque à la
portée du cueilleur
repose les yeux
blessés
*
Une fois encore
une fois de plus
et c’est bon
une encoche
à graver sur la pierre
celle qui fait le
compte
entre deux dates
bien à
l’abri de sa grille
au cas où
D’où vient
ce souci
d’enfermer les
morts
?
Une fois encore
une fois de plus
donc
je regarde le
soleil rougir
il me saisit
de son familier
vertige
Chaque soir
il se couche un
peu plus loin
avant de refluer
passé le
solstice
émondant
ainsi mon temps
Avant moi
il venait
déjà jouer ici
il continuera
sans moi
Avant
comme
après
que savais-je
et que saurai-je
de moi
?
Où
se situe le
territoire
?
Qui
de la vie
ou de la mort
est
pour toucher le
ciel
et croire
?
Une fois encore
une fois de plus
face à ce
cosmos indifférent
je me sens
paisible
et je
l’écris à ma table
à ma place
éphémère
la joie est
là
solide
et fragile
*
On sort
On promène
son corps
Une longue houle
de loin en loin
roule
jusqu’aux cheveux
Les caresse
Pourquoi
chercher ainsi
à
défricher sans cesse
et l’espace
et le temps
?
Pourquoi
arpenter avec autant
de tension
les sentiers du
Mercantour
?
Pourquoi
chercher à
étreindre
d’un seul regard
360° d’horloge
?
Pourquoi chercher
à nommer
chaque
aspérité
avec l’aide
des points cardinaux
de son corps
?
Pourquoi
s’obstiner
à cribler de
mots
le silence
?
Pourquoi tracer tout
cela
Avec des signes
solubles à l’eau
sinon pour tenter de
gommer toute frontière
!
Contre
l’écriture
le temps perd un peu
de son pouvoir
pour l’absence
?
Emporteras-tu
autre chose
que ce corps raidi
?
Ce corps qui s’en va
chaque atome
épouse une
liberté nouvelle
et poursuit
l’aventure
Cette aventure
inaugurée
avant ta présence
et dont
tu ne
connaîtras rien de plus
que ce dont tu te
souviens
de ton avant toi
Qu’abandonneras-tu
de toi même
sinon ce que tu en
as donné
dans la joie
?
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