Billet d'humour ou ballade d'humeur
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Michel Duprez - Michel Ostertag...  et plus



  

Une sacrée rencontre

Un peu sur le tard, j’ai eu très envie de peindre. De peindre des tableaux. Pas d’apprendre à dessiner. Au cours d’une petite bouffée délirante, à soixante trois ans, j’avais eu précédemment une sorte de révélation. pourquoi, m’étais-je dit, pourquoi ne pas me risquer dans cette aventure, qui, j’en suis certaine, est très simple ? Réfléchis, ma bonne Deudeu, si tu désires faire une feuille verte, tu dessines une feuille et tu la peins en vert. Munie de ce léger bagage technique, je me suis lancée à fond dans la barbouille.

Assez ingrats furent les premiers mois. D’autant qu’avec l’enthousiasme des néophytes, mes premières oeuvrettes m’ont semblé assez intéressantes. Je les imposais le soir à ma famille compatissante mais lucide, sur la cheminée du salon ou sur une chaise. Pas question d’y échapper. Je ne me contentais malheureusement pas de projets modestes. Les vernis, les épaississeurs, les reliefs, les grattages, j’ai tout essayé, au couteau, à l’éponge, à la brosse. J’oubliais de temps en temps de faire le déjeuner des enfants et la maison puait en permanence l’essence de térébenthine et l’huile de lin. Je trouvais ces odeurs délicieuses et personne ne se permettait la moindre réflexion.

Un couple d’amis animait une fois par mois une association de peintres du dimanche et m’ont invitée à leur rendre visite en apportant une toile ou deux sous mon bras pour les soumettre à l’appréciation amicale de leurs camarades.

Je ne le savais pas, mais le goût d’une petite assemblée comme celle là est d’un académisme pur et dur. On m’aurait peut être pardonné les sujets extravagants de mes toiles mais l’absence complète de savoir peindre, l’indigence de la technique, le cochonnage généralisé des couleurs ont collés les petits associés sur leurs sièges de stupéfaction et d’horreur. Comme disent les potaches: [on aurait entendu violer une mouche.] J’étais assez satisfaite. N’étant pas familière de ce genre de prestation, j’ai pensé : j’intéresse. Ils réfléchissent avant de donner leur avis. . Et de même que leur peinture est correcte, proprette, leur comportement fut poli et sans aspérités. Et je suis revenue ponctuellement pendant un an. J’étais tellement démunie que leurs conseils m’ont rendu beaucoup de services Des services en creux. A les fréquenter j’ai mieux compris ce que je ne voulais pas faire. J’étais du coté de ceux qui pensent que la peinture n’est plus faite pour faire joli au-dessus du canapé de Tante Agathe mais pour envoyer un bon petit coup de poing dans la gueule de ceux qui regardent. Sans oublier les tableaux qui font rire, ceux qui dénoncent, ceux qui provoquent, et même ceux qui révulsent, ces derniers à dose homéopathique car il ne faut pas tuer du premier coup des acheteurs éventuels. Mais, je n’en étais pas là !

Bénédicte venait depuis plusieurs années à « l’association », mais je ne l’ai pas remarquée tout de suite. Elle était jeune, brune, discrète, jolie au milieu d’une poignée de vieux crabes, j’aurai du la voir plus vite. Je ne le savais pas encore, mais elle avait deux enfants en bas âge et trouvait difficilement un peu de temps pour la peinture. Bref, elle apporte un jour quelques toiles.
Le sujet : des antillais de tous âges, devant lieux cabanes modestes, occupés à des tâches quotidiennes, la toilette des enfants, les jeux de cartes, les p’tits punchs, les jouets, tout un petit monde charmant, coloré, aux vêtements éclatants. Les femmes sont appétissantes, rondes, généreuses, gracieuses dans leurs rondeurs. J’ai eu l’occasion de lui dire depuis: ce jour-là les larmes me sont montées aux yeux et quand la peinture vous fait cet effet là, vous ne savez même pas si le tableau est bien ou mal peint, vous vous en foutez complètement, c’est un bonheur total.

Le mois suivant, j’étais bien décidée à lui parler, mais je l’ai fait d’une façon grotesque. Je lui ai dit que j’avais beaucoup aimé ses peintures, et que j’avais cru remarquer qu’elle ne détestait pas tout à fait les miens. Est-ce que j’ai pu dire des choses pareilles ?  Et ensuite, je lui ai dit : [si un jour vous voulez échanger quelque chose avec moi, je suis complètement d’accord.] Elle m’a répondu très posément qu’elle trouvait assez rigolo ce que je faisais et nous en sommes restées là pour ce jour. Les mois suivants, j’ai pris conscience de la perfection de son travail, du dessin vivant d’où procédait l’émotion de ces scenettes de la vie ordinaire. Elle, de son coté, a été touchée je crois de mon admiration et elle a regardé mon travail avec beaucoup d’attention. Et un jour, elle m’a dit-peut-être pas exactement comme ça, mais qu’importe- elle m’a dit : [C’est dommage que tu peignes comme un cochon, car tes idées sont très marrantes. Tu devrais m’apporter une toile, et je te montrerai ce qu’on peut en faire. Ça m’amuserait.] J’étais ravie. Je lui ai donné un paradis terrestre qui n’était pas piqué des vers, comme on dit chez moi, et j’ai attendu.

