Dans un précédent recueil « Fenêtre avec esseulement »
Ara Alexandre Shishmanian se posait déjà en auteur tragique. Il suit donc
sa quête en nous proposant un poème dramatique au titre qui amène à la
réflexion : Les non-êtres imaginaires. Qui mieux
qu’un certain « personnage » au nom de « Personne »
qui apparaissait dans ces précédents recueils pourrait prendre forme sous
l’appellation de non-être ? Ara Alexandre Shishmanian est souvent de
l’autre côté du miroir. II ne se pose pas la question de l’être
et surtout pas le fameux « être ou ne pas être » mais la
question du non-être.
Si l’on accompagne Ara Alexandre Shishmanian dans sa
proposition : « L’homme veut être Dieu pour
l’homme » proposition qui nous interpelle fortement, on
peut également adhérer à ses créations imaginaires, non achevées parfois
comme le GOLEM dans la tradition juive créé pour aider son concepteur à
combattre le mal. Créature inachevée et sans âme, le Golem parvient à
s’échapper de la tutelle de son créateur pour attiser le mal.
En lisant les textes poétiques d’Ara Alexandre Shishmanian, on
pense au Gregor de la Métamorphose de Kafka, ce « monsieur
tout-le-monde » qui un beau matin se retrouve dans le corps d’un
monstrueux insecte. N’oublions pas le vécu du poète qui nous parle d’un
espace de non-être qui va du « zéro totalitaire à l’infini de la
liberté ». Un espace dans lequel Ara Alexandre
Shishmanian libère son imaginaire maléfique pour dénoncer l’être humain
inhumain capable d’imaginer un monde de chimères, un monde où le mal est
la puissance ultime qui s’abat sur cette race humaine coupable de tous
les péchés, porteuses de toutes les tares et qui tend à oublier la
beauté, la bonté et la paix.
La très grande culture d’Ara Alexandre Shishmanian nous entraîne
à relire les textes anciens, à creuser la mythologie, l’ésotérisme, la
philosophie, les religions. Les poèmes sont à lire à petite dose tant
l’auteur se laisse emporter par un lyrisme qui se trouve sous les vents
opposés à sa fonction. Mais, peut-être, faut-il en passer par là. Ne pas
se voiler la face, imaginer, voir, décrire, poétiser une nature humaine
maléfique même si l’on sait qu’hélas, la réalité peut dépasser la
fiction. De Lilith, la « nuisible » que l’on trouve dans ce
recueil à Sulamith l’ange
de miséricorde que l’on trouve chez Paul Celan quelque chose d’opaque se
noue qu’avec patience nous pouvons décrypter. Accueillir cette écriture
de la douleur et du mal dans laquelle les oiseaux ne chantent pas, les
sources sont taries, les forêts dévastées et l’autodafé instauré pour
toutes les bibliothèques. Accepter le péritio aussi bien que la licorne.
Et retrouver, peut-être, un savoir-être heureux.
Monique
W. Labidoire
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