Entrevue avec PATRICK
JOQUEL
par Isabelle Servant
PATRICK JOQUEL est un
poète dont la réputation n'est plus à faire, mais
dans notre région, nous connaissons surtout son grand amour de
la montagne.
« J'habite à Mouans Sartoux et la montagne
commence à mes fenêtres. Il ne me reste plus qu'à
m'échapper, à chausser les sentiers pour aller de la mer
jusqu'aux sommets du Mercantour. Plus souvent que possible. »
Francopolis : Patrick, qu'est-ce pour vous que la poésie,
comment est-elle inscrite dans votre vie ?
La poésie dans ma vie… C'est beaucoup ! Mais cela reste
indéfinissable, comme le désir en été de
commencer la journée par un long bain de mer ou bien celui de se
retrouver en crête avec les bouquetins du Mercantour plus souvent
que possible…
C'est de la lecture de poètes chaque jour, c'est la tentative
d'écrire chaque jour, c'est de donner de la poésie
à mes élèves chaque jour…C'est de lire en public
quand j'y suis invité…
Francopolis : pourquoi, comment écrivez-vous?
J'écris parce que sinon je vivrais moins bien. Les
jours où je n'écris pas, au moins dans ma tête, ne
sont pas des bons jours.
J'écris comme on chuchote à un ami. Comme on marche sur
la neige. Comme à l'affût de l'autre, de l'étrange
et du différent. Comme on marche…
Quant au comment… avec un crayon, un stylo encre, un clavier… sur un
carnet, un cahier, un écran… Le matin, le soir, en
marchant…
Chaque livre est une longue respiration.
De la lente élaboration des poèmes à leur mise en
livre et dans le projet livre, à leur mise en résonance,
il se passe parfois plusieurs années. Il faut dire que cette
lenteur permet de vivre sur plusieurs types d'écriture,
plusieurs projets ; et qu'elle permet le travail quotidien.
Francopolis : aimez-vous amener les autres à
écrire? Avez-vous des chemins particuliers pour cela?
Il m'arrive de mener des ateliers d'écriture. Avec des
enfants comme avec des adultes, selon la demande (voir le site
animations et les liens). En classe aussi la mise en écriture
est un des enjeux de ma pratique, et son observation aussi ( voir
l'ouvrage : poésies cycles 2 et 3 chez Magnard ).
Francopolis : vous avez écrit pour les enfants,
faites-vous des différences entre votre écriture
pour les enfants et celle pour les adultes?
Non, pas vraiment. Avant tout j'écris.
J'ai presqu'envie de dire que le reste regarde l'éditeur ; c'est
lui qui choisit de prendre le risque d'éditer, et dans l'une ou
l'autre de ses collections. Ceci dit ce n'est pas tout à fait
vrai : lorsque j'ai décidé d'écrire le roman
Ruendo des Merveilles (éditions du Laquet), je voulais qu'il
soit édité en jeunesse parce que je voulais partager
avant tout avec des adolescents tout ce que les graveurs de cette
vallée du Mercantour m'avait appris. Ce choix a donné le
personnage central: Ruendo (un ado), et influé sur la longueur
du roman ainsi que sur sa temporalité. Résultat : le
roman est aussi bien accueilli par des jeunes de 13 ans que par des
adultes ou des personnes âgées. Pour la poésie,
Mammifère à lentilles (éditions Grandir –chez
l'auteur-), public cible selon l'éditeur le collège ;
bon, je me suis longtemps interrogé sur la thématique
à donner à l'ouvrage avant de l'axer sur l'environnement
collège et la temporalité des hommes (de la
préhistoire à la navette spatiale).
Je crois qu'un bon livre peut être lu à tout age.
Avant d'écrire pour l'un ou pour l'autre, je cherche à
écrire à l'homme ; à ce qui est commun au petit
comme au grand. Je m'amuse à écrire des comptines et
autres petits poèmes à plusieurs étages ( Demain
les hippocampes éditions Solos ou Heureux comme l'orque
éditions Pluie d'étoiles) , histoire d'aller au
delà du simple jeu de mots autant qu'à traduire en mots
les paysages du Mercantour (hautes drailles ou en amont du langage
éditions Encres Vives –chez l'auteur-).
Francopolis : le fait d'écrire change-t-il votre
manière d'enseigner? De quelle façon?
Je suis très attentif à ce qui se passe quand
l'enfant écrit.
A la façon dont il use les mots, dont il se révèle
à lui-même… A ces moments là, mes classes sont mon
laboratoire.
Francopolis : vous avez également écrit des
chansons pour enfants. Est-ce une technique particulière
d'écriture?
Oui et non. C'est surtout la rencontre entre un texte et un
musicien.
