Un autre jour, un groupe de gens
habillés en blanc, portaient un cercueil avec des chants
funèbres et remontaient le hameau du bourg. Ouâsta,
capuchon sur sa tête baissée, suit le cortège.
Puis, Sakkou l’accosta au tournant du hameau et l’invite à dire
l’Izli de circonstance ! Ouâsta, révolté, dit que
ce n’est ni l’occasion, ni le moment de dire des vers puisqu’il
vient de perdre son père et qu’il suit le cortège
funèbre pour l’enterrer. Sakkou lui n’est pas de cet avis pour
cause qu’ils sont des poètes et qu’ils sont tenus de faire leur
devoir à l’image des journalistes qui font des reportages sous
des bombes dans des guerres ; « nous
écrivons l’histoire
par Izlan disait-il ! » Ouâsta convaincu demande
à
Sakkou de commencer à dire ce qu’il a. Sakkou dit dans l’Izli :
· Toi qui pensais être entouré de
bandelette de protection
·
Tu l’as
perdu, les autres te regardent d’en haut
Ouâsta répond
:
· Voyez-vous le jardin mauve aux multiples
plantes
·
Même
si l’une périe, les autres se développèrent
En réponse Sakkou
dit dans l’Izli :
· Même si le seau est plein pour
l’ablution la prière
·
Chacun
prendra sa tasse ; rien, serait le dernier mot
Ouâsta gêné, lui dit que
ce n’est pas le moment de continuer et qu’il va d’abord enterrer son
père.
Quelques mois plus tard, le même
groupe discute au passage habituel du hameau. Ighi, au regard
croisé et pipe à la main, leur demandait de cotiser pour
organiser le dîner comme d’habitude. Sur proposition de Zaid, les
membres se mettent d’accord pour qu’ils le prennent chez Ouâsta.
Le soir, autour du feu, ils échangent des brochettes et la pipe.
Ils parlaient des nominations dites illégitimes des
caïds par les autorités coloniales
françaises. Ces derniers ne se référant plus
à Izerf qui stipule l’organisation des élections
libres et transparentes. Ouâsta intervenant par l’Izli et dit :
· Mais qui j’ai envoyé pour
négocier avec l’autorité ?
·
C’est cela
le sortilège de mes orphelins
Après l’approbation des membres du
groupe, Sakkou répond par l’Izli et dit :
· Le messie a parlé aux tombeaux
·
Il pensait
que les morts ont des oreilles
Après un moment de rire et de
gaîté, Sakkou se retourna vers Ouâsta et lui demanda
de parler d’autre chose. Ce dernier lui suggère de commencer.
Sakkou disait alors dans l’Izli :
· Quand je nomme Ouâsta aux gens de
Ghriss
·
Ils me
disent que la misère lui tient compagnie
Ouâsta, dans une
position inconfortable, répond et dit :
· Avant, c’est dans les parfums qu’il s'attise
·
Aujourd’hui, je mets le feu à ma coiffure
Mouha Ouhssain
Oubenâddi ( Lbaz )
Le lendemain à l’aube, Sakkou prit
sa bicyclette et longea une route poussiéreuse au désert
à destination de la ville d’Imtghern pour réparer son
poste de radio, qu’il a accroché au guidon. Arrivé sur le
lieu, à la boutique du judaïque le réparateur,
il déposa le poste sur le comptoir. Ironiquement,
Bahmama le réparateur lui signifia que même si le poste
radio parle, il n’a plus rien à dire de toutes les
façons. En attendant, Sakkou se dirigea ver la cantine pour
prendre un verre. Dans l’atmosphère du lieu, il
dégusta sa bière tout en discutant avec le barman.
Ce dernier demanda à Sakkou de dire l’Izli de la situation. Tout
ouïe, Sakkou chante l’Izli à haute voix. Il dit :
· Fils de yaflman prend ta boisson
·
Cela
vaudra mieux que ce miasme régi
Les locataires des lieux chantèrent
tous l’Izli dans le rythme. Il quitta la scène bouillante
pour aller récupérer la bicyclette et la radio.
