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Entrevue
avec
Luci-Louve Mathieu


par Gertrude Millaire
 

LOUVE  poète québécoise, montagnaise.


Son nom, ses origines.
Une des choses qui me questionne est ce deuxième nom « Louve » car je sais que chez les autochtones souvent ce deuxième nom a un lien direct avec la personnalité de l'enfant.
Louve, un nom, un surnom ?


Non, ce n'est pas un surnom, c'est le nom que mon grand-père m'a donné. Il m'appelait sa louve parce tout comme lui, je me tenais à l'écart et j'observais en silence. Enfant, je ne parlais pas mais j'étais bien présente et rien ne m'échappait: j'observais, je voyais tout, j'entendais tout et tout passait dans mon regard..

Alors, celui qui sait lire dans les yeux d'une louve, il en saisit tout l'art de la communication.

D'une certaine façon oui, j'étais souvent avec mon grand-père et on se comprenait sans se parler. Mon grand-père était montagnais et il a refusé de vivre comme la plupart des montagnais dans la réserve, alors mon père a fait de même et il travaillait à l'usine des « blancs » et moi j'ai grandi avec les « blancs ».

"mon fils et moi nous ne restons pas dans une réserve.
J'ai refusé l'enclos.
Je suis de ceux qui ont été en pension chez les blancs.
deux cultures, deux pensées, deux mondes... "

Conséquences de vivre hors réserve parmi les blancs.
Étant montagnaise et vivant parmi les « blancs » disons que ma position est assez inconfortable, je suis sur la ligne, étrangère d'un côté comme de l'autre, entre deux chaises quoi ! : les montagnais de la réserve me rejettent car je vis hors réserve et les blancs, me rejettent aussi car je ne suis pas des leurs. Cette position a fait que d'un côté comme de l'autre je me sentais petite, sans vraiment avoir une place à moi. Ceci a joué à développer chez moi certain complexe d'infériorité et à me rendre fragile et vivant une insécurité, ce qui est encore là aujourd'hui mais j'arrive mieux à vivre avec. Enfant je vais souvent dans la forêt, au bord du lac où mon père a un vieux chalet. Je me sens bien là dans le silence..

"une poignée de mots,
je traîne;
muette."

Enseignements de son père.
Dans la forêt, il y a cette solitude et ce silence. Mon père est un homme qui parle peu. Il peut rester des heures, silencieux, debout dans la forêt à regarder l'arbre. C'est un contemplatif comme tous montagnais, un contemplatif, pas un passif. Il ne fait qu'un avec l'arbre et se nourrit de son énergie. J'observe beaucoup mon père, son silence, son immobilité et j'apprends de lui à vivre cette unicité avec la forêt, à me tenir là, moi aussi, silencieuse. Je peux facilement rester silencieuse et immobile car je me sens en contact avec les arbres. Mon père avait un tel respect de la forêt qu'il refusait de couper un arbre.

"Il y a une façon que mon père m'a décrite et que les ancêtres enseignaient : tu te colles à un arbre, debout, tu deviens cet arbre avec tes pieds qui entrent dans le sol, la tête devient feuilles, et la sève coule en toi. Cela c'est faire un avec ton esprit.
Rassembler ton être et faire jaillir la vie!"

"Je sais aussi que je ne pourrai jamais décrire la force tranquille de ces lieux, et ça, ça me fait mal. Je n'ai pas assez de mots, pas assez de temps, pas assez d'écorce.
Alors je ramasse un caillou, un autre..
Lui, il tient dans son corps, le temps, qui nous manque.
Il tient les traces de pluie, de vent... les hivers, les étés, les nuits et les jours.
Il me tient en son sein, comme la mémoire"

Qu'apprend-on à l'école des blancs quand on a l'âme montagnaise ?
Comme j'ai toujours appris dans le silence et en toute liberté car dans la forêt, le temps n'existe pas vraiment, il n'est pas découpé, je n'arrivais pas à m'adapter à cette discipline de l'école, à ces heures d'enseignement où il faut écouter, apprendre une langue et l'écrire. Je détestais l'école et bien sûr étant la seule montagnaise, et tu sais comment les enfants peuvent être méchants, j'étais la risée de la classe. Je me sentais étrangère et j'étais vraiment rejetée, mise à l'écart. J'étais incapable de me concentrer et d'écouter: mon imaginaire m'emportait loin dans ma forêt, mon lac. Je ne voulais pas apprendre: tout était trop abstrait, trop de mots, moi j'avais toujours communiqué dans le silence, je ne parlais pas. Je ne voulais pas apprendre à écrire.Il faut se dire que les amérindiens n'ont pas une langue écrite : toutes leurs traditions, leurs enseignements sont transmis dans la langue orale.

