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Ma soeur en Noir et Blanc
Stéphane Méliade
publié aux Éditions Casterman (romans junior,
collection "comme la vie")
Deux chroniques du livre,
par Isabelle Servant et Juliette Schweisguth
*
Un pont, cela commence par un pont...
Thème premier.
On ne peut pas mieux rêver pour parler de Stéphane Méliade, se
placer d'emblée dans un de ces lieux très spéciaux, ponts, escaliers,
lignes de train ou de bus, fenêtres, portes, couloir, tout ce qui conduit d
un espace à un autre, d'une dimension à une autre, tout ce qui permet le lien, la communication, la
découverte.
La redécouverte d'un autre, personne chère, voici le thème deuxième, (oui, il
y a un net bi-thématisme, comme dans une symphonie) : Aurore a perdu le lien
primitif et profond avec sa soeur Marie-Lys, et le livre est l'histoire du chemin pour le retrouver, aidée par son amie Souhila.
Oui, elle était belle, ma soeur. Je me suis dit que si elle s'était décidée à ressembler à autre chose qu
un cadavre, elle aurait été magnifique. Mais elle s'habillait tout en noir, des pieds à la tête et s'arrangeait pour avoir le teint très pâle. J'avais une grande
soeur en noir et blanc
L'aurore, le soleil du matin s'est transformée en horreur, et c'est ainsi, désormais, que Marie-Lys la nomme : Horreur.
(Le chemin est vécu, il faut le dire aussi, du point de vue de la personne
de la famille la plus appréciée des parents, ce qui est dur à
vivre, on en parle rarement : qui ne préférerait être beaucoup
moins sage/fort en thème/sociable/normalnormalnormal, et avoir l'amour de ses frères et
soeurs, l'intimité, la communion ?)
Maintenant que ma soeur a
changé, je
parle à mes fleurs, mais ce n'est pas pareil, c'est moi qui doit tout inventer
Car Aurore parle à des fleurs en plastique, dans une scène étrange
et magnifique :
Je les plante dans la terre chaque jour pendant le moment où je suis seule.
Et la nuit, quand je suis bien sûre que personne ne viendra dans ma chambre
jusqu
au matin, je les replace juste sous les rayons de la lune. J'aime bien les regarder : elles ont une sorte de reflet bizarre qui fait peur. Je
trouve que la lumière blême leur va bien.
Motif secondaire : " coeurs en miettes ", une émission de télévision.
Secondaire, peut-être pas tant que cela, remarquez. Comme le travail fait ensemble
et la préservation de la planète courent sous les films d'animation de Miyasaki comme des rivières souterraines, ici Stéphane
Méliade parle sans fard d'une société très spéciale d'adolescents, la nôtre, fabriquée soigneusement par la télé
réalité, les marques et le principe du maillon le plus faible : tout
élément qui n'appartient pas au groupe sera impitoyablement éliminé sauf que,
même s'il appartient au groupe, il pourra quand même être impitoyablement éliminé.
ça alors, comment est-ce possible ? eh bien, messieurs, mesdemoiselles, la
loi, ça va ça vient, on la décide quand on en a envie, c'est ça la société de consommation, c'est ça aussi le terreau du totalitarisme, cette loi fluctuante qui fait se
cacher derrière des soi-disant principes, la bonne vieille règle du
plus fort, du plus violent, et du plus manipulateur.
Mais un jour, miracle des enchaînements, Aurore aura le courage des mots, de
dire ses mots d'amour, et comme c'est tellement difficile de les dire avec sa voix, elle les dira avec une lettre.
(et l'on retourne vers le pont, cette fois un pont sans pierre, sans voiture, et sans voyous
malveillants qui envoient des pierres d
en haut sur les pare brise, sans êtres humains qui tuent, cette fois le pont
est une feuille blanche)
un pont blanc, comme ce jour magnifique où il avait neigé. La neige
rendait les voitures très lentes et leur bruit très doux, au point
qu'on pouvait murmurer et s'entendre parfaitement quand même. Ma feuille, c
était notre pont, et Horreur allait le traverser pour rejoindre sa soeur.
"Marie-Lys,
Tu te souviens quand on jouait à la vie ? "
A partir de là, eh bien, l'aventure court et court et se déroule et vous n'avez plus qu'à la lire, le
coeur rassuré, parce que, lorsqu'on est deux soeurs dans un livre, comme dans la vie, les choses ne sont plus tout
à fait pareilles. N'est-ce pas Chesterton qui disait qu' être deux, ce n'est pas être deux fois un, mais deux mille fois un ?