Il rentra au bercail, la
radio toujours accrochée au guidon, il entendit chanter
l’Ahidous dans les jardins des locaux des autorités
françaises. Il demanda à un passant des informations sur
les raisons de cette fête. Tout en désapprouvant, ce
dernier l’informe que les Français viennent de nommer un nouveau
caïd sur la région. Il lui disait également que le
grand chantre Ouâsta faisait parti des invités de
l’Ahidous. Sans attendre la suite, Sakkou fila vers les lieux. A
l’entrée, il jeta de côté la bicyclette et la radio
avec. Dans le jardin, il se mit dans la rangée de l’Ahidous en
face d’Ouâsta. Puis, il leva la main pour dire l’Izli, l’Ahidous
se tut devant le regard curieux de l’assistance dont sa
majorité est militaire. Il chanta seul le premier vers et
dit :
· Je voudrai que tu me dises l’état de
la crue récente
·
Est-elle
franchissable, est-elle une tueuse ?
L’Ahidous chanta l’izli au su et au vu de
l’assistance mixte marocaine et française. Puis, Ouâsta
leva la main pour répondre. Il dit :
· Elle fait beaucoup de bruits, elle n’est pas
encore là
·
Je
suis la rive, j’attends la clémence du sort
Sakkou répondit en
l’informant par ce qu’il a entendu à la radio. Il dit :
· Si la parole de la radio est fiable, nous
sommes rétablis
·
Mais, elle
me dit des choses peu convaincantes
Les officiers français
s’agitèrent et discutèrent avec des hommes en djellabas
blanches. La situation est visiblement tendue, mais Ouâsta
continua d’enfoncer le clou. Il dit dans l’Izli :
· Le soleil se lève et chasse les
ténèbres
·
Mais il
reste l’ombrette due au toit d’une pièce
Les militaires français se
levèrent. Au même instant Sakkou quitta seul l’Ahidous. Il
reprit sa bicyclette la radio toujours accrochée au guidon
et fonça sur le boulevard entre les arbres.
Quelques années
plus tard, à la place habituelle du hameau Sakkou et Ighi
discutaient. Puis, Mama la très belle femme, remontait le hameau
jusqu’à leur niveau. Ils entamaient le jeu de Taqerfiyt.
Ighi demanda à Mama ce qu’il va dire au vote du
référendum sur la constitution de 62 qui aurait
lieu dans quatre jours. Elle lui répond que sa grand-mère
lui avait toujours interdit de dire « oui ». Après
les rires, elle demandait à Sakkou de dire l’Izli de
circonstance à l’occasion de l’Ahidous qui aurait lieu le
lendemain au bourg. Sakkou promet de répondre à sa
demande. Zaid et Heddou rejoignirent les membres du groupe. Ighi leur
raconta ce qui s’est passé avec Mama. Zaid approuve Mama et se
demande ce qu’ils allaient faire avec une constitution
préparée dans la cuisine et à Rabat ! Il dit
« ils nous l’ont lâchée du ciel et nous demandent en
plus d’applaudir, c’est cela l’insulte ! ». Sakkou lui, pense
qu’il faut dire « non » et le reste c’est l’histoire qui
s’en chargera. Après un moment de silence Ighi demande à
Sakkou l’Izli de la situation. Il réfléchi d’abord
et dit :
· S’il ne revient qu’à l’homme,
la
malédiction est partagée
·
Ceux
qui prennent des mains, d’autres chargent des caisses
Le lendemain dans la soirée, une
grande foule se rassemblait devant les péristyles du
bourg. L’Ahidous se met en place entre ses deux rangées
d’hommes intercalées des femmes comme d’habitude. Lbaz,
aux lunettes noirs, est au centre de celle d’en face de Sakkou.
