Au monde un théâtre. Nous sommes
une voix.
Au monde l'inventaire
enclos où nos coeurs s'appuient sur la douceur d'une
mémoire posée au centre de l'histoire. Je suis bâti
avec des images. Demie transparence d'un jour d'été
où je courre sans attaches. Liberté du regard, neuf ans,
parcourir le monde, sa forêt le ruisseau. Le monde se baptisait.
Mes objets de ce temps sont des images, des essoufflements, un soleil
sous les pieds, les roches rondes et froides du ruisseau dans la main.
Une maison trop grande. Autour de ma chambre la peur du noir, le monde
glacé des ignorances, les tâtonnements, les bruits
inconnus, les cliquètements des brises-vents. C'était le
monde d'une lenteur saisonnière où l'odeur du foin
coupé rassasie pour un matin mes rêves de
vérité. Le bruit de la faux couche l'herbe, bien
rangée, andins rectilignes, une danse au geste précis,
répétée, qui donne envie de vivre par la
grâce d'une puissance habituelle. Je ne dis rien. Je
courre, je vis. Continuité en avance sur ce que je suis. Mes
pensées ont toujours une longueur d'avance sur ce que je suis.
Il n'y a pas d'âge pour construire cela, le corps et sa main,
concrètement sur le sol. Dans l'air est le regard, celui qui
tient les mots sous la langue, le regard d'un monde parallèle,
où tout est possible, comme dans un livre, on peut ranger,
classer l'impossible sur une étagère et collectionner ce
qui fait sa vie pendant un rêve et courir par devant ses pas en
croyant être là.je me rappelle un ruisseau aux grosses
boules roulées par le glacier, une île minuscule sous les
noisetiers entre deux rigoles d'une totalité partagée, le
monde concentré. L'essentiel du présent réunit sur
quelques centimètres carrés de mousse et d'herbes folles.
Etait-ce un jeu ? Faut-il s'interroger? Ma route est sans fin et je
rêve de parcourir chaque arbre, chaque ombre, d'ouvrir meschemins
et même s'ils se chevauchent, mes regards découvrent
à chaque pas un horizon calligraphié sur toutes les
branches. Mon regard se perd, mes pages blanches se remplissent
d'étranges cadavres exquis, la nuit efface, je redessine chaque
matin d'un geste sans lassitude, les embonpoints de mes souvenirs.
Le ciel tient sous mes pieds. Ma route n'est jamais unique, ces images
transparentes semblent si proches, que ces fils tissés sont
comme les draps du lit où je dors. Rien ne les retient, ils sont
indispensables. Je marche tout seul, sans eux, je crains le froids, mes
images sont translucides et je pars du centre de mes yeux et je fixe le
monde. j'espère tracer le cercle qui me contient. Peut-on
exister sans contenu ? Retenir pour tenir. Se rappeler pour ne plus
appeler. Quand les ruisseaux d'un printemps se sont figés,
îles disparues, chemins décroisés. Les maisons se
vident des greniers. Aux jardins abandonnés du temps
où Pâques sonnait, une voix a parlé.
Philippe
Vallet
pour francopolis décembre 2008