« Mon royaume n’est pas de ce
monde »
Jean-Michel Aubevert, Soleils vivaces, Le Coudrier, 2015,
154 p.
Sous le signe de la rose et du soleil, le recueil de
poèmes en prose ou de prose poétique, Soleils
vivaces de Jean-Michel Aubevert, ne cesse de questionner le monde,
ses croyances de toutes sortes qui suffoquent la liberté et le souffle de
la vraie vie, celle de la rose qui éclore malgré tout, répandant son
parfum, éblouissant par sa beauté presque irréelle. Cette beauté fragile
qui se défend par les épines contre toute agression, c’est celle de la
vie dans ce qu’elle a de plus beau et pur depuis la Création. C’est aussi
celle de la Parole sainte, du Verbe créateur converti en langage poétique
pour témoigner de l’éternel rayonnement de la vie au combat des
civilisations qui ne cessent d’imposer leurs hégémonies meurtrières
contre la liberté naturelle de l’homme et de sa pensée :
« Il est
bien temps de crier qu'on assassine la liberté ! Je fus Charlie. Les
djihadistes n'ont pas tué l'hebdomadaire ; ils l'ont sauvé d'une
asphyxie économique par le traumatisme qu'ils ont causé. L'économie est
une politique, le choix des démocraties de marché. Pour ainsi dire, elle
transcende nos vies. Je garde pour sauvegarde la rose, poète d'entre les
têtes pensantes. Je rends au monde ce qui appartient au monde. [...] La poésie désarme les larmes en se
changeant les yeux. En chaque rose, se joue le jour de mémoire de poète.
Et c'est une barque d'étoiles où se surprend une âme d'enfant à exister
par-devers les grands de ce monde. »
La Rose de Jean-Michel Aubevert, aux multiples sens,
mythiques, bibliques, livresques (Dante) « symbolise un calice dans l’apothéose d’une croix ». Par elle,
le poète questionne l’amour, la famille, l’existence, la religion, le
langage, la poésie et son rôle de témoigner, de combattre, d’affirmer, de
révéler les couleurs du paradis :
« Ô la
rose d'un véritable amour, et la rose de son vocable ! Et comment
relancer le dé bleu cher au poète pour tirer le chiffre du ciel au sept
des Pléiades ? Je dirai que la poésie creuse le réel pour nous
rappeler que nous vivons à l'horizon d'un ciel, pour aérer les mots dans
une respiration de l'esprit. J'ai revisité mon tarot d'images, mon
parolier d'assonances, en y introduisant un jeu de roses et tant de
pétales en ont volé que j'en ai gardé un sentier de pages. Certes, ce ne
fut pas sans qu'en chemin des roses, resurgissent les épines qu'on nous
promet pour rançon de la fleur sur la foi des lauriers d'un Sauveur, sans
en passer par l'étranglement des sanglots. »
D’un lyrisme profond, riche de métaphores, lourd de réflexions,
Soleils vivants déploient sur
les pages du livre les images fulgurantes de la beauté entrevue aux
instants de grâce où l’âme du poète ressent son accord avec l’univers qui
se révèle à lui telle la rose qui ouvre son bouton pour étaler sa lumière,
celle d’un commencement perpétuel de la vie dans toute sa fragilité et
beauté. Elle s’offre à tous, la preuve de son rayonnement, de sa vivacité
d’un instant, sans rien demander. Elle est là, lumière et joie d’être, pétales
et parfum, vie, l’image de la perfection vers laquelle aspire l’esprit.
Le langage poétique de Jean-Michel Aubevert est aussi
frais, tendre, soyeux, rayonnant que celui de la rose, à la fois
interrogatif, réflexif, sarcastique. On pourrait comprendre la rose comme
symbole de la beauté du langage inspiré face à celui fabriqué, de la vie
authentique, naturelle, désenchantée par le pouvoir économique
manipulateur de la langue.
Le poète s’abreuve au rêve, se réveille à l’écoute
des herbes, fleurs, forêts, vagues de la mer, étoiles, pierres. Il
est le garant de l’espérance, de la lumière qui scintille dans la boue de
la vie, telle la rose qui s’épanouit dans la vase. Il entend l’écho d’une
autre vie qui se réveille sans cesse dans son âme, l’élève à la beauté de
l’esprit. Il est à la quête du Graal, celui de la Parole sainte, tel le
vrai croyant. Il faut se méfier des « croyants », puritains, économistes,
psychanalystes, se libérer du cortège des servitudes imposées par les
autres, n’écouter que le langage du ciel et de la terre parler de l’amour
pour découvrir la joie d’être, la voie de la liberté naturelle,
l’harmonie qui règne dans l’univers.
Pour nous convaincre de sa parole de poète, Jean-Michel
Aubevert emprunte la lyre mythique d’Orphée et prête à son chant poétique
la connaissance d’Apollo. Il convoque dans l’intertexte de ses poèmes les
mythes de la Grèce et de l’Égypte, les légendes, l’Évangile, les poètes du
renouvellement du langage poétique (Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud, Stéphane
Mallarmé, René Char, Rainer Maria Rilke), les peintres de la lumière
(Monet, Renoir, Van Gogh), les prosateurs de sensibilité poétique (Antoine
de Saint-Exupéry, Christian Bobin), les
physiciens (Copernic, Galilée, Pascal), sa mémoire affective, les
constellations du ciel et les éléments de la Terre pour évoquer la
naissance de la poésie et le côté lumineux de la vie. Car la poésie est révélation
de la lumière, d’une âme touchée par le
soleil vivace qui est la vie même dans sa beauté révélée au regard du
poète, du peintre. Dans les toiles de Monet le poète entrevoit nager les
nymphéas et « le ciel touché
d’une âme ».
Soleils vivaces
est structuré en plusieurs séquences poétiques, chacune comprenant
plusieurs poèmes en prose, très mélodieux par leurs sonorités et les
syntagmes rimées qui fluidisent et harmonisent les phrases : La poésie effrontément, Venir au
fleuve (celui de la parole), Dernier
Quartier, Un rêve, Sur un lit de langage, Un poème simple, Une page à tourner, Ulysse revient, Métaphore d’un or, Une fleur, Sous le fouet de la Rose.
Dans ses poèmes le lyrisme pur est imprégné de
réflexions ironiques, incisives, révélant la pensée d’un poète révolté
contre les dogmes, les manipulateurs des consciences, de la psyché et du
langage, contre l’arrogance des « connaisseurs » de toutes
sortes, y compris parents, psychologues, psychiatres, politiciens, ecclésiastiques,
économistes, scientifiques.
Jean-Michel Aubevert vit intensément la poésie,
s’identifie à la parole créatrice de mondes nouvelles, au souffle des
herbes, de la marée, de la fleur qui éclot, du rêve : « J’étais au bord des lèvres la langue
qui s’oublie à écoper la fièvre [...] J’étais la fleur qui s’ouvre à l’évidence
du jour. J’étais la mémoire qui s’abreuve dans la longueur d’un fleuve. »
Le poète cherche « quelque chemin d’Adam oublié des censeurs », la métaphore
de la poésie qui est « en avant, y tient son agissement dans la tension d’un arc où la lumière
s’arbore » et le langage « mis sous la tension du visionnaire ».
Il est l’éternel Ulysse, son Ithaque la poésie et son odyssée est celle
du langage, dévoilée par son crédo poétique :
« Je ne me fie qu’aux
cérémonies du verbe, à ces épiphanies dont la poésie prend acte sans les
couler en article de vérité. »
©Sonia
Elvireanu
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