Septembre
2017
CHRONIQUE
DE L’ÉTÉ 17
par
Mireille Diaz-Florian
On dirait l’été. Tout
contribue à cette certitude. Quelque chose a changé dans les rues. Une
sorte de silence qui est propre à la ville désertée. On s’avance parfois
seul, au matin. On regarde le ciel. Les devantures sont soudain des
surfaces planes aux vitres noires. On aime ça : le noir des vitrines,
le silence qui nous laisse deviner le vent dans les feuillages.
On voit quelques
voitures dont le passage devient incongru, tant elles ralentissent au feu
orange ou au contraire semblent s’élancer pour enchainer les feux verts,
dans un moment d’exaltation rare, offert durant l’été. On dirait que les
voitures sourient au passant, en arrêt sur le passage clouté.
Il regarde le ciel.
On dirait l’été. On
porte en soi le désir du départ pour immédiatement le refouler. L’été dans
la ville désertée existe avec plénitude. La certitude de l’été n’a rien à
voir avec la couleur du ciel car, ici, à ce moment-là, on a effacé des pans
entiers du ciel météorologique. On regarde le doux moutonnement des nuages,
puis leur disparition. Quelquefois, le monochrome bleu ouvre l’espace
classé dans le bon usage des saisons.
On sait que c’est l’été
dans la ville désertée. On croise des hommes et des femmes qu’on aperçoit à
peine dans les temps d’automne, d’hiver et de printemps. Ils sont souvent
vieux. Ils avancent à ce rythme lent qui peut encore leur faire gagner les
instants précieux d’avant la mort. Leur caddy un peu défraîchi, les suit
avec un léger bruit de roue. Parfois on échange un sourire. On regarde le
miroir de notre vieillesse annoncée. On prend la mesure exacte du présent.
C’est l’été.
On sait que c’est l’été
dans la ville désertée si l’on adopte un trajet ordonné. Par cercles
concentriques, il nous mène jusqu’au fleuve qui accompagne les allées et
venues des touristes. On écoute la partition de la ville désormais ouverte
aux désirs d’aller, venir, partir, s’arrêter, se bousculer, manger,
s’asseoir, acheter, repartir.
On croise des hommes,
des femmes, des enfants. Ils achètent des tee-shirts, des crêpes au
Nutella, des bouteilles d’eau. Ils aiment à se photographier. Les jeunes
filles adoptent une pose avec un léger déhanchement, les jeunes hommes
orientent leur casquette, contractent les pectoraux. Certains cadenassent
leur amour aux grilles des ponts. D’autres montent en courant les marches
du musée jusqu’au au pied de la Victoire de Samothrace ; ils se serrent
alors les uns contre les autres pour le selfie à
envoyer aussitôt sur les réseaux sociaux.
Parfois lorsque passe
un bateau avec son chargement de touristes, on leur fait signe du haut du
pont. Ils répondent. Ils sourient
On regarde l’humanité,
de passage dans la ville, en été.
Ce serait l’été 17. Le
passage du millénaire a remis le compteur cosmique sur les premiers
chiffres. Les enfants nés avec le 21 siècle, affichent leur jeunesse de
couleurs et de bruits, reliés qu’ils sont à toutes les latitudes par les
fils invisibles.
Ils regardent les ciels
sur des écrans.
Ce serait l’été 17. Il
y a 80 ans, Federico Garcia Lorca était assassiné sous les oliviers de
Grenade. On vient d’ouvrir de nouveaux charniers quelque part en Espagne.
Nos massacres contemporains ont changé de commanditaires et les champs de
ruines, les regards terrifiés des fugitifs glissent à la surface des
écrans. A Orlando, un des tortionnaires de Victor Jara
vient d’être condamné à indemniser la famille du chanteur. Le Texas est
sous le déluge, mais dans la boue et
les hurlements de l’ouragan, la police trumpiste
tente de trouver des clandestins.
Je voudrais juste
regarder le ciel.
J’aurai quitté la ville
désertée pour écouter les battements du sang à la gorge, pour sentir dans
la marche lente vers le sommet, la pulsation de la vie. Je regarde
l’horizon où les pics écrivent l’éternité. Un lac bleu s’étrécit avant de
disparaître, dans des milliers d’années, sous la masse spongieuse des
tourbières. On mesure l’exactitude du présent.
Je regarde le ciel où
planent les vautours.
C’est l’été 17. Un
homme vient de mourir qui me fut un frère. Mon enfance se détache, navire
lointain où clignotent les lumières d’un paquebot fellinien. Je sais que
c’est une maquette, doucement manipulée par les techniciens, démiurges du
rêve. Il faudra dire quelques mots dans la salle high
tech du crématorium.
Je voudrais juste
regarder le ciel.
C’est l’été 17. Je
prendrais des trains. Plusieurs. Certains me mènent lentement vers une
presqu’île aux aubes brumeuses. Je suis attendue par des hommes et des
femmes, frères humains qui avec moi, partagent, de la beauté, les instants
éphémères et absolus. Une grande tablée accueille mes derniers ouvrages
parus, côte à côte avec ceux des autres. Nous nous tenons chaud entre les
lignes, entre les mots. Autour de la salle, des peintres ont accroché leurs
tableaux. Les couleurs vibrent. Nous lirons à hautes voix des textes
sonores et lumineux. Ce pourrait être un chant.
Il y aura des trains encore.
Rapides. On dit même à Très Grande Vitesse dans la Société des Chemins de
Fer Français. C’est un été Français. Je lis l’autobiographie de Neruda.
C’est une vie qui pèse son pesant de chair et d’esprit de plain pied avec
l’Histoire, sans cesser pour autant de puiser à la source originelle des
terres australes. Les carrefours du hasard me font revoir le film Il Postino
où dans l’exil du poète, la rencontre avec le facteur de l’île italienne
signe l’émerveillement des mots, inscrit en chaque être. Je pense à l’Ile
Noire, battue par les vagues du Pacifique, où il est enfin arrimé. J’écris.
C’est l’été
17, encore pour quelque temps.
©Mireille
Diaz-Florian
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