"là un arbre, cicatrisé, qui prend le ciel de toutes ses feuilles!
là, une fougère inconnue arrive à se faire une place.
et cet oiseau qui fait la course avec le vent!
et ce ciel, qui me regarde, moi la petite..."

Grande solitude qui garde l'oeil en éveil.
Je dirais, un peu comme un aveugle développe son sens de l'ouïe, Louve par son silence et son apprentissage à la contemplation, développe son acuité visuelle.


C'est vrai, mon oeil est d'une telle sensibilité que parfois cela devient dérangeant. Rien ne lui échappe, il perçoit la lumière, les moindres nuances, le plus infime détail, capte le moindre mouvement. Cela est vraiment embêtant dans certaines situations.

Louve est une poète, la poésie coule en elle. Ce n'est pas une intellectuelle qui fait de la poésie, Louve est un poème vivant, vibrant qui vit dans l'instant présent. Je ne sais toujours pas où lui vient cette facilité d'écrire car elle écrit d'un jet : son poème se forme dans ses fibres et à maturité il naît tout simplement en plein jour. Je devrais dire en pleine nuit car elle écrit plus souvent la nuit.

"Je n'écris jamais quand je suis là, dans mon univers,
je n'ai pas le temps ! Comment vivre tout cela en étant penchée sur des écorces blanches?
je vis.
et quand arrive la nuit, je place ces images une à coté de l'autre, j'essaie de refaire le tableau,
celui que j'ai senti,"
..
et je pars en voyage la tête sur les plumes de mon oreiller...
je fais deux mots, j'en dessine quatre.
je barbouille la nuit."

Internet dans la vie de Louve.
Internet est entré dans ma vie tout simplement par hasard. Ma cousine m'a parlé de la possibilité de pouvoir jouer ensemble à distance sur Internet. Je n'étais pas branchée à ce moment mais tu sais, à cette époque le gouvernement du Québec a lancé un programme spécial pour rendre accessible Internet dans tous les foyers du Québec. C'est à ce moment que je me suis branché. Puis en faisant des recherches j'ai découvert plein de poésie, des forums de poésie où on pouvait soi-même participer. J'ai commencé à fréquenter le forum de Albert Louis et peu à peu je me suis mise à participer en envoyant quelques-uns de mes écrits et comme la réaction était bonne, j'ai continué.
Mais à ce moment, je ne savais pas que j 'écrivais de la poésie. Puis j'ai rencontré Serge Tomé qui écrivait des haïkus; j'ai été fascinée par ce genre d'écriture et ainsi au fil des échanges se développa entre nous, une belle amitié virtuelle.

Vous pouvez même lire sur le site, un portrait de Louve par Serge et j'ai été surprise d'apprendre que Serge et Louve ne se sont jamais rencontrés !

Peu à peu je me suis mise à écrire mes propres haïkus car j'aimais cette forme d'écriture imagée et instantanée.

"vagues de chaleur
mes cheveux, trop lourds
pour tenir la nuit

nuit d'enfant--
encore quelques monstres
derrière la porte

averse de neige
une étoile se mêle
aux flocons

quelques poils blonds --
sur la peau si blanche
d'un champ mal rasé"

Ce qui ne laissa pas indifférent le maître du haïku au Québec, M. André Duhaime qui l'invita à participer à son Anthologie du haïku contemporain en français, « Chevaucher la lune » aux Éditions David.
Tout comme vous, moi aussi, je découvre Louve sur Internet et sa poésie me rejoint, je dirais d'une manière presque viscérale à un point tel que quand je lis sa poésie, j'ai l'impression d'y lire mes mots: ses paysages, son silence, son espace me sont tout à fait familiers. Ce qui m'emmène à cette réflexion : dans chaque québécois se cache une âme indienne ou encore dans chaque autochtone s'y frotte cette reconnaissance d'une identité: voilà deux nations à la recherche d'une identité.


Louve et sa poésie..

