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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 


Novembre-Décembre 2018

 

 

« Par-delà tout portrait, nos feux singuliers »

À la mémoire de Ghyslaine Leloup

Elle nous a quitté le 5 décembre cette année. De nombreux amis se sont retrouvés autour d’elle au Père-Lachaise le 11 décembre, pour une belle évocation en poèmes, chansons et témoignages, et ensuite, à la maison de son amie d’enfance, qui l’avait accueillie pendant ses presque deux dernières années de vie, à Maisons-Laffitte, dans un beau cadre de nature comme elle l’aimait. C’est à cette occasion que j’ai pensé pouvoir lui dédier cet hommage en faisant découvrir ou redécouvrir son écriture poétique, aussi belle que forte, aussi lumineuse que bouleversante, comme porteuse d’une intense flamme purifiante. Sa voix restera.  

D.S.

 

« Ici, dans l’instant de la nuit »

Choix de poèmes de son dernier recueil, avec des peintures de Noël Roche (*)

 

Ici, dans l’instant de la nuit

 

Se soumettre aux mots

Se laisser embarquer

Au-delà des cols et des mers

Loin de Tonio Kröger et sa roulette verte

Au-delà des volcans et des îles d’or

Loin de la paix d’un canal flamand

Toujours plus proche de ce qui nous consumera ?

Dire la menace aux aguets

La terre sous les ongles après la lumière ?

La soif des roses suffit à la certitude de l’ombre

L’or coule parfois dans les chants parallèles

Il y a les chevaux bleus gardiens des rêves

Et ceux qui galopent dans ma mémoire

Blancs à jamais sur une plage enneigée

Nuit chorale

Son soleil sous les paupières

Là où je suis

Là où je vous attends

Là où je cherche des mots contrepoison

Pour que le chagrin consente un passage à la joie

 

 

Ombres sonores

 

La neige c’est l’enfance qui s’en revient

C’est la vengeance du silence de l’enfant

De ses paroles tues quand elle crisse sous les pas

C’est l’atour dont il parait ses secrets

Une contrée de loups harmonieux

D’avant les contes du bien et du mal

Un grand feu blanc qu’aucune nuit n’épuiserait

Tu voudrais sa seule lumière

Mais elle n’en finit pas de murmurer

 

 

Continuum

 

Une chanson pour amadouer la peur

Une étoile de papier pour ouvrir le jardin

Minuit sonne ses douze coups

L’enfance s’est rendormie

Là-haut luit le Grand Chariot

 

Tu as perdu les clefs et la mélodie

Mais pas l’amitié des fleurs

Ni le ciel cousu d’astres

Laisse-toi rêver dans le loir et tu verras le fil

Le grand nuage a parlé d’or

 

 

L’homme qui passe

 

Île, aile et bleu habile

Un carré de ciel muet

Une boîte de couleurs et des chemins pâles

Sous la lune alliée au rouge automnal

Un coq sépare le jour de la nuit

Homme pèlerin

Les mains pleines d’enfance

L’enfance irréductible

Sa vigile à l’ombre de ta vie

Tu ébauches des fleurs cramoisies

Et la maison pérenne

Tes astres fixes par-delà île et ailes

Le premier regard

La première perte

Ta fêlure chatoyante

Puis tes mains se posent

Oiseaux sur le plomb d’un vitrail

 

Au troisième chant du coq

Le jardin bascule dans l’été

Tu passes en méditant l’étoile

 

 

 

Portrait en 6 figures

 

Dévoilée

Mise en abyme

Loin de l’eau immobile du miroir

 

En ton milieu la probabilité du double

Une fleur ambiguë entre deux ailes

C’est du silence entre des rameaux de feuilles

Et mille ans stupéfaits dans le regard

 

Tout fusionne à certain moment de la nuit

Le froid de l’aube, les roses de juin, le désir

et la rumeur de la mer

Tracer ce qui éloignera l’échéance du jour

Prolongera la présence

 

 

 

Les heures froides : 4H00 (1)

 

La mer

Sombre

Dans sa traîne de novembre

Assénant avec l’emphase d’un gloria

Sa durée incessante

Son alliance insécable avec la lune

Dedans

Tu ne l’entends plus

Tintamarre assigné à la gorge

Même si tout est promis à dévaler

Cabrer son ombre contre l’hiver

Et encore affirmer demain

Lui inventer des rives calendaires

Accrocher des lampions dans les arbres de juillet

Et plus haut chevauchant sur la voie lactée

Des étoiles pour le vide qu’elles désarment

Avec une légèreté de moineau

Le peu d’une présence a froissé la pénombre

Dire ?

