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Daniel Biga,
ou la poésie comme vecteur de vie,
autant dire
Poévie


Poésie – vie – Poévie – : le jeu de mots préside l’hommage rendu par la collection Gros Textes à Daniel Biga, il n’est pas dû à la vie facile des syllabes, il se joue et se noue dans la fusion de l’action et des choix.

Pour cet auteur en effet la pratique des mots est intimement liée à un engagement fort, contre tout ce qui embarrasse l’esprit et la perception d’une façon factice et hypocrite, contre tout ceux qui tentent de cimenter et bétonner notre univers mental et affectif.

Depuis plus de trente ans, Daniel Biga avance dans des paysages de mots avec, pour tout viatique, la volonté d’agir sur la langue en la déchirant, d’une façon progressivement radieuse.

On retiendra ici ces deux pôles, publiés aux Editions de l’Amourier, Le Chant des Batailles et L’Afrique est en nous.

Le Chant des batailles est un texte qui peut révulser, faire peur…oui, de nos jours encore. Il s’inscrit dans cette lignée qui va de Burroughs à Franck Venaille et qui n’a de cesse de se libérer des morales confites, des culpabilités rampantes de ce XXème siècle tellement susceptible de négocier avec parcimonie et toujours sous la contrainte la libération de la bandaison, cette bandaison bienfaisante dont Brassens dit, avec l’appui de Fernande, qu’elle ne se commande pas. Livre terrible qui mêle conflit et mise à l’épreuve de la langue, dans le creuset de l’Histoire :

Comme eux j’ai vu le Djebel. Torturer et tuer : un hasard me l’a évité. Je suis humain : rien de ce qui est humain m’est étranger.
J’aurais pu aussi ; je te comprends. Nous sommes sortis du même moule. Mais crois-moi : moins tu as d’honneur, plus tu y prétends. Grande gueule. A perdre haleine. Moi, très orgueilleusement, je m’inverse. Je m’abaisse. Dans la poussière. Je la mords. Je rampe. Dans le fumier.
Nous sommes sortis du même moule, de la moule du même océan initial, fétide, pur : nous avons rampé dans la même vague mugissante, nous nous sommes effondrés sur le même sable en tempête, sous un ciel de plaies violences. Nous sommes nés verts, noirs, rouges, sombres, dans la glaire, les crachats, la bave sexuelle, le placenta, le pus, les urines, la chiasse. Nous sommes nés les eaux noires.


Et voilà l’origine, imposant les gestes durs, le scalpel des mots à la main, pour que se fasse le scalp des outrages. Seule la déchirure peut sauver du cataclysme originel.

Il faudra ensuite s’accepter, dans la mélasse des siècles, dans le mélange du siècle. Car, une fois la rupture des origines accomplie on va ainsi, tâtonnant en soi dans ce qui nous compose, cherchant le chemin qui mène à un peu plus de cohérence. Et tant pis pour l’unité de façade, la précipitation se fera dans les profondeurs. Là où se mêlent les langues s’arrache une chance de vie, de survie. L’Afrique est en nous se scande sur le mode tribal. Daniel Biga, place le texte sous l’un de ces pendants subversifs que la langue permet : L’Afrique est en nous ? Le Fric est en eux. A chacun de faire le lien.
En ce livre, tout se mêle, le Niçois charnel du placenta assumé, L’Allemand en lettres gothiques, des bribes de latin, des morceaux composés par des fusions de mots…de la cassure permanente émerge la vie, celle qui passe par la langue de tous les jours, et qui dit la tendresse, le bonheur simple, l’allant qui nous meut, l’énumération qui nous porte, le déferlement qui nous transporte,
La volonté de parler, qui persiste, dure, et nous rend humain, toujours plus

« que mon conte soit beau et se déroule comme un long fil »
dans son patois de famille Grand Père tendrironiqueur
gran’pa m’appelait de cent noms d’amour
pépé m’affabublait de sans non d’oiseaux cent noms oiseux im ballada nissarda

mi suonava païgran païgran dïa

« oh ! Barbalucou, enfan de degun ! auceu ! auzébicou ! calinier ! marida péou ! marida grana ! ô parpailloun moun bel amic ! paillassou ! pïgranas ! pelouss ! pelouchié ! ô babi ! ô tavan ! tavan merdassié ! ô merdouss ! ô caga braïa !

Ainsi va la litanie finalement heureuse de la vie, faite de percussions et de charges de chair, de mots sanguins et d’affection. De générosité.


Par Yves Ughes
pour Francopolis
Septembre 2006 




Créé le 1 mars 2002

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