Jean-Luc Coudray,
ou le couac du Jubilate Deo.

Pour évoquer les œuvres de
Jean-Luc Coudray, celles qu’il a publiées à
l’Amourier Editions notamment, on
pourrait partir de cette phrase de Shakespeare qui faisait
dire à Macbeth :
La vie n’est qu’un
fantôme errant, un pauvre comédien qui
se pavane
s’agite durant son
heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend
plus :
c’est une histoire dite par un idiot, pleine de
fracas et de furie et
qui ne signifie rien…
et l’on rendrait alors assez bien compte des nouvelles
insolites qui constituent le recueil intitulé Nona.
Mais pas tout à fait.
Car si l’absurde est présent dans l’œuvre
de J-L Coudray, s’il la travaille de part en part,
jamais il ne conduit vers le sombre complet, le désespoir
intégral. Entrer dans ces textes c’est plutôt
vouloir s’installer dans un monde dont le sol se dérobe
en permanence.
Rien n’y est grave, nous sommes là comme dans
une attraction de foire, et si l’univers est privé
de sens au point de déstabiliser chacun de nos pas,
autant accepter d’en faire un spectacle.
Que nos gestes soient une réponse burlesque à
cette histoire pleine de fracas et furie qu’est
la vie.
Le parti est pris, il s’agit d’en rire. Si le
vide menace à tout moment, que l’on en tire
au moins une joie de dérision, même le dérisoire
peut être roboratif.
On peut ainsi abruptement s’interroger : Où
est Madame de Roncevac ? Cette femme aiguë, pleine
de sens, inattaquable, s’est égarée
dans une salle de bains.
Les dames aiguisent leurs attitudes.
La bonne, blanche et servile, glisse sur le paquet et se
rattrape au prix de se tordre. Les dames répartissent
la faute et font tournoyer le thé.
Comme un film donc. Un film qui serait inspiré d’une
œuvre de Kafka, réalisé par Buster Keaton,
mais dont la bobine craquerait lors de la projection, et
provoquerait un jet endiablé d’images. Ainsi
va le style de J-L Coudray.
Certes, cette perception accélérée
de la vie conduit parfois vers la béance
Il (l’empereur) se fait
ouvrir. L’oxygène glacé vient le cueillir
à la sortie.
Vu de l’extérieur, le bâtiment impérial
ressemble à un gros pâté de choix avec
une certaine religiosité.
Pour autant une possibilité de salut s’entrevoit
toujours, et le personnage tutélaire de Nona
la définit par son corps, qui devient lieu de passage
et d’initiation :
Au lieu de continuer à
aimer Nona, j’aimais, sans lien, les mains claires,
les parfums de poussière fraîche, les auberges
espagnoles, les repas doux, les draps raides, les oreillers
blancs, les chambres trop petites.
Cette sensualité refondratrice se
retrouve tout naturellement dans le récit Monsieur
le Curé, elle s’y épanouit
avec une aisance qui n’est pas sans rappeler le goût
des libertins et des Lumières. C’est un art
de vivre qui se développe dans ce texte, on le sent
fleurir au gré des aventures et des réflexions
nourries par un M. le Curé bien particulier, mais
tellement humain.
Le lit de Monsieur le curé,
très étroit, ne laissait pas de place pour
le péché. Le manque de place ne fit qu’augmenter
le péché. Monsieur le curé découvrit,
ahuri, la subtile finition de la femme. Amandine se révéla
une incroyable sœur des mains de Monsieur le curé,
de sa conscience et aussi de ce sexe qu’il avait si
longtemps privé de publicité.
Ici encore, la finitude et le vide ne sont jamais loin :
l’église dessine l’absence de Dieu, et
si d’aventure Amadine demande un enfant, Monsieur
le curé ne saurait reproduire une vie qu’il
dirigeait vers l’accomplissement de la mort.
Mais voilà : dans l’oscillation est le salut,
entre le néant et le sensuel, entre l’absurde
et le rire, là se tracent des voies d’écriture
qui donnent à l’instant la force du relief,
l’élan de vie nécessaire pour atteindre
l’instant suivant, l’autre texte. Quand l’échange
se noue en ces zones, on peut encore avancer. On peut toujours
avancer. En jubilant.