 

 

Les heures froides : 4H00 (2)

 

Heure engourdie de doute

Pas de chemins

Pas de lumières

Pas de balise en l’instant qui s’effondre

Plus qu’un visage qui se crispe

C’est le regard de l’autre

Un foudroiement sans tendresse

C’est toi moins la bête

Dans les bras d’un ange abattu

Même si tout est voué à se taire

Opposer Mozart à l’hiver

Nos voix funambules aux ciseaux du ciel

Fomenter l’insurrection des souffles

Le défi de l’été en janvier

Frisson d’étole dans le silence

Une aile a rétabli la nuit

 

 

Les heures froides : 4H00 (5)

 

Nuit ambiguë

Pays de silence et d’heure nue

Sans miracle pour raisonner le voyage

Enfant l’ordre du monde

Flamboyait dans la fourrure d’un renard

Fiançait la neige à de plausibles roses

Un jour quelque chose s’est perdu

Tu as pris de l’eau dans tes mains

Elle a brillé sur ta ligne de vie

Puis a goutté lentement vers la terre

 

Il neige cette nuit, tu guettes les roses

 

 

En marchant (5)

 

Des éclats de la mer

Sépulture erratique aux mille naufragés

Ou volupté des eaux premières

Aux miroitements d’un voilier de cygnes

D’une lumière à l’autre voici le monde

Tenu serré dans une connivence bleue

Voici ton enclos de merveille et d’horreur

Pas moyen de sortir de là

Tu marches dans un bois

Sous les jacinthes affleure une mer ambiguë

 

 

(*) Extraits de Nuit chorale, son soleil sous les paupières,

avec des reproductions des œuvres de Noël Roch,

Éditions Unicité, 2016 (96 p., 13 €)

 

 

Ghyslaine Leloup est née en 1956 en Normandie où elle a passé son enfance, près des plages du Débarquement. Elle a fait des études de littérature française et comparée à Paris III-Sorbonne Nouvelle. Depuis 1984 elle travaillait dans le milieu artistique, notamment dans les domaines de la musique et des arts visuels (IRCAM/Pierre Boulez, La Fenêtre-collectif d’auteurs-photographes…) et avec Stéphane Tchalgadjieff, producteur de cinéma (dont India Song de Marguerite Duras, Out 1 de Jacques Rivette, Le diable probablement de Robert Bresson, Le maître-nageur de Jean-Louis Trintignant).

Elle a publié des poèmes dans de nombreuses revues et anthologies : Encres Vives (2004), Anthologie Francopolis (Clapas 2008-2009), Dires d’elles (Hélices 2010), Pas d’ici pas d’ailleurs (Voix d’Encre 2012), Danger poésie, La voix des autres, Diptyque, Friches, Comme en poésie, Hors-Jeu, Les Voleurs de Feu, Terres de Femmes, Terre à ciel, Poésie/première, Le capital des mots, Recours au poème, Ce qui reste, L’ardent pays site qui recueille probablement, en septembre 2017, ses plus récents poèmes, inédits en volume, et dont est reproduite la photo jointe ici).

Ghyslaine Leloup : Ainsi ces visages ...

Ses recueils de poèmes :

J’appelle, au bord du monde, La Bartavelle éditeur, 2000.

Le rêve aux mains lentes, La Bartavelle éditeur, 2001.

L’ange de sable, Encres vives, 2003.

La joie portant, Hélices (Poètes ensemble), 2004.

Sur le seuil, promis, L’Harmattan (Accent tonique), 2012.

Nuit chorale, son soleil sous les paupières, éditions Unicité, 2016.

Rajoutons son dernier livre, Bien à vous. Une correspondance, volume d’échanges épistolaires avec l’artiste peintre Noël Roch, véritable témoignage poétique et artistique, paru également aux éditions Unicité, en 2017.

 

 

 

Francosemailles 
novembre-décembre 2018

Recherche : Dana Shishmanian  
 

 

 

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Créé le 1 mars 2002

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