Francopolis : nous aimons beaucoup votre « calendrier
», le voici :
Calendrier
Janvier
Sur leur piton rocheux
de hautes citadelles
sifflent les vents
Ils s'aiguisent à leurs mémoires
Sablent en silence
leur érosion
Février
Parmi ces ubacs
dont les chevreuils seuls
rompent le silence hivernal
des cairns engourdis de mousses
ramènent nos pas
sur de mystérieux sentiers
Fragments de courses perdues
Passages oubliés
La forêt
comble toute trace
Mars
Sous la couverture acerbe du mistral
et celle du faucon acide
tu marches sous de jeunes chênes
Tu entends bruisser le sous bois
Un animal secret s'enfuit
Avril
Tu débusques les chamois
Ils te filent entre les yeux
entre les mots
Surprendre
Et suspendre alors
le poème à leurs courses
Mai
Sur les moraines
polies
et tavelées d'embruns
le chaud
fond la patience
De la caresse à la cascade
un chant de fonte
à chœur multiple
court sur la pierre
Juin
Un névé s'accroche
Main de l'hiver
Entre pelouse et pierre
Le sentier patauge dans les flaques
Le ruisseau s'ébroue entre deux galets
Juillet
Bleu nuit
émeraude sombre
névé sur le lac
icebergs
Bleu frais
Où sont le phoque
et l'ours blanc
Claquement sourd
Chute d'un bloc de falaise
Fragments sur la neige
Août
De ces longs couloirs glaciaires
les lichens retiennent
les parois verticales
Tachent aussi
de jaune ou d'orange
les cailloux éparpillés
comme billes sur un goudron d'école
Imperturbables
Septembre
Le torrent se jette au lac
dans un cri d'argent
Enclos à mouton
muret de pierre sèche
enclos abandonné
Nous frottons
un brin de lavande
entre nos mains
son parfum nous conduira
jusqu'au terme
Octobre
Aérien
au flanc des barres rocheuses
le sentier
avec son lot de calcaire
et de thyms
Avec au hasard du soleil et des nuages
ses érables
Le vent
vient de la mer
Le vent
avec son silence épanoui
allège un à un nos pas
Novembre
A notre approche
un dernier lézard
froisse un brin de silence
Il se faufile
à travers un labyrinthe de pommes acides
Décembre
Les mots
que tu as jeté au vent
hier soir
en rentrant le bois
se sont cristallisés
pendant la nuit
Le jardin se tait
ta langue aussi
Ton regard
ouvre au soleil levant
sa corolle
Il guette
avec bonté
ce bel instant
où
fontaine
il entendra
tinter sur la glace
une goutte
|
Francopolis : pour mieux connaître Patrick Joquel...
Son adresse -
Patrick Joquel
5, Traverse de l'Orée du Bois - 06370 Mouans Sartoux
Ses dernières publications :
Perché sur ton planisphère,
illustré par Zaü à Lo Pais
Heureux comme l'orque, illustré par Yves Attard
chez Pluie d'étoiles
Mammifère à lentilles aux éditions
Grandir.
Poésies, cycles 2 et 3 chez Magnard
Des pages pratiques sur la place de la poésie en classe… Des
fiches présentant près de 80 poèmes (auteurs
contemporains pour la plupart) et donnant des pistes autour de ces
poèmes…
Et le ciel ? illustré par Derez A Derez chez
Solos (diffusion le jasmin)
Le ciel au dessus de la montagne, le ciel des cosmonautes, le ciel
où l'on va ? après la mort…
Olivia et l'enfant des sables, illustré par
Isabelle Malmezat au Jasmin
Un conte, hommage à la parole… un conte sur les contes…
- Ruendo des Merveilles au Laquet
Ecrit en collaboration étroite avec Thierry Serres, responsable
des
recherches sur la vallée des Merveilles, ce roman met en
scène un
adolescent durant l'été de son initiation, il y a 4000
ans…
et tout cela en librairie !
et sur internet :Badalona
Francopolis : Quels sont les auteurs contemporains de
poésie que vous aimez particulièrement?
P.J. :Jean Marie Barnaud, Alain Freixe, Jacqueline et Claude
Held, Michel Cosem, Alain Ùboudet, Jean Claude Touzeil, Joel
Sadeler,
Norge, Guillevic…
Comme il fait froid !
C'est comme
si les cartes sous nos doigts avaient gelé.
Par où passer,
Si nos chemins n'ont plus de pays,
si pour nos paroles il n'est plus aucun temps ?
Comment
quand l'aube même hésite
à basculer dans le jour
sortir présent
sous les bandes des nuages ?
Alain Freixe
"Les couteaux d'été", Triages
Bleu
Est-ce manière de dire
de s'accrocher encore aux vieilleries poétiques
Bleu
Et quoi d'autre pour soulever la langue.
Jean-Marie Barnaud
"Bleu et quoi d'autre cheyne"
Entre l'if et le buis
J'ai rencontré le merle.
Il m'a parlé
De la pluie et du temps.
Il m'a dit que son nid…
Non, ne dis plus rien :
Ton chat t'écoute
Jacqueline HELD
"Ton chat t'écoute". Le dé bleu
Une jeune dame, bigre, bigre !
Un jour s'assit sur un tigre.
Elle s'en alla en souriant.
Quand elle revint avec le tigre
elle était assise dedans
et le tigre était souriant.
Claude Held
"Décol n°3", éd. L'épi de seigle
L'île à la nuit tombante
S'éloigne à l'horizon
Pour ses rendez-vous secrets
Elle va vers le nord
Plein de reflets bleus
Vers le sud
Au ventre de dunes
Vers les îles du ciel
Aux nuages insolents
Vers les îles profondes
Comme des magies
Michel COSEM
"Au pays des braises bleues", Pluie d'étoiles éditions
Francopolis : un lien pour mieux connaître vos livres et
ceux que vous aimez ?
visiter ce site
Joquel
par Isabelle Servant
(9 août 2002)
|