Tu te souviens quand on jouait à la vie ? J'arrivais toujours en premier, sûrement parce que j'étais la plus petite. J'avais couru très vite et je m
appuyais avec les mains sur le mur pour me freiner. C
était mon grand plaisir. J'aimais me faire croire qu'un jour je pourrais être entraînée par ma vitesse et ne plus pouvoir
m'arrêter, jamais.
Isabelle Servant, le 4 février 2004
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Voici quelques notes sur "Ma soeur
en noir et blanc" de Stéphane Méliade, livre qui
remet les coeurs, les soeurs et les fleurs en couleurs.
1 Coeurs, soeurs et fleurs en miettes
Les trois fleurs artificielles dans un pot de terre vivante sont les messagères
de deux
soeurs qui n'arrivent plus à se voir, messagères puisque les soeurs
se glissent parfois
des mots au coeur des fleurs.
Une "soeur de coeur" aidera Aurore à redevenir aurore pour Marie-Lys
et non horreur.
Marie-Lys est comme morte, en noir et blanc, plus de couleurs en elle, sa soeur Aurore
est donc horreur mais Aurore devient également horreur pour elle-même
car sa soeur
ne la voit plus.
Lys c'est une fleur, comme ces trois fleurs artificielles dont Aurore prend soin,
et
justement Marie-Lys est devenue elle aussi une fleur artificielle.
La terre vivante contenant les trois fleurs est comme le symbole de la vie, le miroir
de ce
qui vivent les deux soeurs et la soeur de coeur qui sont symbolisées par ces
fleurs
artificielles mais également par la terre, donc elles sont mortes et vivantes
en même
temps.
Aurore à un moment met ses fleurs sous un rayon de lune, c'est un rituel,
peut-être
est-ce une manière de reprendre corps, de rependre vie puisque lune et aurore
ont une
lumière qui se ressemble.
C'est un peu un miroir de gris et de lumière, car la couleur de lune est dans
le monde la
nuit et celle de l'aurore dans celui du jour, de la renaissance.
A la fin, les fleurs seront jetées à la poubelle, jetées puisque
la communication aura
repris son cours, les deux soeurs seront unies à nouveau grâce à
la soeur de coeur
Aurore un instant a voulu jeter les fleurs sur le pare brise d'une voiture, comme
les
pierres jetées avant, ces pierres qui créent la mort mais qui ont aussi
créé les
retrouvailles des deux soeurs.
Marie-Lys était en noir et blanc car dans une histoire grise, car pas aimée
par ce garçon,
donc, sans amour on devient gris, un peu sans coeur, sans fleur.
L'émission "coeurs en miettes" décrit la société
des adolescents, et elle est comme le
reflet de la bande où marie-lys est embarquée, comme le reflet du faux
amour que porte
Vincent à Marie-Lys. Vincent lui met le coeur en miettes, lui retitre ses
couleurs.
Dans Vincent on peut lire vin et sang, ou vingt cents les goûts de l'argent,
du sang, de
l'ivresse qui sont le moteur de ce garçon aux yeux éteints.
2 "Le jeu de la vie" ou le pont vers l'aurore
Grâce au message d'Aurore Marie-Lys peut de nouveau aimer (Marie = Aimer) et
redevenir fleur vivante, comme le lys.
Aurore redevient sa petite soeur, sa petite fleur.
Cette lettre est un message très important, et pas déposé dans
les fleurs artificielles,
mais sous la porte de la chambre de Marie-Lys
Les fleurs sont d'ailleurs cachées dans le placard, une autre frontière
également, qui
symbolise le secret, retrouver la clé du placard, la clé de la vie.
Cette porte de chambre est aussi comme une frontière, un pont qui pourrait
s'ouvrir à
nouveau.
Et cette lettre, ce message vivant écrit par Aurore devient le coeur du livre,
le coeur qui
ouvre les passages...
Ce "jeu de la vie" rappelle à Marie-Lys à quel point elle
joue le jeu de la mort en lui criant
que le passage vers la vie est essentiel, en lui criant l'amour, un amour à
remettre les
soeurs en couleur, pas un amour en noir et blanc !
Comme le pont, passage où tous les enfants jouent, passage de vie mais de
mort aussi
puisqu'on peut y jeter des pierres, comme des fleurs...
Le pont peut être en noir et blanc mais aussi couleur aurore, couleur d'aimer,
couleur de
lys.
Ce sont les messages qui sont les sésames pour la vie, qui permettent d'ouvrir
les
passages, de remettre la vie, l'aurore sur le pont, dans les coeurs, les soeurs,
les fleurs
Le livre "ma soeur en noir et blanc" est donc un grand message, un sésame
vers la vie
ouverte...
Juliette Schweisguth, février 2004
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