Hérédité
Trilogue
PAUL. Vous qui connaissez bien le quartier
de l’église Saint-Gervais, vous savez que l’hôtel de
Beauvais est à nouveau ouvert, la restauration est
terminée.
GEORGES. C’est pas trop tôt, depuis
tant d’années...
MARCEL. Je me rappelle plus comment c’est
fichu à l’intérieur…
PAUL. La rotonde à
l’intérieur est somptueuse, la famille Mozart y a vécu au
temps de Louis XVI.
GEORGES. Oui, je me souviens de la plaque
sur la gauche quand on entre.
PAUL. Maintenant c’est la Cour d’appel de
Paris. En discutant avec le concierge, il y a une dame qui était
là et qui nous a dit qu’après la guerre il y avait une
clinique d’accouchement ouverte au fond de cette cour ovale… Curieux,
non ?
GEORGES. C’est vrai, j’ai un ami
d’école qui est né dans cette clinique, je m’en rappelle
bien. Il nous bassinait tellement avec cette histoire « Moi, je
suis né chez Mozart, à l’Hôtel de Beauvais …
» Dans la cour de récréation, il nous racontait
cela pour exciter notre curiosité, mais nous, tu parles, on s’en
foutait pas mal ! D’abord Mozart, on ne savait pas qui c’était,
un musicien, tout au plus, et encore… Je l’ai revu des années
après.
MARCEL. Et qu’est-ce qu’il était
devenu ?
PAUL. Musicien. Il est premier violon dans
l’orchestre de l’Opéra de Paris.
MARCEL. Ah oui ! Quand même ! Mozart
s’est peut-être penché sur son berceau, qui sait ?
GEORGES. Assurément !
PAUL. Ne dites pas de bêtises, cela
ne veut strictement rien dire…
MARCEL. Et pourquoi que ça ne
voudrait rien dire !?
PAUL. C’est simple. Regardez tous les
enfants qui sont nés dans les hôpitaux, dans les services
de Maternité…
MARCEL. Oui, et alors, je ne vois pas le
rapprochement…
PAUL. Tous ne deviennent pas
médecins, ou sages-femmes ou infirmières, ça se
saurait, non ?
MARCEL. Oui, effectivement.
GEORGES. Oui et non ! Prenez les familles
de polytechniciens, un étudiant à bicorne sur deux vient
d’une famille de polytechnicien, étrange, non ! Et je ne parle
pas des notaires, fils et petit-fils de notaires… Mon dentiste
était fils d’une dentiste…
MARCEL. Et les pharmaciens…
GEORGES. Et maintenant les acteurs,
à croire que pour devenir comédien il faut avoir un
père ou une mère déjà en place sur les
planches ou devant la caméra…C’est inquiétant cela, non,
vous ne trouvez pas ?
MARCEL. Mais c’est normal, le type qui a
été polytechnicien, il a son bicorne exposé sous
un globe sur le buffet de sa salle à manger. Le môme, tout
petit, il regarde, il admire ce truc bizarre alors qu’est-ce qu’il
fait, il demande, il pose des questions à son père.
Celui-ci s’imagine de suite que son rejeton s’intéresse à
la chose polytechnicienne, il l’emmène aux défilés
du 14 juillet et comme il est haut placé, il a des places
réservées dans une tribune officielle, alors le mouflet
ouvre des yeux comme des quinquets et il murmure à l’oreille de
son papa, en extase : « Plus tard, c’est ça que je veux
devenir… ». Trop tard pour faire machine arrière, le gosse
s’est lancé tout seul dans le tourbillon infernal.
GEORGES. Qui va le mener de classe en
classe à être premier à chaque composition
trimestrielle, en math surtout…
MARCEL. Le pauvre ! Tout ça pour
porter au défilé du 14 juillet le fameux bicorne…
GEORGES. Pour le fils de notaire, ça
doit être le même scénario : le père qui
entre le soir avec une valise pleine de vieux dossiers
poussiéreux, d’actes écrits à la plume de ronde,
ce qui émerveille le gamin, rien que pour ça il veut
imiter son père…
PAUL. Sans savoir qu’il aura à sa
disposition un ordinateur qui lui évitera de se salir les doigts
avec l’encre de Chine…
MARCEL. Moralité, ne laissez chez
vous aucune trace de votre métier quand vous avez des enfants…
GEORGES. Rentrez chez vous les mains dans
les poches…
PAUL. Dans le cas de Mozart, c’est quand
même pas Mozart lui-même qui est venu lui apprendre la
musique, ou alors je deviens fou…
GEORGES. Pas besoin !
