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"Abandons"
de Carole David

"Abandons", par Carole David, Éditions les Herbes Rouges, Montréal, 1996. 

par Stephane Meliade


 

 Abandons par chaos, un combat textuel sous forme de recueil. 

Quand vous regardez Carole David, sur la quatrième de couverture de son recueil "Abandons", vous vous dites qu'elle a un faux air de Mireille Dumas et qu'elle va vous cueillir en douceur, en la lisant, vous allez lui raconter votre enfance, puis vous passerez à autre chose, à une autre chaîne. 

Mais : 

"...A la radio, un homme 
explique les rudiments de la guerre..." 

Une heure, six mois, dix ans après, vous refermez le livre et vous vous regardez dans la glace : vous avez un oeil au beurre noir, l'arcade sourcilière ouverte, vous avez perdu cinq kilos, vous êtes vide de toute illusion sur l'homme, la femme, la vie, vous-même. 
Vous n'avez plus aucun endroit où vous réfugier. 

"... Matelas, sirènes, et sous-marins 
des abris de fortune... " 

Pourtant, vous ne vous sentez ni vide ni désespéré, vous sentez même pointer une sorte de jubilation affamée, il vous pousse une âme carnivore, un souterrain se débat en vous. 

"... Construisez le vous même 
amenez vos provisions 
vivez en osmose 
dans votre sous-sol." 

L'écriture de Carole, publiée comme notre ami Math aux éditions des Herbes Rouges, abonde d'uppercuts et de mises à terre, de courses dépourvues de sens entre les cordes, de rings vides qu'on regarde comme si son amour allait réapparaître par magie sous les applaudissements d'un public masqué. 
Il fait sombre et chaud, il fait épais, on transpire, on se souille. On 
pêche son désir, immense et mythique comme l'espadon du "vieil homme et la mer". 

"J'accroche 
un hameçon sur ma hanche 
et te porte jusqu'à ton lit". 

Et à la réflexion, la stature massive d'Hemingway se devine peut-être effectivement en creux dans la silhouette de cette auteure québécoise. 
On les imagine ensemble. Elle le pousse, elle le tire comme l'espadon, elle se mêle à lui, s'y empale, puis s'en déchire, s'en défenestre et l'implore de continuer à vivre quand même : 

"Maintenant j'ouvre sa poitrine 
avec mes mains 
je peux sentir son pouls 
détacher 
les bandelettes qui retiennent son coeur momifié 
l'immerger" 

Vous avez refermé le recueil de Carole. Quel que soit le temps que vous ayez pris pour le lire, il s'est écoulé une vie entière. Malgré 
les traces de coups infligées à vous et à votre amour, vous ressentez de la douceur, une certitude de caresse, le baume d'avoir été compris. 

C'est elle même qui vous donne la clé de ce mystère dans le dernier vers de son poème "poumons d'acier". 

"... Car je suis une soigneuse". 

Ainsi s'explore le territoire inguérissable, le vide surpeuplé laissé 
par l'abandon. 

Stéphane Méliade. 

 

Créé le 1 mars 2002

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