Brèves de
conversations I
MARCEL
et GEORGES
MARCEL. Tu parles d’une déveine, au
moment où mes tomates commencent à pousser, j’attrape un
de ces mal de dos, j'te dis pas, je vais être obligé
d’aller acheter mes fruits et légumes à la
Supérette du coin, comme tous ces parisiens qui ne distinguent
pas un melon d’une pastèque…
GEORGES. Bien sûr, la plage, en été, le soleil, les
belles filles les seins nus et le bronzage assuré, c’est
chouette, je dis pas le contraire, mais reviens un peu une fois les
vacances terminées, en octobre, tiens, et là, tu verras
du changement, les boutiques toutes fermées, les plages
abandonnées, les belles filles, où ce qu’il en reste,
habillées chaudement, promenant leur toutou, c’est plus la
même photo, le vent sur la mer démontée, et puis la
pluie fine qui commence à envahir tes journées, tu fais
moins le malin, la boîte où tu allais draguer le soir,
hé bien, elle est fermée ! Le rideau de fer est
baissé, tu veux que je te dise, on se croirait dans une ville
morte, la peste y serait passée que ça ne serait pas
différent !…
MARCEL. J’en ai marre de ce cabot, c’est pas le mien, c’est celui de ma
sœur, elle me l’a confié le temps des vacances, il me fait
tourner en bourrique toute la journée, vivement qu’elle revienne
de son île lointaine et, de plus, ça me coûte cher,
les boîtes de ci, les boîtes de ça, tu peux
pas imaginer ce que ça peut becqueter un chien comme ça,
une vraie ruine ! Et puis, elle va pas me rembourser, car ma frangine,
pour sa frimousse, oui, pas de problème, on se paye des petites
vacances dans les îles au soleil, pas de souci, elle sait
le faire, refiler son chien à son petit frère, elle sait
faire aussi, mais pour le rembourser, alors, mon pote, ça va
être la croix et la bannière, je sens ça !
MARCEL. Regarde-moi cette tente, comment elle est montée, un
vrai nid à chien, tu sais même pas où est le devant
du derrière, j’te jure, j’en ai marre ! À chaque
été, c’est la même chose, je ne sais pas ce que
j’ai fait ou pas fait au bon Dieu, mais c’est sur moi que ça
tombe. L’année prochaine, j’te jure, je fais des
économies toute l’année et je me paie une location au
bord de la mer, dans une vraie chambre, avec de vrais murs, une vraie
salle de bains, un vrai lit, je le jure à la face du monde. J’en
ai tellement marre de cette vie de m… dans un camp de camping glauque,
et puis quand tu vois la gueule de ceux qui sont autour, tu as envie de
fuir, j’ai pas raison ? Et si, pour comble de malheur, il pleut, je me
flingue, j’te jure, je me tire une balle dans la tête…
MARCEL. D’accord, la nouvelle secrétaire de Mairie est
aguichante, quand tu vois sa poitrine, sa bouche, ses jambes… L’autre
jour, à la cafétéria, je les ai remarquées,
ses jambes, quand tu vois tout ça, hé bien ! mon vieux, y
a des fois où tu te surprends à avoir des idées,
je te dis pas !…J’ai pas honte à le dire…
GEORGES. Oui, tout à fait d’accord avec toi, mais il
n’empêche qu’elle ne peut pas taper trois lignes sans faire une,
voire deux fautes de frappe quand ce ne sont pas des fautes
d’orthographe… Le Maire m’a montré, l’autre jour, une des ses
lettres qu’elle venait de taper… Bon, d’accord, un beau cul, c’est
mieux à voir que la mère Suzanne, à la caisse avec
ses cent-vingt kilos, mais quand tu dois signer un courrier et que la
moitié des lettres sont à retoucher, je dis : Pas
d’accord !
MARCEL. Oh, tu manques de poésie !
GEORGES. Peut-être, tu iras dire cela au Maire, quand elle sera
convoquée dans son bureau…
GEORGES. Mes enfants, petits, ils ont été adorables, la
nuit pour la nuit, le jour pour le jour, jamais de pleurs, le biberon
bien pris, jamais de renvois, des anges ! Quand ils ont commencé
à marcher, pareil, obéissants à ma femme comme
à moi. La dame qui venait les garder les trouvait les plus
charmants du monde, et polis avec ça, amiteux au possible
cherchant le câlin pour un oui ou un non…
MARCEL. Et alors ?…
GEORGES. C’est quand ils sont allés à l’école que
les choses ont vraiment changé, presque du jour au lendemain…
Et au fil des mois, ils sont devenus de vrais diables, à croire
qu’ils voulaient nous faire payer ce qu'ils avaient
été les années précédentes... Avec
les intérêts !"
MARCEL. C’est pas juste !
