« Ici, dans l’instant de la
nuit »
Choix de poèmes de son dernier recueil, avec des peintures de Noël Roche (*)

Ici, dans l’instant de la nuit
Se soumettre aux mots
Se laisser embarquer
Au-delà des cols et des mers
Loin de Tonio Kröger et sa
roulette verte
Au-delà des volcans et des îles
d’or
Loin de la paix d’un canal
flamand
Toujours plus proche de ce
qui nous consumera ?
Dire la menace aux aguets
La terre sous les ongles
après la lumière ?
La soif des roses suffit à la
certitude de l’ombre
L’or coule parfois dans les
chants parallèles
Il y a les chevaux bleus
gardiens des rêves
Et ceux qui galopent dans ma
mémoire
Blancs à jamais sur une plage
enneigée
Nuit chorale
Son soleil sous les paupières
Là où je suis
Là où je vous attends
Là où je cherche des mots
contrepoison
Pour que le chagrin consente
un passage à la joie
Ombres sonores
La neige c’est l’enfance qui
s’en revient
C’est la vengeance du silence
de l’enfant
De ses paroles tues quand
elle crisse sous les pas
C’est l’atour dont il parait
ses secrets
Une contrée de loups harmonieux
D’avant les contes du bien et
du mal
Un
grand feu blanc qu’aucune nuit n’épuiserait
Tu voudrais sa seule lumière
Mais elle n’en finit pas de
murmurer
Continuum
Une chanson pour amadouer la
peur
Une étoile de papier pour
ouvrir le jardin
Minuit sonne ses douze coups
L’enfance s’est rendormie
Là-haut luit le Grand Chariot
Tu as perdu les clefs et la
mélodie
Mais pas l’amitié des fleurs
Ni le ciel cousu d’astres
Laisse-toi rêver dans le loir et tu verras le fil
Le grand nuage a parlé d’or
L’homme qui passe
Île, aile et bleu habile
Un carré de ciel muet
Une boîte de couleurs et des
chemins pâles
Sous la lune alliée au rouge
automnal
Un coq sépare le jour de la nuit
Homme pèlerin
Les mains pleines d’enfance
L’enfance irréductible
Sa vigile à l’ombre de ta vie
Tu ébauches des fleurs
cramoisies
Et la maison pérenne
Tes astres fixes par-delà île
et ailes
Le premier regard
La première perte
Ta fêlure chatoyante
Puis tes mains se posent
Oiseaux sur le plomb d’un
vitrail
Au troisième chant du coq
Le jardin bascule dans l’été
Tu passes en méditant l’étoile

Portrait en 6 figures
Dévoilée
Mise en abyme
Loin de l’eau immobile du
miroir
En ton milieu la probabilité
du double
Une fleur ambiguë entre deux
ailes
C’est du silence entre des
rameaux de feuilles
Et mille ans stupéfaits dans
le regard
Tout fusionne à certain
moment de la nuit
Le froid de l’aube, les roses
de juin, le désir
et
la rumeur de la mer
Tracer ce qui éloignera l’échéance
du jour
Prolongera la présence

Les heures froides : 4H00 (1)
La mer
Sombre
Dans sa traîne de novembre
Assénant avec l’emphase d’un gloria
Sa durée incessante
Son alliance insécable avec
la lune
Dedans
Tu ne l’entends plus
Tintamarre assigné à la gorge
Même si tout est promis à
dévaler
Cabrer son ombre contre l’hiver
Et encore affirmer demain
Lui inventer des rives
calendaires
Accrocher des lampions dans
les arbres de juillet
Et plus haut chevauchant sur
la voie lactée
Des étoiles pour le vide qu’elles
désarment
Avec une légèreté de moineau
Le peu d’une présence a
froissé la pénombre
Dire ?
Les heures froides : 4H00 (2)
Heure engourdie de doute
Pas de chemins
Pas de lumières
Pas de balise en l’instant
qui s’effondre
Plus qu’un visage qui se
crispe
C’est le regard de l’autre
Un foudroiement sans
tendresse
C’est toi moins la bête
Dans les bras d’un ange
abattu
Même si tout est voué à se
taire
Opposer Mozart à l’hiver
Nos voix funambules aux
ciseaux du ciel
Fomenter l’insurrection des
souffles
Le défi de l’été en janvier
Frisson d’étole dans le
silence
Une aile a rétabli la nuit
Les heures froides : 4H00 (5)
Nuit ambiguë
Pays de silence et d’heure
nue
Sans miracle pour raisonner
le voyage
Enfant l’ordre du monde
Flamboyait dans la fourrure d’un
renard
Fiançait la neige à de
plausibles roses
Un jour quelque chose s’est
perdu
Tu as pris de l’eau dans tes
mains
Elle a brillé sur ta ligne de
vie
Puis a goutté
lentement vers la terre
Il neige cette nuit, tu
guettes les roses
En marchant (5)
Des éclats de la mer
Sépulture erratique aux mille
naufragés
Ou volupté des eaux premières
Aux miroitements d’un voilier
de cygnes
D’une lumière à l’autre voici
le monde
Tenu serré dans une
connivence bleue
Voici ton enclos de merveille
et d’horreur
Pas moyen de sortir de là
Tu marches dans un bois
Sous les jacinthes affleure
une mer ambiguë

(*) Extraits de Nuit
chorale, son soleil sous les paupières,
avec des reproductions des œuvres
de Noël Roch,
Éditions Unicité, 2016 (96
p., 13 €)
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