Je ne me séparerai jamais de ce tableau. Et pourtant nous en avons fait ensemble de beaucoup plus beaux. Mais celui-là, quand je l’ai vu chez elle, sur une chaise, transfiguré et pourtant complètement respectueux de mon travail, j’ai été ébahie.

Vous me direz : [mais elle, qu’est ce que ça lui apportait ? ] Quelque chose d’important que je vais sans doute mal exprimer. Comme les autres études, les études artistiques vous façonnent selon un moule un peu étriqué. Celui qui apprend à faire des nus à l’école des beaux-arts dessinera malgré lui selon des canons inchangés depuis des siècles, jamais un popotin un peu lourd ou des épaules un peu chétives. Le dessin du corps incline vers un académisme et tout le [vivant] du corps disparaît. Brancusi disait des nus tels qu’on les pratique à l’école : [c’est du cadavre.] Bénédicte savait très bien tout ça, et dans ses tableaux antillais, elle cherchait cette vie dans tous les détails. Ici, des pieds d’enfants un peu patauds. Une cambrure de reins presque exagérée, là des couettes volumineuses et drôles, des robes décolletées à l’excès. Et tout cela sans ironie, sans moquerie. Juste ce qu’il faut de tendresse pour ce peuple de soleil.

A ma manière, toute différente, par mon incompétence, je lui apportais quelque chose de cet ordre: des personnages mal foutus, des visages en patates bouillies, des drôles de vêtements, des personnages toujours un peu trop grands qui occupent toute la toile ; bref, des défauts qui peuvent être très intéressants, qui peuvent apporter de la vie et de la drôlerie à une composition.

Le sujet de notre premier tableau commun, Adam et Eve, était d’une très grande banalité. Nous ne voulions pas en rester là. Chacune de notre coté dans un premier temps, puis ensemble très rapidement, nous avons été d’accord sur quelques points : faire une peinture gaie, voire folle, très colorée, narrative.

Nous voulons raconter notre époque un peu dingue, et, nous avons au fil des mois, trouvé une inspiration très marrante en regardant vivre nos contemporains. Avec des couleurs intenses et un peu d’humour, nous nous sommes lancées dans l’aventure. Autrefois, les peintres racontaient aussi leur époque, par exemple des familles bien convenables dans des salons tranquilles. Mais il nous semblait qu’aujourd’hui, les familles pouvaient être, par exemple, [La Famille Decathlon] vêtue de vêtements sports et de gros baskets posant dans leur petit jardin avec le Toutou minuscule sur l’épaule du père de famille baraqué, et à coté de lui, madame, moulée dans un futal en lycra, le cheveu blond bien choucrouté, et les deux gamines en Nafnaf ou en Tati, lourdes chaussures à semelles très, très compensées. Mais une autre famille pouvait s’imaginer tout aussi bien, [Les pognons sur rue] carnassier et satisfait, une bouteille de Champagne à la main, cigare, lourds bijoux en or pour madame, les gamins grimpés sur leurs rollers, l’adolescente portant sur le monde un regard méprisant et imbécile. Nous avons aimé et peint, les modèles nus portraiturant des peintres habillés. Et aussi, une mariée bien rebondie qui portait son petit mari rose et intimidé dans ses bras, une doudou pulpeuse qui portait son mari basculé par-dessus son épaule et marchait à grands pas comme s’il était léger comme une plume. Et aussi, une déesse de la Renommée soufflant dans une belle trompette en or, avec, sur ses genoux, un petit peintre très content de lui et de ses propres tableaux qui sont autant d’auto-portraits flatteurs.
Si vous saviez comme on a ri! Chaque tableau nous dédommageait de la petitesse et de la sottise de notre époque. Mais, comme chaque peinture rendait hommage aux amoureux, aux petits enfants, à ceux qui dansent et à ceux qui rient, dans une végétation exubérante, l’ensemble nous semblait ironique sans méchanceté, et c’est exactement ce que nous voulions.

Après, nous avons continué comme ça. Nous ne nous voyons pas très souvent, ce qui étonne beaucoup les gens qui ne nous connaissent pas. Mais, chacune de notre coté, nous pensons sans cesse à nos projets. Quand Bénédicte se laisse entraîner dans les magasins par sa mère, au lieu de regarder les robes, elles regarde les femmes qui choisissent ces robes, et elle revient avec un dessin dans l’esprit. Quand nous avons des difficultés techniques, voire matérielles, nous en discutons et nous décidons ensemble. Pour les achats, dont je me charge souvent nous répartissons nos frais en trois secondes, sans jamais aucune facture, ni aucun papier. Nous fonctionnons à la confiance. Nous avons eu deux belles occasions d’exposer : près de chez nous en l’an deux mille. Nous avons eu les honneurs de la presse, la reconnaissance de certains bons peintres de la région, et un reportage sur FR3 dont nous ne sommes pas peu fières. Ensuite nous avons exposé sept grandes toiles au musée d’art brut de la halle St-Pierre pendant Juillet et Août... tout ceci se passait vers l'année 2000 et depuis, chacune de nous a repris sa vie et sa peinture personnelle...

Aglaé


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Une sacrée rencontre par Aglaé
pour francopolis avril 2010
recherche Liette Clochelune


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Créé le 1 mars 2002

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