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Laure Morali: des mots et des vents

par

Ali Khadaoui

C’est à Wendake que j’ai fait la connaissance de Laure Morali. Depuis, comme une fée palpitante au soleil, sa présence, furtive, toujours souriante, hante agréablement mes nuits. En effet, chez cette femme des mots et des vents, j’ai retrouvé quelque chose que je recherchais depuis mes premiers vers, et dont Joséphine Bacon a dit que c’était « mon autochtonie », ce rêve du temps où les femmes étaient libres, et reines en terre amazighe.

Originaire des amazighes des Aurès, la grand-mère maternelle de Laure Morali a tout fait pour nous réunir au Canada, en Septembre 2008 dans un élan dont Laure dit elle-même dans son recueil "La terre cet animal"

" Quand on marche
 dans les aubes
d’un continent vieux
il arrive
que des ancêtres nous bousculent
en nous prenant les mains
et nous tombons à genoux
pour sentir le ciel dans le sol ."

Sur "cette même plage qui borde le monde, le bleu, l’espace ", une plage sur laquelle Laure Morali promène un regard de tendresse permanente qui sème l’espoir sur son passage, ce "bonheur espiègle" qui l’accompagne, la poétesse « pense " je t’aime »" sans savoir à qui ce sentiment s’adresse ".

De cette fée radieuse qui ne laisse rien  apparaître de son inquiétude,  de sa déchirure, se dégage une lumière qui force le respect.

Entre ciel et terre, Laure Morali est un voyage suspendu au mystère des mots, d’un "vieux pin qui l’a fait murir " en tant que jeune fille…ce même pin qui lui souffle des vers d’une incroyable beauté depuis lors. Car si l’art est le propre de l’homme, Laure Morali est le propre d’un art où se reflète une fleur, une douceur, qui ont sombré dans les adieux pour faire durer le plaisir, entre la Bretagne, le Canada et une Afrique du Nord qu’elle n’a connue que par sa grand-mère Paon, mais surtout entre les langues de ses ancêtres bretonne et amazighe qu’elle ne connaît pas, le français, l’innu et les autres langues amérindiennes qu’elle aime et qu’elle habite pour retrouver le bonheur d’avant de naître.

Cette descendante d’une lignée de reines par sa grand -mère suit sa destinée  avec cette lucidité dont le prix est la douleur, en attendant un salut qui viendrait de quelque  part, et qui n’est autre que l’écriture, cette  " route des vents " sur laquelle j’ai rencontré cette écrivaine et poétesse d’exception, ces lointains rivages qui, soudain, deviennent si proches quand elle en parle si bien sans les nommer.

Une contrée où on ne voit plus cette frontière entre la terre et le ciel, entre la vie et la mort, tellement le temps et l’espace sont abolis par Laure Morali afin d’arriver au " temps où la lune et le soleil n’avaient qu’un seul cœur pour briller… », et marcher

"dans le rêve" de
 « la terre
cet animal
       quand elle respire…"
.
Quel tableau de mystères peints d’une pichenette ! Tel un grand peintre retouchant la toile où est reproduite l’aube de l’éternité,

" au temps où l’âme
                              était un vide
lumineux "

Tel un cinéaste, Laure Maurali promène notre regard de vérité en lumière et de lumière en esprit…Le tout enveloppé d’un amour si grand pour le monde et la vie, pour les " vents bleus " comme les hommes bleus du désert, les Touaregs,

"Les nomades   
        -qui-       ont signé leurs rêves
                              dans la pierre "…

il ya plus de neuf mille ans !!!

Du temps où l’une de nos aïeules commune, "Thiya" (la belle en langue amazighe) était réellement reine !

Comme si cette quête devait la conduire inévitablement sur les traces des premières femmes et des premiers hommes d’Amérique et d’Afrique, afin de rencontrer son amazighité à Wendake et s’inviter à venir sur la terre des ses ancêtres maternels à un moment où elle venait juste de perdre sa grand-mère maternelle, cette complice qu’elle aimait tant, et qu’elle adore toujours comme si de rien n’était, abolissant d’un revers de vers, la mort qui se fait toute petite devant la si grande sagesse d’une si jeune femme mais d’une si immense poétesse qui dit justement de cette grand-mère :

"J’ai été couvée sous les plumes
de grand-mère paon,
loin des fontaines chaudes de Khenchela
et de l’odeur du lait qu’elle barattait
dans la ferme de son père,
Lazare, fils de Taos
et d’Hanania
Ma grand-mère me dit
que j’ai gardé la lumière
du regard de son père
qui regardait les étoiles
avec ses frères chaouis,
dans la nuit des Aurès
Lazare devait parler le tamazight
comme sa mère paon "

                   ********
Et d’ajouter quelques mois plus tard :            *

"Je te regarde respirer dans ton sommeil
ta peau forme des vagues,
grand-mère paon
la chair a fondu pour laisser passer
                                              la lumière
la douleur a poli
                         ta main douce
je la tiens,
c’est à mon tour
de te faire traverser
                                 bientôt
d’où tu me verras
ce sera moi le fantôme
et toi la femme épanouie dans la roue
de l’univers "…

waaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaw !!!!

***

Laure Morali

Biographie sommaire

Laure Morali est née en 1972 à Sainte-Foys-les-Lyon. Elle est bretonne par son père, amazighe des Aurès (Algérie) par sa grand-mère. Depuis 2002, elle vit à Montréal où elle est déjà bien connue en tant qu’écrivaine, poétesse et réalisatrice de films.

On lui doit ces recueils de poésie:
La mer à la porte, La route des vents, La terre, cet animal (La Part commune, 2001, 2002, 2004), La P’tite Ourse (Naïve, 2008), Aimititau ! Parlons-nous ! recueil de correspondances littéraires entre écrivains francophones des Premières Nations et écrivains québécois (Mémoire d’encrier, 2008).

Elle réalise surtout des films documentaires sur les amérindiens et leur civilisation pour retrouver une humanité première ensevelie sous les couches sédimentaires du brouhaha contemporain. Pour cela, elle a fait plusieurs séjours chez différentes populations des Premières Nations où elle a noué des liens amicaux avec des écrivains autochtones.
Elle a réalisé :
- Les Filles de Shimun (documentaire de 52', coproduction innue-québéco-française, TFO/APTN/Odyssée/Productions Manitou/Mille et une films, 1999)
- Onze portraits/ documentaire de 13' dans le cadre de l'émission Les Bretons du tour du monde (TV Breizh, 2000)
- Les Femmes naissent dans les coquillages (documentaire de 26', France 3 Ouest, 2002)
- Scénario du film d'animation La P'tite Ourse, coécrit avec Jean-Pierre Lemouland, réalisé par Fabienne collet et mis en musique par Titi Robin (8', JPL Films, Rennes, 2007).

Ses livres comme ses films sont ceux d’une poétesse à l'écoute d’une mémoire humaine mise à rude épreuve par le temps dans des territoires divers en Amérique, en Afrique du Nord et en Europe même.
Elle est aussi obsédée par le dialogue entre les cultures et les civilisations, obsession qui l’a conduite à initier et à mener à bon port à « Aimititau ! Parlons-nous ! » en faisant dialoguer pour la première fois, une trentaine d’écrivains amérindiens et québécois.

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Ali Khadaoui
pour francopolis mars 2009
recherche Ali Iken

Créé le 1 mars 2002

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