PAUL. Comment ça, pas besoin,
expliquez-vous !
GEORGES. Sa mère lui a tellement
répété, à satiété, qu’il
était né sous les hospices de Mozart, que le petit
bonhomme en grandissant s’est intéressé au musicien, a lu
sa vie, se l’est appropriée en quelque sorte et sa mère
voyant l’intérêt du gamin pour le musicien l’a conduit
tout naturellement à un cours de musique, voilà comment
s’est écrite l’histoire…
MARCEL. Vous croyez ?
GEORGES. J‘en suis sûr !
MARCEL. Moi, mon père, il n’avait
pas de métier fixe, « trente-six métiers,
trente-six misères » qu’il disait, alors, mon exemple n’a
pas été ceux que vous racontez. Il n’empêche, pour
être franc avec vous, à cette époque, il y avait un
voisin qui habitait en face de chez nous. Ce type-là
était plombier-chauffagiste et comme chez nous il faisait plus
souvent froid que chaud, j’allais souvent traîner mes bottes dans
son atelier, histoire de le voir souder des bouts de tuyaux, la flamme
vive me donnait l’illusion de me réchauffer et un jour,
où il était plus particulièrement bien luné
– c’était pas toujours le cas – il m’a tendu le fer à
souder et il m’a montré comment il faisait. Ça m’a plu.
Quand l’âge de choisir un métier est arrivé, sans
hésité, j’ai dit plombier-chauffagiste en pensant au
voisin. C’était pas plus bête que ça ! J’ai fait
mon apprentissage chez lui, une fois mes trois ans de fait, je suis
parti à l’armée, à mon retour, j’ai
travaillé chez d’autres patrons et quand j’ai sus qu’il voulait
prendre sa retraite, j’ai racheté son atelier…
GEORGES. La boucle était
bouclée.
PAUL. Donc, on a toujours un Mozart qui se
penche sur son berceau, musicien ou plombier…
MARCEL. Sur son berceau ou un peu plus tard.
PAUL. Notre destin est lié à
notre environnement. Né dans un quartier populaire, je
deviendrai ouvrier ; chez les notables, je deviendrai à mon tour
un notable…
GEORGES. Le lieu de naissance ouvre
certaines portes et en ferme d’autres.
PAUL. Ce que vous dites est terrible ! Je
refuse cette prédétermination !
GEORGES. Et vous avez raison, mon ami !
D’Alembert, enfant trouvé sur les marches d’une chapelle de
Notre-Dame de Paris est bien devenu ce qu’il a été, seul…
PAUL. Qu’est-ce qu’on en sait !
GEORGES. La femme qui l’a trouvé
était femme d’un vitrier… Donc rien qui pouvait penser qu’il
deviendrait un jour académicien, encyclopédiste…
PAUL. Oui, mais il a été
placé dans un collège où son esprit a
été formé aux grandes disciplines.
GEORGES. L’école corrige les erreurs
dues à la naissance…
PAUL. Pour ceux qui sont aptes à
recevoir cet enseignement. Pour les autres, une fois la chance
passée…
GEORGES. La vie ne repasse pas deux fois
les mêmes plats…
MARCEL. J’en ai bien peur ! Pour moi, la
chance de la retraite, j’ai su la prendre, sans un jour de trop,
croyez-moi, et j’ai pas eu besoin de prendre des cours du soir !
PAUL. Moi de même ! Sur ce
plan-là, nous avons tous la même
hérédité ! Mozart ou pas…
MARCEL. Et sans avoir appris la moindre
note de musique !
Michel Ostertag
pour Francopolis février 2006
Vous voulez nous envoyer des billets d'humeur?
Vous
pouvez soumettre vos articles à Francopolis? par courrier
électronique à l’adresse suivante :
à sitefrancopcom@yahoo.fr.