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Traces du temps

Sur une oeuvre de Leonardo Rosa

Textes de Bernard Noël, Alain Freixe, Raphaël Monticelli.
Editions de l’Amourier
Collection L’Amble.
25 €uros


C’est d’abord de décomposition, de combustion qu’il s’agit.

Dans sa démarche de plasticien, Leonardo Rosa a toujours exploré les lieux de l’improbable et les espaces d’usure, il en extrait ce qui s’y trame, ce qui se défait mais toujours reprend forme.
En témoigne cette période où il récupérait au gré des plages ce que la mer régurgitait, des rejets qui auraient pu être les os de Jonas, il en faisait des œuvres posées face au silence. Par son travail, les cendres éparses se déposent fréquemment sur un fond d’azur recomposé.

Et il advint qu’un jour L. Rosa prit des cosses de fèves, les déposa entre deux feuilles de ces papiers qu’il affectionne, car ils sont rêches et présentent l’âpreté des surfaces soumises à la caresse des heures comme aux tâches utilitaires des hommes.
En cette enveloppe, les cosses ont laissé aller leur combustion intérieure, livrant ainsi au papier leurs silhouettes ultimes, comme un dernier sursaut de vie et de générosité organique, comme une trace du temps.
Ici, des choses ont brûlé. Question de peau : celle des fèves. Celle des mots.

Leonardo Rosa habite un superbe et rude village non loin de Savona, village en résistance face aux siècles, lieu d’accueil et d’amitié aussi. De passage, Bernard Noël y découvre ces planches de fèves en plein travail de lente brûlure, comme offertes en contrepoint aux oliviers plantés alentour. La nécessité des mots s’impose, les lettres y laissent leur peau, en marge de ces formes tracées par un feu humide, qui déjà s’efface.


La beauté
est un effet visible
mais

à quelque
émanation
interne.

Dès lors le livre prend corps, sur une œuvre de Leonardo Rosa, naissent des textes de Bernard Noël, Alain Freixe, Raphaël Monticelli.

Et c’est un ensemble fait de fulgurances, mettant en chocs et en échos des écritures différentes.
Mais le mystère de ce qui se dénoue les lie.
Le feu ne sait plus ce qu’il est. De l’autre côté, ce ne sont même plus des cendres mais des trames d’argile. Des charpentes de terre future, écrit Alain Freixe,

y répondent souterrainement ces autres lignes de Raphaël Monticelli


Toute vie flétrit et se délite

Elle rend au monde ses eaux, le motif et l’ordre de sa présence

Ses molécules défaites et dispersées iront recomposer un autre objet du monde
ailleurs

Nature morte

dit-on

Ce livre inaugure une nouvelle collection des éditions de l’Amourier, L’Amble, elle a pour but avoué de rendre accessibles de véritables livres d’artistes. Un premier pas heureux, à suivre.

Extraits

Le texte d’Alain Freixe - feu humide - s’agence en 33 mouvements.


1.
Je vais dans l’improbable, dit Leonardo. Cette confiance attentive aux processus qui lient végétaux et supports : fèves et papier de tel ou tel type, de telle ou telle épaisseur, couleur, texture, grain. Sans rien en attendre, c’est cela qui étonne.

2.
J’y vais avec patience et lenteur, ajoute-t-il.
Au travers des grands silences qui balaient l’inespéré. Ce que la fève donne au papier : ses sucs, ses flammes. Son humidité, son feu. Ses creusements de braises vives, ses cendres. Le papier l’attend de toute la résistance de la trame, ses plis. Entre deux grains.

3.
Ici, des choses ont brûlé. Question de peau : celle des fèves. Celle des mots.

4.
A partir de la dessiccation, de la dépouille, de ce qui reste, créer. A partir de la mort, de ce qui se maintient vif en elle d’à venir, l’art. La vie.

5.
Je vous écris depuis le bord des cendres d’un feu multiple et clair.

33.
Et si déroutant, ce rouge. Soleil levant des fèves. Comme une mémoire. Devant.


Bernard Noël – Extrait du temps – N° 7

Parfois
quelque chose
vient vers nous
depuis
un
fond. Mais ce fond n’existe qu’en nous, et nous n’en
savons rien. Le regard se tourne si naturellement vers
l’espace intérieur qu’il devient cet espace sans faire
la différence. Nous entrons dans l’invisible sans le
voir. C’est son secret et –pourquoi pas- sa défen-
se. L’art construit la porte qui donne à la fois sur
l’intérieur et l’extérieur. Elle tourne d’autant mieux
qu’elle est faire avec presque rien.

 

Raphaël Monticelli – fab(ul)a.
(textes I & IV)

I.
(Autour de toi la frénésie gagne le monde)

Tu t’éblouis
de la peau modeste des choses

les battements du cœur végétal

l’amour au rythme lent

le rite des saisons

la vie

secrète

le

silence

Tu suspends les mouvements de ton corps
tu poses les yeux sur l’espace restreint où ton regard repose.


IV.
(Autour de toi les écroulements brefs dans le bruit et les larmes)

Toute vie rend au monde ses eaux la raison de sa présence

Nature morte

dit-on

ce qui s’est défait
et dispersé
recompose ailleurs
un autre objet
du monde

Aucune vanité dans
les choses du monde

c’est la lente respiration
végétale

c’est notre fraternité
avec ce qui existe
et disparaît

Tu accroches ton regard et le temps
fait son œuvre

 

 


L'AMOURIER éditions
Route du Col St Roch
06390 COARAZE
Dépôc Légal -1= Trimestre 2003

amourier.com


Par Yves Ughes
pour Francopolis
octobre  2005 




Créé le 1 mars 2002

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