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NADINE LEFEBURE

par André Chenet

"Qui donc, éveillé, vertical
et sans le moindre signe du ciel
qui donc se dresse au coeur de la parole
au centre du verbe? " Nadine Lefebure


Ce n'est que très récemment que j'ai pris connaissance de la poésie de Nadine Lefebure. Son nom, son oeuvre m'étaient complètement inconnus. Je ne savais rien d'elle bien que depuis l'adolescence je ne cesse d'en revenir, peut-être pour reprendre des forces lorsque je sens qu'elles m'abandonnent, au foyer incandescent qu'ont allumé les poètes surréalistes.

J'ai lu, comme j'ai rarement lu, les poèmes de Nadine, et suis resté définitivement subjugué par le rythme hallucinatoire et lucide de sa langue en partance vers les tempêtes créatrices d'harmonies. Elle met en pièces les frontières factices, met le cap à toute allure vers les terrae incognitae de l'imaginaire où les utopies font corps avec la réalité éprouvée, sensible. Un lyrisme, qui n'est rien de moins que celui des vagues de la mer dans tous ces états ou celui des grands incendies de forêt, bouleverse tous nos
repères illusoires, nos conditionnements dramatiques.

La poésie se fait synonyme d'une révolution vitale, eau de jouvence déferlant au-delà de la mémoire historique, lorsque l'amour ne subsiste plus qu'en tant que point d'interrogation suprême."


André Chenet



Très jeune, Nadine Lefebure a commencé à publier ses premiers textes dans la revue d'avant-garde dadaïsante, Les réverbères.
Elle est une des fondatrices avec Jean-François Chabrun, Noël Arnaud, Christian Dotremont, Robert Rius et bien d'autres, de la légendaire revue surréaliste La Main à Plume :


"En 1941, alors qu'André Breton et de nombreux surréalistes sont en exil en Amérique, une poignée de jeunes gens décident à Paris de se réunir dans le but de maintenir le surréalisme en France occupée. En référence au vers de Rimbaud ("La Main à Plume vaut la main à charrue"), le groupe se baptise La Main à plume et affiche ainsi sa volonté d'insoumission aux pouvoirs en place. L'opposition ne sera pas qu'intellectuelle et cette génération des «20 ans en l'an 40» payera un lourd tribut à la lutte armée : sur la vingtaine de ses membre, huit ne connurent pas la fin de la guerre. La Main à plume eut parfois une intransigeance et une fougue juvéniles. Mais elle fut l'expression d'une jeunesse radicalisée qui se réfugia dans les manifestes du surréalisme d'André Breton, pour se tenir « aussi loin de Péguy et d'Aragon qu'elle l'est de M. Drieu La Rochelle » (Jean Simonpoli, 1943). Commencée et terminée durant la guerre, l'aventure de La Main à plume permit au surréalisme de survivre, de faire la jonction entre deux époques.

En quatre années d'existence, le groupe parvint même à éditer, dans une semi-clandestinité, une dizaine de publications collectives et une trentaine de plaquettes individuelles. Plus de soixante ans après, cette anthologie rassemble pour la première fois quelques-uns de ces textes, poèmes et illustrations. Issus de brochures devenues rarissimes, ces écrits, produits dans des conditions difficiles, nous révèlent toute l'ampleur d'un travail poétique et théorique original, traversé par de nombreuses réflexions nouvelles." 
(Extrait de la présentation de "La Main à plume, Anthologie du surréalisme sous l'occupation", Éditions Syllepse, 2008).


Huit de ses membres moururent  dans la  fleur de l'âge sous les balles nazies ou dans les camps : Tinta déportée et morte à Auschwitz, Hans Schoenhoff emprisonné pour fait de résistance à la prison du Cherche-Midi, déporté et mort à Auschwitz, Jean-Pierre Mulotte abattu sur le pont d'Austerlitz à Paris, Jean-Claude Diamant-Berger, parachuté par les FFL et mort en Normandie, Marc Patin, mort d'une pneumonie à l'hôpital en Allemagne.
Sous l'impulsion de Robert Rius, le directeur des Cahiers de poésie Jean Simonpoli et un jeune poète de 17 ans issu des Feuillets du Quatre-Vingt Et Un, Marco Ménégoz, constituent un maquis en juin 1944 en forêt de Fontainebleau. Ils sont arrêtés le 4 juillet 1944 sur dénonciation. Emprisonnés et torturés, refusant de parler, ils seront fusillés dans la plaine de Chanfroy le 21 juillet avec 20 autres résistants. Nadine Lefebure est aujourd'hui l'unique survivante de ce groupe dont elle conserve précieusement les archives.

Après des études de philosophie à la Sorbonne sous la direction de Bachelard, sa participation au mouvement surréaliste La Main à Plume sous l’Occupation, la mise en scène du Chemin de Damas de Strinberg en 1949, joué pour la première fois en France, et ses premières pièces radiophoniques au Club d’Essai du poète Jean Tardieu.