Ce dernier lève la main et l’Ahidous se taisait. Il chante seul
le premier vers de l’Izli. Il disait :
· Mon appel lancé aux concitoyens, s’il
y a cohérence
·
Ne dites
surtout pas « oui », l’habitation insalubre
L’ahidous chante normalement l’Izli. Puis,
Lbaz lève la main. Les gens se taisent. Il dit :
· Si on appelle quelqu’un, on pensait lui
rendre service
·
peine
qu’il vous quitte, il parle de vous ailleurs
Après la danse
régie, Sakkou répond par l’Izli :
· L’école n’est pas la même, le
coeur
s’exprime
·
Des
hommes, celui qui nous veut du bien est connu
L’Ahidous se joue un
instant, puis les gens s’éparpillaient…
Quelques années plus tard, Sakkou
aux lunettes noirs et presque aveugle, sur la même bicyclette que
Lbaz qui ne voyait rien, longeaient un sentier étroit en
direction d’un bourg derrière une colline sombre (Izilf
à Tinejdad). Un homme âgé, au burnous blanc,
les regardait venir. Quant ils sont à son niveau, il leur disait
avec rictus : « où est-ce qu’il va le crapaud qui a fait
monter avec lui la grenouille sur un serpent ? ». Ironiquement,
ils lui répondirent qu’ils cherchaient le chemin de la
faillite. Il leur disait qu’ils faisaient fausse route et que la seule
direction qui mène à leur objectif n’est autre que celui
d’Amerwas (crédit !). Sakkou s’arrêta et disait à
son interlocuteur qu’ils avaient entendu dire que les
hommes se
vendaient par là et qu’ils voulaient prendre la
température des prix. L’homme prévient que l’Ahidous est
pour ce soir et qu’on saura si vraiment ils ont une quelconque vision
acceptable. Puis, il demanda à Sakkou s’il a l’izli qui traite
du sujet. Sakkou répondit sans attendre. Il dit :
· A celui qui est dans le besoin, je suis la
source
·
C’est
pour que vous buviez à votre soif de l’année
Plus tard dans la nuit, au sein du bourg,
dans un éclairage déficient des lampes et au milieu d’une
grande assistance, l’ahidous se joue dans ses doubles rangées
habituelles. Sakkou et Lbaz au centre de l’une, côte
à côte cette fois-ci. Sakkou leva la main, l’assistance se
tut ; il chanta avec Lbaz le premier vers de l’Izli :
· Ne tarde plus le sortilège, il est
temps
·
Laissez la
place au sérieux, maintenant pour édifier
L’Ahidous se jouait normalement sous les
youyous des femmes qui jaillissaient de partout.
Puis on changea de
décor, de style et de rythme. Cette fois, un groupe de sept
hommes alignés, Sakkou au centre, tambourin pour chacun
d’eux se mirent face au publique. Sakkou chanta seul «
Tagezzumt » dans le rythme appelé « Ouâtta
». C’est un récit de chant harmonieux et mystique. Il
disait dans ce chant :
·Moi je ne sais que
le roi est
monté
Sur le trône, nous sommes libre…
Je ne suis pas de l’istiqlal, ni de Chchoura
Je n’adhère pas à l’Ittihad, ni à Lharaka
Le peuple est disloqué du cadre du tissage
L’homme est épris du profit, on dirait
Cette vie, est celle des poissons dans les lacs
* On s’est dit qu’on a refoulé la France
Mais dès que les guerriers sont morts
Aujourd’hui le chat est devenu un lion
Le Bengali veut être un Sphinx
L’or passe désormais après le papier
La soie est rangée derrière la laine
J’ai rêvé un jour, d’une source d’eau fraîche
J’ai tendu mes paumes jointes pour boire
Je me suis réveillé avec une grande soif !
Les youyous et les cris d’approbation
fusèrent de tout bord. Sakkou et le groupe
changèrent le rythme des tambourins. Au même moment,
un groupe de femmes s’aligna en face des hommes. Sakkou chanta le vers
dans le nouveau rythme saillant dit « Taguri », qui
s’accompagne aussi par des mouvements lents et cadencés de
l’ensemble des hommes et des femmes. Il disait :
* Que le mauvais pliage soit levé sur
l’étoffe !
Les femmes comme les hommes
chantèrent, à tour de rôle ce vers, et
dansèrent en douceur pendant de longues minutes.
Puis, l’Ahidous s’arrêta et Sakkou
déposa le tambourin au milieu de la foule.