Les rêves
GEORGES. Notre ami Paul semble avoir mal
dormi… Vous ne trouvez pas les amis ?
PAUL. Oui, c’est vrai. Cette nuit, je n’ai pas
cessé de rêver. D’ailleurs, c’est fou ce que je peux
rêver depuis quelque temps…
GEORGES. À ce point ?
PAUL. Oui, j’ai l’impression de rêver
toute la nuit, que mon sommeil n’est qu’une longue suite de rêves.
MARCEL. Avez-vous essayé de les noter
à votre réveil ?
PAUL. Non, et puis il y aurait trop à
écrire.
MARCEL. Moi, ce qui m’arrive parfois, c’est un
rêve particulièrement agréable que je quitte, comme
ça, brutalement… je me réveille… je repense à ce
que j’ai rêvé et je n’ai qu’une envie, y retourner…
GEORGES. Et ça marche ?
MARCEL. Pas souvent, mais des fois, oui, je
réussis à revenir dans mon rêve et à le
continuer.
GEORGES. Ça, c’est fort !
PAUL. Moi aussi, ça m’arrive, surtout
quand je rêve que je suis à-côté d’une jolie
femme…
GEORGES. Oui, je vois !
PAUL. Mais pas uniquement ! Ça peut
marcher pour un autre rêve, un rêve où je gagne
beaucoup d’argent !…
MARCEL. Là, c’est obligatoire d’y
retourner !
PAUL. Oui, mais la désillusion quand on
se réveille. Je me rappelle avoir rêvé une nuit
qu’un type, un caissier, j’imagine, me faisait endosser un gros
chèque à mon nom et, dans le rêve, je ne savais
plus comment était ma signature, je cherchais, je griffonnais,
sans succès…la panique… j’étais en sueur… je me
réveille… en transe…
MARCEL. On s’en doute !
GEORGES. Et alors ?
PAUL. Alors là, j’ai pas
hésité une seconde, pas question de me retourner dans le
lit, de me lever pour aller au petit coin, ou d’écouter la radio
avec mon oreillette, non, rien de tout cela, et aussi sec, j’ai
replongé dans mon rêve…
MARCEL. Et vous avez réussi à le
retrouver ?
GEORGES. C’est toujours périlleux, ces
trucs-là sont volatils…
PAUL. Oui, mes amis, je me suis
retrouvé au même endroit, avec mon stylo et mon
chèque que le caissier après avoir vérifié
la signature me tendait avec au visage un large sourire. Je prends ce
chèque dans la main et au moment où je le portais
à mes yeux pour prendre connaissance de la somme marquée
dessus, je me réveillais de nouveau !
MARCEL. Je parie que vous l’avez
cherché…
PAUL. C’est vrai, pourquoi le cacher, je me
suis tâté partout, en vain, bien sûr !
MARCEL. La déception a dû
être terrible !
PAUL. Oui. Je ne me suis pas rendormi de toute
la nuit. Je me suis mis à gamberger sur mes finances, sur les
économies que je devrais commencer à faire… vous voyez le
genre !
MARCEL. Ça, c’est un truc à y
penser toute la journée !
GEORGES. Et à vouloir y retourner
à chaque fois qu’on s’endort…
MARCEL. Bonjour, le suspense !
PAUL. Ça vous donne surtout un bon coup
de blues quand on sait que vos finances ont dû mal à finir
le mois.
MARCEL. Vaut mieux rêver de la campagne
et de la cueillette des champignons ! …
PAUL. On ne choisit pas ses rêves, c’est
bien là le problème.
GEORGES. Moi, quand j’étais à
l’école, je me rappelle un problème que le maître
nous avait posé… impossible de trouver la solution…je me suis
endormi avec et dans un rêve, je ne sais plus comment, j’ai
rêvé la solution !
MARCEL. Et c’était la bonne solution ?
GEORGES. Oui, c’était la bonne
solution. Et j’étais le seul à l’avoir trouvée !
MARCEL. La gloire !
PAUL. Souvent les rêves sont
prémonitoires.
MARCEL. Généralement pas de
bonnes choses…
GEORGES. Une fois dans ma vie, je me suis
trouvé au chômage… Du boulot, il n’y en avait plus,
c’était après Mai 68, les usines fermaient, des faillites
partout… les bureaux de placements, c’était pas comme
maintenant, le chômage, on n’était pas habitué… eh,
bien une nuit – il faut dire que je me faisais pas mal de soucis,
marié avec deux enfants – j’ai fait un rêve et, dans ce
rêve, on me conseillait d’écrire à une
société qui embauchait du personnel. Incroyable, non ?
J’ai écrit, dès le lendemain matin. Trois jours
après je recevais une réponse me demandant de me
présenter au chef du personnel. Je fus pris et j’y suis
resté près de dix ans. Quand le chef du personnel m’a
demandé comment j’avais connu la société, je n’ai
jamais osé lui avouer que c’était grâce à un
rêve que je m‘étais présenté à lui.
MARCEL. Insolite, cette histoire.
GEORGES. Et pourtant vraie.
PAUL. Ah ! et puis, quand on quitte son
travail, une fois en retraite, c’est fou ce qu’on peut rêver de
ses anciens collègues de boulot, pas toujours dans les
mêmes lieux où on les a fréquentés, non,
ailleurs, mais ce sont bien eux, à croire qu’ils font partis de
notre famille…
MARCEL. En quelque sorte, oui !
