Septembre 2017
Jeanine Salesse – Poèmes
Extraits d’un
récital présenté par Monique W. Labidoire
dans le cadre des
rencontres Arts et Jalons, à Saint-Mandé le 27 mai 2017
« Une petite fille d’Alexandrie »
Note bien sur tes tablettes
Cette argile cuite
Fut posée près d’un corps
Immobile
Enveloppé dans un tissu
Plein de formules magiques
Une petite fille d’Alexandrie
***
L’enfant
Confie à ses genoux des secrets
Poupée ou dé perdu
Le champ de blé
Offre ses coquelicots
Comme un collier précieux
Avec son chien
Elle poursuit
Les canards et les oies
Comme
Pour chasser de la belle journée
L’Anubis du désert
Jamais las de son guet.
***
Petite en robe de lin
Sous les palmiers
Comment t’appelles-tu
Gorgho Praxinia Bérénice ?
Accroupie devant un damier
Comme notre jeu d’échecs
Elle lance le dé d’ivoire
Et
jubile
Près de la poupée articulée
Auprès du foyer
Sa mère et les servantes
Préparent des gâteaux
De sésame et de miel
Déjà
S’envolent les hirondelles.
***
Paisible compagne
de l’enfant qui s’est mêlée aux sables
tu m’attendais dans une vitrine
A ta vue s’éveillent de jeunes visages
Le
mien remonte
Le crible des années
Un sourire
C’est le prix du passage.
« Un cri empli de mutisme… »
Rouge-gorge,
tout modeste sur le rosier. Un souffle sur les herbes : les
perce-neiges ouvrent un œil, font le gros dos. Quelque chose paraît fondre
mais pas la brume qui a remplacé la bruine. Les chaussures du paysage sont
trempées depuis longtemps. Non, la pensée ne lâchera pas les signes de vie
présents pour sauter dans la boue ! Là où s’éteignent rouge d’oiseau
et vif de l’eau.
Ce
pourquoi j’avance prudemment, me tenant au bruit du stylo sur le papier,
minuscule binette en quête d’un collet à dégager.
***
La
rivière glisse, musclée de courants clairs. Sur la rive, une carpe morte
durcit sous le gel. Peut-être lâchée par un héron ou échouée en remontant
le ru des douves du château jusqu’à la rivière. S’est-elle blessée aux
barbelés qui déchirent l’eau à la limite des propriétés ? Désormais
poisson de pierre aux ouïes rouges, le soleil ne la réchauffera plus.
Au
bord, on s’assied sur les souches plates des vieux ormes malades. Encore
bons pour le feu. En dernier recours, le fermier appliquait une mixture à
l’eau de javel sur leur écorce. Disparus des paysages. La rivière cependant
est un baume sur ces heures presque sereines où nous vivons, poissons
intacts. Réchappés.
***
Vue !
J’ai cru voir la mésange. Elle a déboulé de l’arbre à neige, a culbuté dans
l’air. Disparue entre blanc et gris comme si mille clins d’œil avaient éparpillé
la vision de son flocon bleu. Plus rien que les sillons du toit de tôle
saupoudrés. Tiens ! Comme une gaufre à la sortie du Guignol du
Luxembourg autrefois. La déguster lentement, prolongeait la fragile féérie
sous les arbres noirs.
Et
qu’est-ce qui se blottit dans la neige maintenant que le regard rassemblé
mais aux aguets s’arrange un abri dans les branches ? La main de ma
mère qui s’ouvrait au-dessus du plat, y posait le pain coupé en petits
cubes comme un peu de sollicitude pour ce monde.
(La rose de carême)
***
La marche ? Une façon visible d’affirmer la
continuité de la vie. Millions de pas sur millions de mètres. Le temps
envoie par-dessus l’épaule les traces qui se diluent sans bruit, sans fin
dans l’oubli et les évocations de plus en plus fragiles. Jusqu’à l’arrêt du
cœur et le pas suspendu, le dernier.
On souhaite voir notre vie se poursuivre dans un
pas plus jeune ou une enjambée d’amies dans les lieux ailés, lesquelles
s’effaceront aussi sous l’herbe. Mais avant, graineront les réminiscences
et les greffons nouveaux ajoutés par l’imagination. La voilà notre
balise !
***
Très loin dans la nuit, j’ai entendu un cri de
chouette comme un papier qu’on chiffonnait, un vieux rire chevrotant
au-dessus du ruisseau où coasse la gente crapaudine…
Une dentelle de plumes vole entre les châtaigniers
et les chênes en jeunes feuilles. Ce rire, lui seul est éveillé. C’est
celui que nous n’avons plus resté sous l’oreiller. Et ce cri étrange qui
touche le premier sommeil cogne à l’esprit. Il vient frôler nos murs prenant
notre folie, allant la perdre par les forêts et les gouffres ou la souffler
sur les neiges des montagnes. Un cri empli de mutisme car on ne sait ce
qu’il veut dire. On ne peut
l’habiller de paroles.
***
A défaut de marches, de grimpettes ou d’écriture,
mon regard a tout le temps de muser sur les pentes, les feuillages,
d’accompagner les lumières multipliées, scintillantes dans les aiguilles
des mélèzes. Les tiges balancées des fleurs, les ombelles et jusque dans
les foins coupés. Les odeurs se conjuguent, se chargent d’humidité quand le
vent du nord s’engouffre dans la vallée ; on voit les nuages gonfler
le ciel.
J’ai marché doucement au rythme des vieux pas, de
l’équilibre incertain qui transforme le corps en pantin raide, qu’on
pourrait faire tomber d’un coup. Parfois mon père titube comme s’il était
entraîné par un poids. Je ne dis rien. Les mots ne sont pas toujours une
passerelle. Les cailloux du gué sont submergés.
(Journal de montagne)
***
Le jardin sous le fouet des vents. Des tôles
clapotent, singent les tempêtes. La lumière danse dans les branches à
moitié ivres, rebondit sur l’herbe et les cailloux. On entend un engin
agricole. On ne sait pas ce qu’il trafique.
Des arbres sont en fleurs. Leur odeur contient une
allégresse sans nom. Les pommes mûriront habitées par les vers, les cerises
seront pour les oiseaux et les prunes pour les guêpes. Nous jouirons des
couleurs et des parfums. Leurs fleurs sont tendres comme le sourire qui se
transmet à d’autres lèvres.
(À la méridienne)
Née en 1940, ancienne institutrice, Jeanine
Salesse vit dans le Val de Marne. Elle aime la marche.
Elle a publié
plusieurs recueils de poésie chez divers éditeurs, dont :
-
Le pont de
neige
(Le dé bleu)
-
Un mulet aux
sabots de cuir et
Une petite fille d’Alexandrie
(Tarabuste)
-
Le pain de
pierre
et En ce mai lointain (Jacques Brémond)
-
La rose de
carême
(La Part
Commune)
-
Et des livres d’artiste chez Sarah Wiame.
Des poèmes
paraissent dans des revues et dans des anthologies dont :
-
Poésies de
langue française
et L’année poétique 2009 (chez
Seghers)
-
Et si le rouge
n’existait pas (Le
temps des cerises)
-
L’évidence
d’aimer (Le
dé bleu).
Elle a participé à la Biennale des poètes
en Val de Marne et à des Printemps des poètes à Nevers, à Pertuis. Elle est
membre du Jury du Prix Louis Guillaume du poème en prose.
recherche
Dana Shishmanian
septembre 2017
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