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La marche




MARCEL. Moi, quand je marche, je pense à rien ! Mais vraiment à rien.

PAUL. Moi, c’est tout le contraire. Mon cerveau se démultiplie, il s’accélère, des idées me viennent de suite, sans avoir à les solliciter, j’aime marcher.

GEORGES. Moi, c’est dans le train, que mon cerveau vagabonde. Plus il va vite, plus mes idées s’emballent…

MARCEL. Non, pas moi, je regarde la nature, les gens, si je suis dans une rue de Paris, ma cervelle est au repos, elle enregistre, enfin, je l’imagine comme ça ! Et quand je rentre chez moi, fatigué, je repense à tout ce que j’ai vu et entendu autour de moi, c’est chouette !

GEORGES. Quand j’arrive à destination, je suis comme hébété, je sais plus où je suis. J’ai tellement voyagé dans mes idées que je ne sais plus trop qui je suis ! J’ai échafaudé tant de projets dans ma tête que j’en ai le tournis…

MARCEL. Eh bien moi, je préfère ce que je fais, fatigué, oui, mais des jambes seulement… La tête propre, sans trop d’idée que celles que j’ai collectées dans les rues ou les champs quand je suis à la campagne…

PAUL. Non, pas moi. Je sais discipliner mon esprit. Je lui mets des barrières, des sujets de travail en quelque sorte. Je m’habitue à le faire penser sur un sujet qui m’intéresse en ce moment, tenez, par exemple, ma préoccupation première est de réfléchir sur la région de France que j’aimerais visiter cet été.

MARCEL. C’est comme un lieu de travail, en quelque sorte !

PAUL. Si on veut.

MARCEL. Mais j’ai quand même un problème, mon problème, c’est qu’à force de regarder la nature, je perds l’équilibre et je me ramasse par terre… L’autre jour, j’ai pas fais gaffe et je me suis tordu la cheville à trop m’engager dans un raidillon, alors, je vous raconte pas pour remonter, d’autant que j’avais pas voulu que ma femme vienne avec moi, tout seul, le gars ! Et de retour à la maison, je me suis fait passer un savon d’avoir refusé à ma femme de venir avec moi …

GEORGES. Moi, c’est pas mieux, différent, mais pas mieux. Dans le train, à laisser vagabonder mon esprit, eh bien, j’ai laissé filer ma station où je devais descendre. Et comme c’était un train de nuit, j’ai dû prendre une chambre d’hôtel pour attendre le premier train le lendemain matin… J’étais pas heureux !

PAUL. Moi, mon problème, c’est que toutes ces idées qui me viennent comme ça, spontanément, en nombre, j’ai du mal à m’en souvenir et une fois rentré à la maison, j’ai quelques soucis à me souvenir de tout…

GEORGES. Vous devriez emporter avec vous un mini-magnétophone…

MARCEL. Un dictaphone, ça existe, j’ai vu des types, dans la rue, s’en servir, ils mettent ça contre leur bouche et ils parlent à voix base, au lieu d’écrire, ça va plus vite.

PAUL. Oui, vous avez raison, il faudrait que je me paie cela.

GEORGES. Nous sommes trois et nous avons chacun une façon différente de nous déplacer, c’est drôle, non ?

PAUL. Oui, chacun utilise le déplacement comme un moyen de locomotion intérieur, à usage strictement personnel, comme un outil à rêver…

GEORGES. Le rêve est dangereux ! Quand je pense à l’addition de l’hôtel et ma femme qui m’a fait la gueule pendant deux jours !

MARCEL. Et la mienne qui ne consent plus à me voir sortir tout seul…

PAUL. Sauf quand vous venez nous retrouver…

MARCEL. Tout à fait !

PAUL. La mienne, souvent, s‘inquiète quand je commence par lui dire, au retour d’une marche : «Tiens, j’ai pensé à quelque chose… ». Elle me répond : « Tu me fais peur avec tes idées, je m’en méfie… ».

MARCEL. Toutes les idées dérangent, finalement. Il vaut mieux faire comme moi, ne penser à rien qu’à ce qu’on voit !

GEORGES. Ou alors penser dans son lit, c’est moins dangereux !

MARCEL. On peut toujours tomber de son lit et  le parquet n’est jamais très loin…

GEORGES. Ou s’endormir tout en rêvant. Le pied !

PAUL. J’admire tous ces grands marcheurs, je pense à l’écrivain Lanzman qui fait le tour du monde en marchant !