"Je ne sais pas comment écrire,
Je n'ai pas eu la chance d'avoir ces tas de livres qui vous
entourent, ces amis avec qui vous parlez, cette chance
inouïe de pouvoir dire, de pouvoir regarder vivre vos
pensées dans les yeux d'un autre"

Louve ne sait pas écrire!
faut croire que la poésie ne s'apprend pas vraiment dans les livres. La poésie est la musique de l'âme donc comme certains musiciens jouent sans avoir appris le solfège, Louve a ce don de l'écriture.


"le vent m'a donné une feuille,
pour écrire le temps:
le saule pleure
la terre...
vol d'horizon
mes ailes d'encre.
j'écris "

Dans ta poésie, plusieurs thèmes reviennent : Amour Révolte Solitude Femme et encore plus et je sens souvent une souffrance, la souffrance d'un être blessé, une certaine fragilité et ce qui me surprend c'est que malgré ce rejet vécu, je ne ressens pas chez-toi une sorte d'amertume souvent liée à la souffrance?
Elle me regarde comme un peu surprise par cet énoncé.


Oui, tu as sans doute raison, je ne me sens pas amère, l'explication vient peut-être du fait que je vis dans l'instant et peut-être aussi de mes origines : les amérindiens sont un peuple contemplatif non un peuple violent.

"mon peuple est un peuple doux, qui attend les hivers,
les Montagnais ne sont pas guerriers. "

"il y a eu un peu de glace entre mes doigts...
une colère à pas feutrés
sournoise
je n'ai pas de guerre
parce que ma terre appartient à un oiseau
ma bataille, tenir la plume
très haute"

Une enfance silencieuse, difficile  et la révolte

"il y a quelque chose de violent
dans ton silence
Ô mon enfant..."

Dans certains de tes écrits je ressens un certain malaise et j'aimerais que tu m'expliques tout spécialement ce poème-ci où tu parles d'un mot plus blanc que les autres.

"Et là, une image, très nette m'est apparue, une autre fenêtre, noire celle là, avec des mots blancs et un mot plus blancs que les autres, j'ai lu : Pauvreté"

Tu sais, il y a beaucoup de clichés de la part des blancs concernant les autochtones : du genre que ce sont des gens qui ne travaillent pas, se font vivre par le gouvernement et pour vous c'est comme dans la normalité des choses qu'un autochtone soit « pauvre ». Il est souvent perçu surtout dans les réserves, comme un individu sans ambition et le fait de vivre hors réserve ne change pas vraiment l'image.

À ces mots j'entends des voix,
la voix des blancs et je me tais. j'ai mal d'être « blanc ».


Un être à part par sa simplicité, sa vision de la vie.

mais je suis la neige
je suis cette colère, là-bas dans ce torrent
comment je peux exister sans reconnaître ce qu'il y a autour de moi?
comment le ruisseau peut-il couler si je ne peux l'entendre?
si je place ces mots en ligne comment vont-ils parler
si tu n'es pas là pour les lire?

oui je me sens "à part"
je n'ai pas cette ambition de devenir grande
d'aller plus loin ou de me dépasser
cette course à l'argent, à la gloire,
c'est une façon d'éviter le réel, qui lui, demande une grande maturité,
le bien-être ne s'achète pas, ne se marchande pas.

un jour, je vais mourir, au même titre que cet arbre, cette mouche ou mon voisin. Ça c'est la réalité.

Son milieu face à son écriture

je suis déjà un être à part.
ici, quelqu'un qui écrit est considéré comme un étranger,
presque comme un idiot, sans avenir, un rêveur...
alors je ne le dis pas,
et ceux qui le savent, essaient de l'oublier.
personne ne m'en parle, me demande si j'ai écrit ou quels sont mes projets.

l'écriture est mon langage, simplement.

Vivre au Nord-Est du Québec loin des grandes villes déteint sur ton écriture.

j'ai trop à dire sur cette question là...
une symbiose entre la nature et mon sentiment

Ses influences littéraires.
Son écriture est très marquée par son identité autochtone, par la fragilité de son peuple en survie,

"j'écoute ses dernières paroles
je regarde son visage mourir sous les pluies acides
nous sommes déjà un musée.
alors j'écris. je ne peux faire que cela."

et aussi par ces paysages bien québécois quand on se retire des villes et que le silence des grands espaces habille nos nuits.

