D'abord phénomène de mode puis véritable phénomène de société, le «blog» (contraction du mot «weblog», carnet web) apparaît très vite comme un acte de démocratisation sur le net, permettant à chacun de pouvoir en quelques minutes créer son propre espace d'expression sur la toile.
Hasard ou pas, cet outil connaît ses premiers succès à une époque où fleurissent un peu partout les manifestations de l'entité «Big Brother». Beaucoup alors considèrent ce nouveau média comme la conséquence inévitable d'une tendance à montrer, se montrer, se raconter, pendant que Loft Story bat des records d'audience à la télévision.
Le rapprochement, convenons-en, est dans ce contexte pour le moins tentant, et avouons-le facile. Et s'il se justifie dans certains cas, il n'en réduit pas moins l'image du blog et des «blogueurs» à une sorte d'impudeur naïve voué à s'essouffler à l'unisson du phénomène télé-réalité.
Il n'en sera rien car le nombre de carnets personnels ne cesse de grandir, à mesure que les solutions d'hébergement apparaissent et se développent. Les blogs, très vite, ne sont plus seulement le moyen de s'offrir «une existence» sur internet, mais un véritable moyen de communication à grande échelle pour qui veut partager bien plus que ses bribes de vie.
Politique, actualité, photographie, art, culture, informatique, cinéma, musique, sport, collectivités… L'éventail des sujets se diversifie à tel point que le blog semble aujourd'hui la façon la plus efficace d'émettre, électroniquement parlant, un message, une revendication, un pan de soi.
J'écris donc je suis
La littérature, l'écriture, ont très vite trouvé leur place dans ce vaste champ de tous les possibles. L'écriture, justement, s'est emparée des facilités qu'offre ce média pour mieux se rendre visible. Toute velléité de création littéraire peut en quelques minutes être exposée, consultable à partir de n'importe quel point de la planète.
Foule d'amateurs, ceux-là même qu'on désigne «écrivants», ont depuis ce début de ce siècle investi le territoire des mots sur toile grâce à l'outil blog.
Poésie, prose, essais, extraits de romans, nouvelles…, tous les aspects de l'écriture sont représentés, avec ne le cachons pas, plus ou moins de réussite.
Durant quelques années, la frange littéraire de la «blogosphère» est pour une très large part composée de ces amateurs d'écriture attirés par la possibilité de transmettre leurs «œuvres» sans les barrières éditoriales classiques, avec l'espoir plus ou moins déclaré de se faire remarquer et/ou conseiller. Poésie (Cécile Guivarch, membre de Francopolis, Bozena Bazin, Robbert Fortin, Xavier Jardin, Triplex Nomine, Llunet, Léah, Uther, Florent Chatelain, l'auteur de ces lignes), prose (Emma Reva, Ludovic Kaspar, Songe éphémère, Guillaume Basset, Gilles Bizien, Fear and Loathing in Paris, Etolane, Cellysta…), ou nouvelles (Roland Fuentès, William Kramps, Alain Rêveur…) y sont les plus représentées.
D'autres, sans toutefois avoir une démarche à proprement parler d'écriture, se distinguent par une qualité de l'expression qui ne laisse pas indifférent (Vincent de Fairytopia, Fleur, Nikko, Coronis…), et peuvent donc être assimilés, parfois contre leur gré, à de véritables auteurs.
Parallèlement à ces carnets d'écriture personnelle, il existe quelques blogs consacrés à la littérature, son actualité (Remue.net, Poezibao, Micronésie Poétique…), souvent de qualité et très bien documentés. Sans oublier ceux, nombreux, où l'on partage ses coups de cœur, ses découvertes (Liette, membre de Francopolis, Suricate, Angèle Paoli, Le vieil étang, Joseph Vebret, Tous azimuts, Biblioblog…), et qui participent à l'élargissement des ressources littéraires disponibles sur internet.
De la page à l'écran
Longtemps les écrivains confirmés (comprenez : publiés) ont ignoré cette fraction de la production littéraire, peut-être refroidis par le nombre et l'inégalité qualitative de ses espaces. Néanmoins cette tendance s'infléchit, et si une jeune auteure comme Maïa Mazaurette avait déjà ouvert son propre blog de longue date, à la suite de son premier ouvrage, l'arrivée de Virginie Despentes dans cette galaxie des weblogs a confirmé de manière retentissante leur propension à attirer des auteurs établis. Qu'ils s'en servent d'un outil pour diffuser certaines de leurs humeurs ou créations (Alina Reyes, Jean-Jacques Nuel, Pierre Assouline, Raymond Alcovère…), d'un journal intime où consigner leurs péripéties dans le monde des lettres ou ailleurs (François Bon, Lilian Lloyd…), d'un espace de promotion de leur travail (Christian Cottet-Emard, Jerôme Attal, Daniel Brochard pour sa revue Mot à Maux…), ces écrivains ont trouvé dans le blog matière à étoffer leur production et la possibilité d'attirer de nouveaux lecteurs. Gageons que ce mouvement ira croissant, et pourquoi pas mettra en lumière d'autres auteurs plus obscurs, qui eux-mêmes stimulés par le voisinage de ces «tuteurs», ne cesseront de tendre vers toujours plus d'exigence et donc de qualité.
Et maintenant ?
Là réside peut-être ce qui fera du blog littéraire un vecteur à part entière de l'industrie des lettres, cette cohabitation entre amateurs et édités, cette façon d'en faire le seul endroit où (excepté les revues spécialisées) pourront se mélanger les installés et les «sans-grade», dans une grande communauté motivée par le seul amour de la chose écrite et sa diffusion, rendue accessible à tous.
Mais qui bloguera verra.
Par Teri Alves
pour francopolis
mai 2005