
C’est d’abord de décomposition, de combustion
qu’il s’agit.
Dans sa démarche de plasticien, Leonardo Rosa a
toujours exploré les lieux de l’improbable
et les espaces d’usure, il en extrait ce qui s’y
trame, ce qui se défait mais toujours reprend forme.
En témoigne cette période où il récupérait
au gré des plages ce que la mer régurgitait,
des rejets qui auraient pu être les os de Jonas, il
en faisait des œuvres posées face au silence.
Par son travail, les cendres éparses se déposent
fréquemment sur un fond d’azur recomposé.
Et il advint qu’un jour L. Rosa prit des cosses de
fèves, les déposa entre deux feuilles de ces
papiers qu’il affectionne, car ils sont rêches
et présentent l’âpreté des surfaces
soumises à la caresse des heures comme aux tâches
utilitaires des hommes.
En cette enveloppe, les cosses ont laissé aller leur
combustion intérieure, livrant ainsi au papier leurs
silhouettes ultimes, comme un dernier sursaut de vie et
de générosité organique,
comme une trace du temps.
Ici, des choses ont brûlé. Question de peau
: celle des fèves. Celle des mots.
Leonardo Rosa habite un superbe et rude village non loin
de Savona, village en résistance face aux siècles,
lieu d’accueil et d’amitié aussi. De
passage, Bernard Noël y découvre ces planches
de fèves en plein travail de lente brûlure,
comme offertes en contrepoint aux oliviers plantés
alentour. La nécessité des mots s’impose,
les lettres y laissent leur peau, en marge de ces formes
tracées par un feu humide, qui déjà
s’efface.
La beauté
est un effet visible
mais
dû
à quelque
émanation
interne.
Dès lors le livre prend corps, sur une œuvre
de Leonardo Rosa, naissent des textes de Bernard Noël,
Alain Freixe, Raphaël Monticelli.
Et c’est un ensemble fait de fulgurances, mettant
en chocs et en échos des écritures différentes.
Mais le mystère de ce qui se dénoue les lie.
Le feu ne sait plus ce qu’il
est. De l’autre côté, ce ne sont même
plus des cendres mais des trames d’argile. Des charpentes
de terre future, écrit Alain Freixe,
y répondent souterrainement ces autres lignes de
Raphaël Monticelli
Toute vie flétrit et se
délite
Elle rend au monde ses eaux,
le motif et l’ordre de sa présence
Ses molécules défaites et dispersées
iront recomposer un autre objet du monde
ailleurs
Nature morte
dit-on
Ce livre inaugure une nouvelle collection des éditions
de l’Amourier, L’Amble, elle a pour
but avoué de rendre accessibles de véritables
livres d’artistes. Un premier pas heureux, à
suivre.

Extraits
Le texte
d’Alain Freixe - feu humide - s’agence en 33
mouvements.
1.
Je vais dans l’improbable, dit Leonardo. Cette confiance
attentive aux processus qui lient végétaux
et supports : fèves et papier de tel ou tel type,
de telle ou telle épaisseur, couleur, texture, grain.
Sans rien en attendre, c’est cela qui étonne.
2.
J’y vais avec patience et lenteur, ajoute-t-il.
Au travers des grands silences qui balaient l’inespéré.
Ce que la fève donne au papier : ses sucs, ses flammes.
Son humidité, son feu. Ses creusements de braises
vives, ses cendres. Le papier l’attend de toute la
résistance de la trame, ses plis. Entre deux grains.
3.
Ici, des choses ont brûlé. Question de peau
: celle des fèves. Celle des mots.
4.
A partir de la dessiccation, de la dépouille, de
ce qui reste, créer. A partir de la mort, de ce qui
se maintient vif en elle d’à venir, l’art.
La vie.
5.
Je vous écris depuis le bord des cendres d’un
feu multiple et clair.
33.
Et si déroutant, ce rouge. Soleil levant des fèves.
Comme une mémoire. Devant.
Bernard Noël – Extrait du temps
– N° 7
Parfois
quelque chose
vient vers nous
depuis
un
fond. Mais ce fond n’existe qu’en nous, et nous
n’en
savons rien. Le regard se tourne si naturellement vers
l’espace intérieur qu’il devient cet
espace sans faire
la différence. Nous entrons dans l’invisible
sans le
voir. C’est son secret et –pourquoi pas- sa
défen-
se. L’art construit la porte qui donne à la
fois sur
l’intérieur et l’extérieur. Elle
tourne d’autant mieux
qu’elle est faire avec presque rien.
Raphaël Monticelli –
fab(ul)a.
(textes I & IV)
I.
(Autour de toi la frénésie gagne le monde)
Tu t’éblouis
de la peau modeste des choses
les battements du cœur végétal
l’amour au rythme lent
le rite des saisons
la vie
secrète
le
silence
Tu suspends les mouvements de ton corps
tu poses les yeux sur l’espace restreint où
ton regard repose.
IV.
(Autour de toi les écroulements brefs dans le bruit
et les larmes)
Toute vie rend au monde ses eaux la raison de sa présence
Nature morte
dit-on
ce qui s’est défait
et dispersé
recompose ailleurs
un autre objet
du monde
Aucune vanité dans
les choses du monde
c’est la lente respiration
végétale
c’est notre fraternité
avec ce qui existe
et disparaît
Tu accroches ton regard et le temps
fait son œuvre
L'AMOURIER éditions
Route du Col St Roch
06390 COARAZE
Dépôc Légal -1= Trimestre 2003
amourier.com
Par Yves Ughes
pour Francopolis
octobre 2005
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