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La revue de poésie "La Voix des Autres" a publié quelques uns de ses poèmes dans le numéro 5 de mars 2012. (Extrait "De l'Hier au demain")

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ALTAÏR

                                                           "Le jeûne de l'amour aboutit ICI"

                                                  Henri Michaux, "Chemin Cherché"

 

                                                  I

                                       

                            Chaque jour à l'aube                                                                                                  

                                               LA DEFERLANTE

A l'assaut de la colline                               
                     monte la pente
A midi se retire
                     à perte de vue à perte de vie
                    brave les algues de l'oubli.

Quand s'ouvrira la porte, jouant la proue
                    elle fera fi
                    de ces turgescences marines

Fera feu et flamme et fer rougi
                             poussé à bout
                                                 poussé à blanc
                                          pour abattre à bout portant
                                                                 le héros du crime                               

 


              II

 Toi
A la fois
              dans le même temps
mon rêve                            
              et mon cercueil
que j'enlace, et le griffe et le délace.
                           
Je te dégrafe
et te brasse et t'émonde
             le mouds, le broie
                          me recueille…
                         et me lance en traverse.

Je prends                                                           
             la traverse
                         la voie royale
                          jeu de paume
                          jeu de qui perd gagne.
Appel au fou
Appel au feu
Sous le feu près du fou garde-flamme
             peut-être est-ce maintenant
                          que l’amour
                                    en est à son commencement.



III

 Nous étions
                   coques confondues
                   lianes enlacées
Aujourd'hui - déjà - nous serons
                  coquilles ou chèvrefeuille    
et tout ce que le ciel inventera.

                                                       Et si les mots à dire
                                jouaient à s'inverser?...

Nous serions demain - encore -
                                           coques enlacées
                                        lianes confondues

et coquilles enroulées
                 chèvrefeuilles retournés
                                           chèvres effeuillées
                                                                feuilles imbriquées.
                                           
Retournés enroulés fondus et enlacés,
dans la fournaise
               les chevaux tireraient des bords
               les oiseaux fuiraient les jeux de l'air
               les bateaux blancs battraient des ailes .        
                     
Sable et neige sublimés
sur la couche se fondent en un les vivants, les vitraux,
               un gisant à deux dos se retourne
                                               se déhanche.

                L'homme sirène
               et la femme centaure
                                   pénètrent de concert
                                               la mer sans un pli
                                               le désert sans un souffle

                                  (où gronde en sourdine          
                                  venant de loin, allant très loin)    

                                                                    le désir sans ride        
        

IV

A l'aveugle musical
au sourd voyageur
les mots sont rares et difficiles, le travail factice.
Sa chevauchée ne déjouera
 jamais les mystères de l'être.

         Sur quelle courbe peser
        descendre quelle rivière   
        quel océan atteindre
                                        par-delà les frontières de liesse...

Renouveau, Renouveau, pourquoi as-tu fui
toi qui portais le monde en semence?
        La vague
        à l'âme mêlée installe sa métaphore
        fourrage la solitude à l'excès
                                        l'abandon sur sable en mouvance.

A garder racine, on perd mémoire pour demain
jouxtant le vide, la dérive     
                                        on cherche, on somnambule.


Là où mène le cirque vital
on dérape, on dérange, on déjauge      
                                        on hasarde on limoge.

Le dédale des murs mitoyens délite, lézarde
le pire du dedans - la furie -
         l'envers du décor, la fureur sous la mort.

S'abstraire
         retrouver, conquérir le silence hautain,
Signifier à l'oiseleur
                        son congé
                               (veut)
                                     dire aussi           
 
                                       LIBERTE

***

Nadine Lefebure
publie, entre autres ouvrages : 
- Partances (1953 édit. Caractères,) ensemble de poésie en prose
Les Portes de Rome, Les Sources de la Mer (Gallimard), et  Le Chemin de Lato (Jean-Jacques Pauvert), genre roman et quelques ouvrages documentaires.
- Producteur à la radio (France Culture) elle écrit une cinquantaine de pièces,
- puis fera des centaines d’émissions : Histoire de la découverte du monde, Histoire de l’Inde, Histoire des Sciences, grands anniversaires. (ex :  Gandhi, Jacques Cartier, Lapérouse, Kipling, etc.)

Tous ces travaux sont entrecoupés de voyages – Afrique, Inde – et surtout de navigations à voile qui l’entraînent des îles grecques en Manche, des Antilles au Canada, et jusqu’au Groënland.
 
Désormais, Nadine Lefebure consacre son temps à la mise au point de divers manuscrits dans lesquels prose classique et images surréalistes vont de concert former poésies, nouvelles, ou romans. Elle continue à donner des conférences, participe à des rencontres de poésie et va prochainement tenir un des rôles principaux dans une pièce de théâtre adaptée d'un livre d'Henri Michaux, mise en scène par Christian Deudon

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- Son premier livre Contes : de l'Air et de l'Eau fut publié en 1942 (Main à Plume Éd.).
- Dernier ouvrage de poésie publié : « De l’Hier au Demain », (edit Le Petit Véhicule),  choix de poèmes des années 4O au troisième millénaire.
- A paraître: Plains chants pour les quatre saisons.


Nadine Lefebure
par André Chenet
pour Francopolis Juin 2012


Créé le 1 mars 2002

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