EXTRAITS
Nona
L’amour immédiat
J’ai rencontré immédiatement une fille
superbe qui m’a fait l’amour dans des murs bleus
et jaunes en me racontant des histoires et en jetant ses
habits par la fenêtre.
Cette histoire d’amour m’a surpris.
Je me souviens de sa chambre moitié peinte.
Elle m’a laissé en plan au petit matin, avec
des yeux gris et un goût de lait dans les dents. Il
y avait un parc, j’y étais. Elle aussi. Nous
nous sommes rencontrés et elle a déposé
sur ma bouche un coin de sa bouche.
Ce détail m’a fait sursauter.
Elle l’a senti.
Et j’ai senti ses cuisses qui avaient l’odeur
de l’herbe aplatie.
Quatorze Juillet
Dans la rue, il profita du ciel, des nuages parfaitement
empaquetés et du sentiment de Bon Dieu qui bourdonnait
dans les oreilles.
Il profita de tout cela à pleins poumons, à
pleines dents. Il fut crémeux à cœur.
Il fut de plaisanterie facile. Il fut heureux point par
point. Il présida à sa joie de vivre. Il se
nomma « sixième république ».
Il inventa des déraisons. Il embrassa les mouches
sur la bouche.
Puis il se sentit vieux et inutile et remonta chez lui.
Sa femme avait renversé les tulipes. Les fleurs gisaient
sur le parquet comme de gros poissons rouges. Elle les frottait
au vitriol. Elle agrafait des épines sur leurs tiges.
Elle les salait. Elle les sucrait.
Il s’enfonça à nouveau dans le fauteuil.
« ferme la fenêtre » dit-il à sa
femme.
Elle s’approcha de la fenêtre. Elle vit l’anniversaire
des nuages. (…)
Monsieur le
curé
Dieu n’était pas présent de la même
façon dans la nature ou dans l’église.
Dans la nature, on appréciait Dieu comme une femme.
L’église était une manière de
sculpter l’absence de Dieu. Le corps de Dieu, si présent
dans les arbres et les nuages, tentait bien de pénétrer
dans le temple. Mais les vitraux le filtraient impitoyablement
pour ne retenir que l’esprit.
Dans l’église, Dieu était chaste.
Et les hommes, égarés par la douleur et l’ignorance,
trouvaient dans l’église un étrange
modèle de leur vie.
En s’agenouillant, ils cherchaient Dieu à l’intérieur
d’eux-mêmes, alors qu’en vérité
ils fuyaient Dieu dont le boucan externe leur était
insupportable.
Le but de l’église était de rétrécir
Dieu, de le ramener à échelle humaine afin
qu’il puisse, comme un fœtus, pénétrer
la chair des pécheurs et grandir ensuite en eux-mêmes.
C’est pourquoi il n’y avait, dans l’église,
nulle fleur, nul oiseau, nul être vivant, tandis qu’en
dehors les créatures de Dieu bourdonnaient, forniquaient,
se multipliaient sans limite et sans décence.
Monsieur le curé savait que Dieu était tout
entier dans une pomme. Car la pomme, dans sa perfection,
n’aurait souffert aucune modification susceptible
de l’améliorer.
Or, Monsieur le curé mordait dans la golden avec
joie, la détruisait pour la transformer, en goûtait
la savoureuse idées qu sa mort seule pouvait exprimer.
Un homme, un jour, s’approcha de Monsieur le curé
et s’étonna qu’il puisse commettre le
sacrilège de consommer les fruits que les arbres,
en toute confiance, laissaient pendre à leurs branches.
« le divin étant partout, sous toutes les formes
arborescentes ou animales que la nature produit, lui dit
Monsieur le curé, il ne saurait être intouchable.
Les nécessités de l’existence nous poussent
à écraser sous nos pieds ou entre nos dents
les luxueux montages de la vie.
L'AMOURIER éditions
Route du Col St Roch
06390 COARAZE
Dépôc Légal -1= Trimestre 2003
amourier.com
Par Yves Ughes
pour Francopolis
Avril 2006
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