GEORGES. Tu m’étonnes, qu’à ce
train-là, on soit fatigué, le matin, en se
réveillant, quelle vie !
PAUL. On était moins fatigué
quand on travaillait pour de vrai !
MARCEL. Moi, je préfère
maintenant… pour la sieste… la nuit a été courte,
qu’à cela ne tienne, j’ai la sieste pour récupérer.
GEORGES. Ça, c’est bien vrai…
voilà un réel avantage !
Marcel. Les syndicats devraient réclamer le droit à la
sieste pour tous…
PAUL. Les fonctionnaires déjà
qu’ils ne passent pas pour des bourreaux de travail…C’est pour le coup
qu’ils seraient détestés des autres travailleurs.
MARCEL. À la poste : «
Excusez-moi, j’ai mon quart de sieste à faire, je rouvrirai mon
guichet une fois celle-ci terminée… » Oh ! le bordel !
GEORGES. Le conducteur d’autobus, en plein
carrefour : « Mesdames et Messieurs, une minute d’attention de
votre part… C’est mon quart d’heure de sieste, je vous demanderais de
bien vouloir prendre patience, des journaux sont à votre
disposition pendant ce laps de temps… Je vous demanderai le plus grand
silence pour la qualité de mon repos.»
MARCEL. Moi, je me suis toujours
demandé pourquoi je ne rêvais jamais en couleur…
GEORGES. Moi, de même.
PAUL. J’ai lu que Picasso rêvait en
couleurs, il voyait des formes, des couleurs…
MARCEL. Alors là, je comprends mieux
certaines de ces peintures…Elles devaient provenir de cauchemars
plutôt que de rêves agréables, non ?
PAUL. C’est vrai, expliqué comme
ça, tout s’éclaire chez lui… Si les peintres voient des
couleurs – ce qui semblerait normal – les musiciens devraient avoir des
rêves musicaux.
GEORGES. Le type doit se coucher en prenant la
précaution d’avoir près de lui feuilles de musique et
crayon affûté.
PAUL. Je ne crois pas trop à ces
rêves spécifiques par métier : l’un en couleur,
l’autre en musique, le dernier en paroles… Non, il n’y a rien
d’assuré dans ce domaine…
Quant à moi, je rêve toutes les nuits, au point qu’il y a
des soirs où j’angoisse à l’idée de m’endormir. Je
retarde au maximum l’heure de me coucher et les dernières
émissions de la télé sont pour moi.
MARCEL. On peut aussi se gaver de
somnifères…
PAUL. J’aime pas trop les sommeils artificiels.
MARCEL. Oublier ses rêves, n’y plus
penser. Ou rêver ses rêves, c’est peut-être ça
la solution… imaginer ses rêves, les fabriquer soi-même,
à sa guise…
PAUL. Je vais essayer !
MARCEL. Je ne garantis rien, je n’ai jamais
essayé moi-même…
PAUL. Je vous tiendrai au courant si ça
marche !
GEORGES. Moi, je devrais travailler la
question pour trouver les bons numéros du Loto, à part
une fois, oh ! une somme de cent francs, je n’ai jamais gagné
à ce jeu… Ah ! si je pouvais découvrir quatre ou cinq
numéros, ça serait déjà un bon début…
MARCEL. Et moi, le tiercé gagnant !
GEORGES. On va tous passer notre vie au lit,
à dormir… le premier qui a rêvé les bons
numéros prévient les autres…
MARCEL. Ça serait chouette, non ?!
PAUL. La richesse vient en dormant.
MARCEL. Peut-être que celui qui a dit
ça le premier, il est devenu riche comme ça !
GEORGES. Oh sûrement ! Il y a trop de
vérité la dedans.
MARCEL. Il suffit d’un seul rêve, pas
deux, pour gagner le tirage spécial du Loto. Après, je le
jure, je ne dormirai plus du tout, enfin, juste ce qu’il faut pour
vivre.
PAUL. Ça fait du bien de rêver,
non ?
MARCEL. … surtout en plein jour !
GEORGES. Ça serait bête si,
à la suite de tout notre travail, le résultat n’est pas
bien ajusté…
MARCEL. Comment ça ?
GEORGES. Eh, bien oui, que je rêve en
musique, que Paul rêve en couleurs et vous, Marcel, en paroles…
MARCEL. On serait pas dans la m…
PAUL. Adieu, le Loto.
PAUL. Ou alors il faudrait que je me mette
à la peinture…
GEORGES. Et moi à la chanson !
MARCEL. Non, il faut pas procéder comme
cela. On devrait nommer un de nous trois
«expérimentateur de rêves organisés ».
Et c’est seulement après, s’il y a échec, qu’un autre
serait nommé pour continuer l’expérience. Vous comprenez…
PAUL. Je comprends surtout que ce n’est pas
gagné d’avance.
GEORGES. La nuit appartient aux audacieux.
MARCEL. Et à ceux qui se lèvent
tard !
PAUL. Ayons confiance, mes amis ! Le gros lot
du Loto, peut-être pas tout de suite… pour commencer une petite
cagnotte nous suffirait, histoire de se payer l’apéro le midi
sans bourse déliée… Bon, je veux bien essayer, dès
la nuit prochaine, j’entre en expérience.
MARCEL. On vous aidera moralement avant de
dormir…
GEORGES. Ce qui serait drôle, c’est que
dans chacun de nos rêves, on se retrouve tous ensemble…
Michel Ostertag
pour Francopolis septembre 2006
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