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"Nouvelle Vague", recueil de nouvelles par neuf jeunes auteurs polynésiens, Éditions Au vent des îles.

 

 

« Je ne peux décrire l'exigu sans la paradoxale vision de l'immensité. Mes deux pôles, c'est cela : l'exiguïté du lieu immédiat (un four à chaux, une cage, un hameau, un trou) et l'amplitude de la vision recherchée. Je pars de l'étroit pour atteindre le large. Le large océanique qui est le rêve de tout insulaire, et le large de l'immortalité qui surplombe notre dérisoire temps d'existence ».
(Ananda Devi, dans un entretien)


 

 

"Je pars de l'étroit pour atteindre le large"

Chronique de Stéphane Méliade


 

 

Qu'est-ce qu'être "îlien" ?
Une question aussi difficile que "qu'est-ce qu'aimer ?"
 
Un peu gauloise, un peu maorie, un peu chinoise, voici la Polynésie. Un peu fleurie, un peu oubliée, elle vit sa vie. On y trouve des gendarmeries et des agences France Telecom, on y vit en Francs Pacifique et en Éducation Nationale. On y touche des aides et on y paie tout beaucoup plus cher. On y donne des spectacles de danse que l'on croit l'expression naturelle du corps, alors qu'elles sont très codifiées.

C'est là-bas et c'est ici.   

On associe très peu la Polynésie à la littérature. La Polynésie, ça veut dire les lagons bleus, les grosses bêtes qui piquent, les vahinés vanillées, les fleurs passées autour du cou, les chants à la polyphonie troublante. Poussons un peu et nous trouverons dans notre esprit : les tatouages, la Maison du Jouir de Gauguin, Gémir n'est pas de mise comme dirait Brel, un concours de Miss France, les essais nucléaires de Mururoa, les révoltés du Bounty.

Tout sauf la littérature. Je ne veux pas dire la littérature qui parle de là-bas, mais la littérature qui est faite là bas.

Je consolerai les Tahitiens, les Marquisiens, ceux de Bora-Bora et de Moreea et tous les autres polynésiens, en leur disant que certains parisiens n'en savent pas plus sur l'Ariège ou sur l'Orne, voire sur Rambouillet, que sur les îles de la Société.

L'objet que je vous présente aujourd'hui n'est donc, logiquement, pas un livre, il n'a pas été écrit, et ce par des non-auteurs de 15 à 28 ans, lors d'un concours de nouvelles. Ouf, nous restons en terre rassurante, tout ceci n'existe pas.


Ce qui me met donc très à l'aise pour vous parler de "Nouvelle Vague", ce recueil collectif réalisé par des jeunes polynésiens en l'an 2000.

"Le lagon n'était déjà plus que deux ondes enragées qui se croisaient sous la houle et le vent". Dès la première nouvelle, celle de Jade, la carte postale en prend un coup. Nous sommes en plein Cyclone, c'est le titre du texte, et c'est exactement ce qui se passe. Judicieuse ouverture que cette entrée en fracas dans un univers qu'on croyait bleu et plat.


Ce n'est pas avec l'étonnante histoire d'Hinareva, que nous conte Julia Green, la plus jeune participante du concours, 15 ans que nous allons nous reposer. Saisissante maîtrise de sa part et notion aigue de ce qu'est un destin de femme et un destin de fille. Malgré son enchaînement, Hinareva pense, comme Dostoievski que "la beauté sauvera le monde" :
"Vous lui auriez montré, par exemple, un morceau de tôle tout sale et tout rouillé, elle vous aurait dit de laissez promener vos yeux, de vous laisser mener par l'ondulation, le serpentement de ces vagues métalliques, de contempler les dessins étranges et passionnants qu'avait réalisé la rouille"

Ce non-livre est décidément de plus en plus intéressant.

Ce sentiment se confirme avec le journal de bord du vide de Sydélia Guirao. "Quelques polynésiens inconnus sont sur le chemin, je demande :
- Qu'est ce que "le vide de la Polynésie" ?

C'est alors qu'un vieux sage, de culture maorie ancestrale lui apprend que le mot "vide" n'existait pas avant l'arrivée des européens. Le vide ce serait donc tout simplement ça ? Ne plus être ce qu'on est vraiment.

Caroline Tchoung Koun Taï va, elle, chercher une autre réponse, non pas ailleurs, mais demain, en l'an 2180, au-delà des apparences. Une petite Tahitienne y découvre que son île est montée de toutes pièces. "J'allais découvrir plus tard qu'il n'existait plus, en ville, une seule plage qui ne soit pas artificielle." Un comble. L'avenir du paradis serait-il donc dans sa synthétisation ?

Mais attention, c'est bien parce que ces jeunes auteurs aiment passionnément leur île et ses cultures qu'ils l'interrogent, la bousculent, la retournent parfois comme un gant, et en fin de compte, l'appellent et l'étreignent.
Et là, enfin , il est possible de se retrouver, après une si longue quête, comme Georges dans la nouvelle L'Atoll du renouveau: "Devant le corail et les coquillages laissés sur le sol, il devisait sur la frontière entre le réel et l'imaginaire".

C'est donc bien le secret de ces îles : elles existent aussi à l'intérieur de soi. Les autres nouvelles de ce recueil accompliront cet arrimage à votre île, portée, rêvée, vécue, enfin atteinte.

Stéphane Méliade, le 6 août 2003.




Créé le 1 mars 2002

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