Trilogue
La passion des trains électriques
par Michel Ostertag
GEORGES. Je connais un vieux monsieur qui collectionne
les trains électriques. Chez lui, il en a une bonne
dizaine ! Curieux ?
PAUL. Pour son fils ou ses petits-fils ?
GEORGES. Non, jamais eu d’enfant, veuf.
MARCEL. Il est resté en enfance, le papy !
PAUL. Et si c’était cela le vrai bonheur ! Et
puis, il faut bien avouer que c’est distrayant, ça va, ça
vient, ça déraille…
MARCEL. Le temps passe plus vite. On peut inviter des copains de son âge à venir nous rejoindre.
GEORGES. Ça doit être un peu toujours la
même chose, sans imprévu, les trajets sont les
mêmes, les gares connues à l’avance…
PAUL. A moins de déplacer les rails…
GEORGES. … S’installer dans le jardin, en été, à l’ombre d‘un tilleul…
PAUL. Pourquoi un tilleul ?
GEORGES. Comme ça, car j’ai chez moi un tilleul !
PAUL. Et un train électrique ?
GEORGES. Du tout !
MARCEL. C’est vrai que les vieilles personnes n’ont plus
de jouet, comme s’ils avaient honte de jouer. Le seul contact qu’ils
peuvent avoir avec un jouet, c’est quand ils sont grands-parents, au
moment de Noël, mais le reste de l’année, c’est l’ignorance
totale de cette chose unique, le jouet, qui les ont tellement fait
rêver et si longtemps empêcher de dormir.
PAUL. On a dit que le vrai jouet de l’homme adulte était la
voiture, la magie qu’elle opérait sur les esprits des mecs, leur
attachement, leur passion…
GEORGES. …Et peu y résistent vraiment. Certains se damneraient pour une voiture.
MARCEL. Pour certains, la voiture passe avant toute autre chose, y compris de leur propre femme !
PAUL. Il ne faut pas exagérer ! Pour moi, j’ai
donné toujours plus d’importance aux femmes qu’aux voitures !
C’est un reproche qu’on m’a fait souvent ! Non pas de
m’intéresser trop aux femmes plutôt qu’aux voitures mais
de trop m’intéresser aux femmes, tout simplement !
GEORGES. Oui, je vois !
PAUL. Mais revenons aux jouets ! Dans le monde actuel,
il ne manque pas de jouet pour les grands: internet,
téléphone mobiles avec Sms, Mms, vidéo
incorporée et que sais-je encore, forfait illimité, wifi !
MARCEL. C’est vrai, si avec tout cela le bonhomme
n’arrive pas à se distraire, à passer sa retraite, les
oreilles et les yeux grands ouverts, c’est pas un type d’aujourd’hui.
Et votre voisin, vous y êtes allé souvent jouer avec ses
trains ?
GEORGES. A chaque fois qu’il fait sauter les plombs.
L’installation est très ancienne, les trains en
déraillant font sauter la lumière, alors il vient me
chercher affolé. J’arrive avec ma boîte de fusibles, je
monte sur l’escabeau et lui remet tout cela en état. Et à
chaque fois, il m’assure qu’il devrait faire venir une entreprise pour
lui refaire son installation en entier. Mais rien jamais ne se passe.
Bah ! C’est son affaire, moi ça ne me dérange pas, je
suis toujours prêt à rendre service.
PAUL. N’oublions pas, non plus, toutes ces personnes, vieilles ou
jeunes qui sont des collectionneurs passionnés de trente-six
trucs pas croyables : boîte de camembert, poupées russes,
BD de Tintin…
GEORGES. Alors là, la France est le plus grand
pays de brocante de l’univers tout entier ! Au point, au moment de la
disparition du collectionneur, ses héritiers sont devant un vrai
dilemme : Que doit-on faire de tout cela ?
PAUL. Certains jettent tout à la benne.
GEORGES. Oui, c’est vrai j’ai connu cela, mais il y a
fort longtemps, car aujourd’hui les nouvelles générations
sont trop au courant de la valeur marchandes des objets, beaucoup vont
sur ebay se renseigner du prix des objets et regardent à trois
fois avant de jeter, à mon avis, ils choisiraient plutôt
la revente sur certains sites.
MARCEL. Le seul frein au collectionneur, car souvent ils
ne connaissent aucune limite à leur passion, c’est le manque de
place. La femme est comme une gardienne des lieux d’habitation, les
enfants et leurs chambres aussi. Alors, le pauvre homme est contraint
de s’exiler à la cave, au garage, au grenier ou alors revendre
tous les ans, façon « vide grenier » et ça,
ce n’est pas tellement son truc, il faut bien l’avouer…
PAUL. Le jouet d’enfance, c’était quand
même bien : pas tout ces tracas. Seul le jeu, uniquement le jeu.
Le jeu est rien d’autre ! Ne pas jouer avec le jouet offert par les
parents, impensable !
GEORGES. Et puis, il faut bien l’avouer, la survie du
jouet n’est pas extraordinaire, dans les semaines qui suit
Noël, il y a souvent disparition corps et bien de l’objet !
MARCEL. Vous êtes généreux ! J’ai
connu des jouets qui ne dépassaient pas la journée de
Noël ! Démantibulé, haché, cassé, les
orbites vides, des doigts en moins.
GEORGES. Un Noël j’avais acheté une
imprimerie rotative, une machine qui me semblait intéressante,
on pouvait imprimer sur des feuilles des figurines, des dessins,
peut-être même des textes.
PAUL. Et alors ?
GEORGES. Impossible de la monter et encore moins de la
faire fonctionner ! Toute la journée de Noël à
bidouiller les pièces, à lire et relire le mode d’emploi,
en vain ! Déception total de ma fille. Et encore aujourd’hui,
quarante après, on y repense quelquefois ! Le carton, bien
rangé sur une armoire a trôné pendant très
longtemps, enveloppé, à l’abri de la poussière.
MARCEL. Triste destin, échec de la technologie !
PAUL. Aujourd’hui, la technologie a pris sa revanche,
c’est affolant, pour faire son choix, on a intérêt
à avoir fait une grande école d’ingénieurs pour ne
pas se tromper !
GEORGES. Ou alors bien se renseigner auprès de ses amis.
MARCEL. Eh bien moi, je vais de ce pas monter dans mon
grenier voir si je ne retrouve pas un des mes anciens soldats de plomb
que j’aurais gardé dans une de ces boîtes à
chaussures de ma jeunesse! Quelle aventure, ça va être !
PAUL. Il suffit que nous parlions de jouets et nous voilà tous retournés en enfance ! Elle n’est pas belle la vie !
Trilogue
par Michel Ostertag
pour Francopolis janvier 2012
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