GEORGES. L’autre jour, dans le train de banlieue, deux jeunes
discutaient, la vingtaine, l’un dit à l’autre : « Tu ne
peux pas t’imaginer le trac, la trouille que j’ai depuis un bon mois,
à l’idée de repasser le concours de Ière
année de médecine… Tu sais que je l’avais loupé
l’année dernière et qu’on ne peut le repasser qu’une
fois, ce concours, autrement dit, si cette fois je le rate, c’est foutu
pour moi… Le drame pour moi mais aussi pour mon père,
médecin comme tu sais et ma mère, pharmacienne, la honte
que je vais leur foutre, je fous le camp à l’étranger,
c’est promis ! Je disparais, je me fais ignorer ! »
MARCEL. Le mois dernier, ma femme et moi, nous sommes allés
rendre visite à des cousins dans la Nièvre… Au
marché, le temps de faire la queue, il y avait du monde, j’ai
entendu deux types qui discutaient entre eux : l’un disait à
l’autre : « Regarde-moi, cette prétention des parisiens
avec leur Tour Eiffel, leur Sacré-Cœur, leur Notre-Dame de
Paris, bien sûr, qu’elle est de Paris, leur Notre-Dame, elle
n’est pas d’Agen ou d’Orléans, ça se saurait, non ! Et
nous, pauvres idiots de province, qu’est-ce qu’y nous reste ? Ah, oui,
je vois, notre accent, pour sûr ! Et oui, notre accent, c’est
notre drapeau et c’est pour cela que je n’aime pas ceux qui font tout
pour le perdre, leur accent. Est-ce que les Parisiens, ils oublient
leur Tour Eiffel ? Penses-tu, ils n’arrêtent pas d’en parler de
leur amas de ferrailles, alors, nous, notre accent, il faut qu’on le
garde, coûte que coûte. »
Et moi, la-dessus, j’ai rien dit, j’ai à peine parlé de
peur qu’ils découvrent que j’étais parisien !
GEORGES. Les maisons solaires, j’aimerais bien en avoir une, c’est
vrai, au-lieu de filer mon fric à la Cgt d’Edf à-travers
mes factures, tu penses que un ou deux pour cents filent dans leurs
poches pour le CE, ils peuvent se pavaner dans leurs maisons de repos
et la retraite à 55 ans, voire 50 ans sur la base des six
derniers mois de salaires, quand moi, ils vont me la calculer, ma
retraite, sur les 25 meilleures années, « meilleures
» années, tu parles, à vingt piges, vu ce que je
gagnais, t’as qu’à voir ! La maison solaire, ça me
permettrait de ne plus donner mon fric à toute cette bande de
profiteurs, tu comprends, mais je ne trouve pas qu’elles sont belles,
ces maisons, qu’est-ce qu’en t’en penses, toi ? Franchement, elles sont
tarabiscotées, t’as pas envie de vivre dedans, je me trompe ?
MARCEL. Alors, finalement, tu préfères filer ton fric
à la Cgt et vivre dans un décor qui te plaît, c’est
ça ?
GEORGES. Ben, oui, c’est ça, mais ça m’emmerde, tu ne
peux pas savoir !
GEORGES. La semaine dernière, nous avons été
invités, ma femme et moi, à un mariage, un couple d’amis.
A notre table, un Monsieur dans nos âges qui commentait son
départ en retraite en disant : « Vous ne pouvez pas
imaginer une seule seconde, mes chers amis, l’étonnement qui fut
le mien quand j’ai pris ma retraite de professeur d’Université.
Comme vous le savez, (moi, je l’ignorais !) je fus un des meilleurs
spécialistes de l’époque médiévale et
pendant plus de trente ans j’ai enseigné cette discipline dans
les universités de mon pays, hé bien, devinez que le jour
de mon départ en retraite, mes collègues mais aussi le
personnel administratif n’ont rien trouvé de mieux que de
m’offrir un tondeuse à gazon sous prétexte que je leur
avais parlé, un an auparavant, de mon désir
d’acquérir une maison de campagne… Vous m’imaginez, moi,
poussant un tel engin ! Je ne sais toujours pas si cette machine
fonctionne à l’essence ou à l’électricité…
Ah ! Oui, la tête que j’ai fait en déchirant le papier
qui l’entourait. Et moi qui pensais qu’ils m’auraient offert une
édition rare dont je rêve depuis tant d’années.
»
GEORGES. Mon rêve quand j’étais jeune et que j’apprenais
la musique, c’était de devenir grand musicien et de composer la
suite des œuvres des grands musiciens morts tout jeune, comme Chopin ou
Schubert… Oui, tous ces gens n’ont pas eu le temps de composer
l’intégralité de leur œuvre, alors moi, je me proposais
de faire ce que la vie n’avait pas permis qu’ils fassent : un
opéra de Mozart, achever l’ « Inachevée » de
Schubert, les valses, les nocturnes de Chopin…Mais j’ai
abandonné la musique avant d’entrer au Conservatoire,
c’était foutu ! Et tant pis pour eux, ils n’entendront jamais ce
qu’ils auraient pu composer de leur vivant, s'ils n'étaient pas
morts trop jeunes !
MARCEL. Si on devait garder tous les mots de la langue
française, depuis les origines, tu imagines la grosseur du petit
Larousse illustré, quand en fait, d’une année sur l’autre
son épaisseur ne varie guère. Alors, on jette, on
sélectionne, on trie et puis aussi on joue sur
l’épaisseur du papier, bon, au début, c’est possible,
mais on arrive vite à un moment où il n’est plus possible
de diminuer encore et encore l’épaisseur de la feuille à
moins de la rendre transparente !
GEORGES. Je n’y avais jamais pensé !
MARCEL. L’autre jour, au bistrot, j’ai entendu ça : « Je
leur dis pas ce que je veux faire, je dis rien, sinon ils ne me
laisseront pas partir. Mais je partirai, tu peux en être
sûr, un jour je les quitterai tous, parents ou pas, je m'en fous,
à moi l'horizon. J'attends mes 18 ans et vogue la galère
! » Et un autre : « La pince à linge, qui l'a
inventé ? Au temps des Romains, comment faisaient-ils pour
étendre leur linge ? La question est posée ! »
MARCEL. Le vin, ça saoule ; la bière, ça gonfle ;
l'eau, ça fait pisser ; le thé, ça jaunit les
dents et puis merde !
*****
Michel
Ostertag
pour francopolis octobre 2009
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