MARCEL. Moi, je préfère regarder la Télé, les émissions comme …

GEORGES. C’est pas la même chose, où est l’effort ?

PAUL. L’effort d‘appuyer sur la touche de la télécommande !

MARCEL. Oui, j’ai mal aux pieds, la marche, faut pas que ça dure trop longtemps.

GEORGES. Le mieux, au fond, c’est de marcher dans sa tête…

PAUL. Ou de lire des récits d‘aventures, Jack London…

GEORGES. Au-moins on ne risque pas d’avoir des engelures…

PAUL. On est tous partisan du moindre effort !

GEORGES. Devant l’effort, c’est fou comme on se découvre intellectuel !

MARCEL. Parce que la civilisation est devenue comme ça. Pendant l’Occupation, mes parents – quand on y pense – fallait voir tous les kilomètres qu’ils parcouraient, à pied, en métro, en vélo, – surtout en vélo – tout ça pour aller chercher quelques kilos de patates, un poulet famélique ou faire la queue pendant toute une matinée chez l’épicier avec leurs tickets de rationnement…

PAUL. On a tous connu ces moments de privations.

GEORGES. À la campagne, c’était moins.

MARCEL. Bien sûr ! Les poules, elles pondent pas dans les rues et les champs, à Paris, j’en ai pas trop vu, il faut l’avouer !

GEORGES. Oh, il y avait bien les balcons…

MARCEL. Vous avez déjà essayé d’élever un cochon sur votre balcon ?

GEORGES. Non, pas vraiment !

PAUL. Moi, pas davantage !

MARCEL. J’ai connu des amis de mes parents qui avaient élevé poules et lapins sur leur balcon, le problème, c’était les gloussements que les voisins auraient pu entendre…

PAUL. Et à cette époque-là, les gens étaient capables de tout, de monter chez vous et de vous faire un mauvais coup et de rafler votre élevage. Il fallait se méfier de tout et de tous…

GEORGES. Et un cochon ça s’entend et, en plus, ça sent fort…

PAUL. À moins de le laver tous les jours.

MARCEL. J’imagine la scène !

GEORGES. Oui, mais la joie de la tranche de jambon dans l’assiette ! Ça méritait de prendre de gros risques !

MARCEL. Aujourd’hui on a tout sous blister !

PAUL. Polyphosphate, quand tu nous tiens !

MARCEL. À l’époque on n’était pas gros ! Polyphosphate, cholestérol, diabète étaient inconnus au bataillon…

PAUL. On n’avait pas le mal d’ajouter des pièces à ses pantalons parce qu’on avait pris cinq centimètres de tour de taille, comme aujourd’hui…

MARCEL. Pas de risques. Sauf, quand je vois les photos de mon père au moment du Front populaire et celles prises après la guerre…

GEORGES. Y a pas photo !

MARCEL. Enfin, si, il y a photo, car au moment du Front populaire, il a de bonnes joues et à la Libération on le reconnaît à peine avec ses joues creuses !

PAUL. Mais sans cholestérol !

MARCEL. Non, mais avec la tuberculose !

PAUL. Ah !

GEORGES. À la place, je préfère les trucs d’aujourd’hui.

PAUL. Les extrêmes se rejoignent. L’obésité aujourd’hui et la tuberculose, hier…

GEORGES. Pour rien au monde je voudrais recommencer ces années-là…

MARCEL. S’il le fallait, on le ferait, non ?

PAUL. Sûr !

GEORGES. Mais le plus tard possible ! Les régimes secs, c’est supportable quand on n’a rien connu auparavant, alors, un peu plus un peu moins...

PAUL. Mais comme nous maintenant, gros et gras, trop bien nourris, c’est impensable ! C’est la mort assurée.

MARCEL. Ou alors, il faut se mettre au régime dès ce soir, pour se préparer…

GEORGES. Si c’est une plaisanterie, elle n’est pas drôle ! Pour conjurer le mauvais sort, je vous invite à boire un coup au café d’en face.

MARCEL. Toujours ça que les ennemis n’auront pas !

PAUL. Les ennemis, mais lesquels ?

MARCEL. Évidemment, si on n’a pas d’ennemis, c'est inutile de se lancer dans un régime amaigrissant !

MARCEL. Je ne vous le fais pas dire !



 

Michel Ostertag
pour Francopolis novembre 2006



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Créé le 1 mars 2002

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