"mon regard, un élan sauvage bousculé, une impatience.
l'aiguille tourne, se détourne, tombe et remonte.
une ligne, j'enfile les étoiles.
je calcule la démesure donnée "

Ses premières lectures

je n'ai pas beaucoup lu de livre avant,
ni écouter de la musique
et je déteste la télévision.

les livres servant, ceux qui endoctrinent ont été imposés
alors j'ai détesté lire.
il n'y avait ni musique ni télé dans le bois
nous n'avions pas l'électricité.
il m'est resté quelques liens avec la lecture grâce à une professeure
qui nous avait fait connaître le petit prince...

J'ai été fascinée par le livre de St-Exupéry, le Petit Prince. J'ai même écrit quelques dialogues à la manière du Petit Prince. Ce sont des valeurs qui me rejoignent : « l'essentiel est invisible pour les yeux. » une vraie communication, une amitié, un échange. Comme cet après-midi, ce sont des moments que je n'oublie pas. Honnêtement avant mon arrivée sur Internet je n'avais jamais lu de poésie, je ne connaissais pas Rimbaud, Baudelaire. Par contre j'écoute des chanteurs et certains sont des poètes comme Richard Séguin, Richard Desjardins que j'aime beaucoup.

Un livre d'ailleurs qui a laissé sa trace et quand on parle avec Louve, quand on lit sa poésie, c'est un petit prince en blanc d'écorce dans le désert de sa neige et d'une grande sensualité que l'on suit sur ses sentiers.

par la suite, j'ai découvert Pablo Neruda. Je suis sa disciple. Il est mon amour et je vis avec lui dans chacun de ses mots. Je cherchais depuis longtemps le sens du mot passion et je rageais à vouloir l'écrire dans toute sa puissance, quand j'ai lu par hasard son poème "le tigre"ce fut un coup au coeur, une révélation. Des mots simples, et une telle force!!! une passion incroyable...


"j'adore l'eau
je m'ennuie de mon lac ...
l'eau
c'est d'une sensualité incroyable
elle m'entoure, me touche partout
avec une infini douceur..
j'adore le froid sur ma peau
cela me détend
et quand je plonge
ce sont des moments magiques"



Comme elle n'est pas issue d'une culture d'écriture mais bien orale, Louve lit peu et elle n'a pas la curiosité des livres, son inspiration vient plus de ses paysages, sa solitude, sa capacité de rester muette immobile pendant des heures et de sentir et ressentir les choses.



Son rapport avec la poésie
 
" je n'y connais rien en poésie...
  rien à rien.

C'est bien ce que je pensais, pas besoin de connaître la portée ni les notes pour jouer des mots, c'est un don inné chez elle.

Ses projets, ses rêves.

Je suis une passionnée de vie et chaque instant, je veux le vivre pleinement.Je n'ai pas de projets futurs, le futur ne m'intéresse pas. Je ne suis pas croyante... alors !
Des rêves ! ah! oui j'en ai tout plein, mais ce qui est vraiment important pour moi, est de vivre avec les vraies valeurs, un peu à la façon du Petit Prince et de toujours garder mon sens d'émerveillement et un peu de cette naïveté sans être dupe pour autant.
Et puis il faut que je te partage ce que je viens de vivre. Tu sais, je suis venue à Montréal pour rencontrer une personne. Imagine-toi, et je me sens toute fébrile quand j'en parle, Minda  Forcier, grande chanteuse soprano ( pas montagnaise mais abénakise) a lu ma poésie et aimerait mettre certain poème en chanson et en faire un cd-rom. Je suis toute remuée et je n'ose pas y croire. Elle a aussi d'autres projets mais il est trop tôt pour en parler.

Elle avait les yeux si vifs et brillants que j'étais touchée par sa fébrilité et j'étais et je suis encore toute excitée de ce projet et tellement fière pour Louve et pour les québécois, c'est toujours une grande joie quand le poète est reconnu . Je suis sûre que ce sera un évènement marquant au Québec.


Les aiguilles ont tournées et le vent est venu souffler sous la
porte pour l'emporter dans ces grands espaces

 et je suis restée seul dans ce café devant ma tasse vide
 et le coeur  trop plein, j'ai repris un deuxième café
 allongé... la rencontre. 

Merci Louve

par Gertrude Millaire
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Poème Inédit

Créé le 1 mars 2002

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